La Séléka, une coalition de groupes rebelles qui a pris le pouvoir en République centrafricaine en mars, a tué plusieurs dizaines de civils non armés, selon un rapport de Human Rights Watch publié aujourd’hui. La Séléka a également participé à la destruction arbitraire de nombreux foyers et villages.
Le rapport de 84 pages, intitulé « ‘Je peux encore sentir l’odeur des morts’ : La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine », décrit les meurtres délibérés de civils – y compris de femmes, d’enfants et de personnes âgées – entre mars et juin 2013, et confirme la destruction délibérée de plus de 1 000 maisons dans la capitale, Bangui, ainsi que dans les provinces. De nombreux villageois ont dû fuir leurs foyers et vivent dans la brousse, craignant de nouvelles attaques. Human Rights Watch a documenté les décès d’un grand nombre de personnes suites à des blessures, à la faim ou à la maladie.
« Les dirigeants de la Séléka ont promis un nouveau départ pour le peuple de la République centrafricaine, mais au lieu de cela ils ont mené des attaques à grande échelle contre des civils, se livrant à des pillages et à des meurtres », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch. « Pire encore, la Séléka a recruté des enfants, dont certains n’ont pas plus de 13 ans, pour commettre certains de ces actes horribles. »
Human Rights Watch a mené des recherches approfondies dans le pays du mois d’avril au mois de juin, dont de nombreux entretiens avec des victimes, des proches de victimes et des témoins. Les chercheurs ont réuni des témoignages détaillés d’attaques à l’encontre de civils à Bangui et dans les provinces.
La Séléka devrait selon Human Rights Watch mettre fin immédiatement aux meurtres et aux pillages, rétablir l’ordre et permettre l’accès à une aide humanitaire qui fait cruellement défaut. Les dirigeants de la Séléka devraient contrôler leurs forces, dénoncer les meurtres perpétrés par leurs membres et partisans, rétablir l’administration civile dans tout le pays, et assurer l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis.
Les organismes internationaux et les pays concernés devraient aider la mission de maintien de la paix de l’Union africaine à faire son travail et devraient imposer des sanctions ciblées contre les responsables d’atteintes aux droits humains, y compris des dirigeants de la Séléka.
« La République centrafricaine connaît véritablement une crise ignorée en ce qui concerne la situation humanitaire et des droits humains », a expliqué Daniel Bekele. « Chassés de leurs foyers par la Séléka, un nombre incalculable de personnes vivent dans la brousse dans des tentes fabriquées à partir d’arbustes et de feuilles, et sans accès à la nourriture ni à l’eau. Elles ont besoin d’une aide ainsi que d’une protection immédiates».
Parmi les meurtres documentés par Human Rights Watch, la Séléka a tué 17 personnes dans le quartier Damala de Bangui le 27 mars. Le 13 avril, un véhicule de la Séléka a foncé dans un cortège funèbre. Les personnes en deuil, furieuses, ont jeté des pierres sur la Séléka, dont les membres ont ouvert le feu sur la foule, tuant au moins 18 civils sur le pont de Ngaragba près des quartiers d’Ouango et de Kassai. Les 13 et 14 avril, la Séléka a mené une vaste opération de pillage dans le quartier Boy-Rabe de Bangui, tuant des dizaines de civils, dont des enfants.
À l’extérieur de la capitale et hors de portée de la petite force de maintien de la paix de l’Union africaine, la Séléka a attaqué des villages en totale impunité. Human Rights Watch a pu établir que plus de 1 000 maisons ont été détruites dans au moins 34 villages dans le nord du pays, entre février et juin. Dans un cas, une autorité autoproclamée de la Séléka a coordonné les meurtres de cinq hommes qui ont été ligotés avant d’être exécutés.
