Gardons-nous désormais de confondre les trois niveaux d’un débat démocratique : le niveau politico-moral (le politiquement correct de nos amis français), le niveau de la socio-anthropologie politique et le niveau du droit.
- Sur le plan politico-moral, chaque acteur social et politique, chaque institution de la République, peut librement apprécier l’opportunité du projet actuel de révision de notre Constitution, vu l’état de péjoration des conditions de vie de nos populations. Car la voie parlementaire est manifestement impossible en ce qu’il ne s’agit pas d’un amendement ponctuel qu’aurait facilement accepté toute la classe politique représentée à l’Assemblée Nationale, mais d’une vraie révision de la Constitution dès lors incapable de drainer derrière elle 67 de nos 83 députés (les 4/5) ; il faudra alors recourir à un référendum coûteux en temps et en ressources financières à un moment où nos jeunes manquent cruellement d’emplois.
- Au niveau de la socio-anthropologie politique de notre pays, le concept de consensus national est encore mal délimité. Nous avons une prédilection pour le consensus ; c’est une tendance lourde de notre visage socio-anthropologique : on le recherche partout même s’il faut pour cela s’accrocher désespérément à un mythe, celui d’un état d’or, la Conférence Nationale d’où nous serions sortis d’accord sur tout. Voire ! Or donc même au niveau de son auteur la Cour Constitutionnelle, on n’est pas plus avancé dans la définition du contenu de ce concept flou a priori, comme tous les paramètres socio-anthropologiques. Ainsi le vendredi 23 Août dernier 2013, son Président en la personne du Professeur Théodore HOLO qui s’était manifestement trompé de forum (il croyait peut-être animer un séminaire à l’adresse de ses étudiants de troisième cycle de droit) a fait, à ce sujet, une sortie malheureuse que beaucoup de gens continuent de lui reprocher ; parce qu’il ne sait pas lui-même ce que consensus national devra vouloir dire ! Il faudra donc rendre explicite ce concept dans notre culture démocratique.
- Le niveau du droit
A ce niveau, il n’y a qu’à suivre Serge Prince AGBODJAN qui, chaque jour que Dieu fait, met à nu les violations de la Constitution qui entachent le projet gouvernemental :
- Défaut d’avis motivé de la Cour Suprême à ce projet qui est réellement et d’abord un projet de loi portant (ensuite) révision de la Constitution (Articles 105 et 132). Si la Cour Constitutionnelle de céans estime que c’est un projet de loi spécial, l’Assemblée Nationale devra alors le traiter d’une manière spéciale : ne pas le soumettre, par exemple, aux travaux de la Commission des Lois avant sa discussion en plénière. Chers amis, n’oubliez pas que vous avez fait serment de rendre des décisions impartiales, sans peur de mécontenter le « Prince » !
- L’initiative de ce projet de loi portant révision de