Un témoin a déclaré : « [Il] est allé de porte en porte dans le village pour demander aux gens de sortir de chez eux et de venir à une réunion pour parler avec les Séléka. Les premiers ont quitté leurs maisons, cinq d’entre eux, et ont été regroupés sous un arbre … ils étaient attachés ensemble par les bras. Ils ont ensuite été tués par balle l’un après l’autre. »
Le rapport signale également de nombreux meurtres de personnes associées à l’armée sous le règne du président déchu François Bozizé. Par exemple, le 15 avril, les forces de la Séléka ont contraint neuf hommes suspectés d’être d’anciens soldats à monter dans un véhicule et les ont conduits à la rivière Mpoko, à l’extérieur de Bangui. Des membres de la Séléka ont sommairement exécuté cinq d’entre eux. Les survivants ont décrit à Human Rights Watch étape par étape comment ils ont été conduits à la rivière, mis en ligne et préparés pour l’exécution jusqu’à ce qu’un membre de la Séléka se rende compte que les hommes n’avaient en fait pas été soldats sous Bozizé et épargne ceux qui n’avaient pas encore été tués.
Lors d’entretiens avec Human Rights Watch, des représentants du gouvernement de transition, dont beaucoup d’anciens dirigeants de la Séléka, y compris le président par intérim, Michel Djotodia, ont minimisé l’ampleur des massacres, affirmant que la plupart étaient l’œuvre de « faux Séléka » ou de partisans de Bozizé. Mais les recherches de Human Rights Watch indiquent un schéma cohérent d’exactions commises par des forces liées de manière crédible à la Séléka.
Human Rights Watch a également documenté des crimes qui avaient été commis sous Bozizé et a interrogé d’anciens prisonniers récemment libérés du centre de formation militaire de Bossembélé à l’extérieur de Bangui. Des détenus ont confié à Human Rights Watch qu’ils étaient retenus au secret et dans des conditions inhumaines durant des mois ou des années, et que nombre d’entre eux ont été torturés.
Ces derniers ainsi que d’autres sources ont expliqué à Human Rights Watch que Bozizé avait pour habitude de se rendre dans le centre et qu’il possédait à proximité une villa privée. Les détenus ont communiqué à Human Rights Watch les cas d’au moins deux hommes qui avaient été forcés de creuser des trous avant d’être abattus et enterrés par la Garde présidentielle. La majorité des détenus de Bossembélé étaient des musulmans du nord accusés d’être des rebelles.
La Séléka n’a pas enquêté sur les exactions commises par ses propres membres ni n’a poursuivi ces derniers en justice. Au lieu de cela, la Séléka a cherché à obtenir justice pour des crimes commis par l’ancien gouvernement. Le 29 mai, le procureur national a annoncé un mandat d’arrêt international contre Bozizé, qui a fui la RCA ; des informations récentes indiquent qu’il se trouve en France.
L’absence d’enquêtes approfondies et de poursuites judiciaires a entamé la confiance du public envers le système judicaire et le gouvernement rebelle, qui a promis des élections dans 18 mois.
« La Séléka a peut-être de vrais griefs contre l’ancien régime, mais rien n’excuse un tel niveau de violence contre les civils », a conclu Daniel Bekele. « La Séléka semble se concentrer davantage sur des actes de pillage visant diverses couches de la population que sur le rétablissement d’un gouvernement opérationnel qui puisse protéger les personnes contre les exactions. »
Ces dernières semaines, les violences se sont intensifiées dans le nord de la RCA, dans la région de Bossangoa. Le 7 septembre, deux employés de l’Agence d’aide à la coopération technique et au développement (ACTED), une organisation non gouvernementale française, ont été tués près de Bossangoa. Leurs meurtriers seraient des combattants de la Séléka.
Le 13 septembre, le président par intérim, Michel Djotodia, a dissout la coalition Séléka et annoncé que les forces officielles de l’État étaient chargées de la sécurité. Aucun détail n’a été communiqué sur la manière dont ces forces allaient neutraliser les milliers de combattants de la Séléka dans tout le pays.
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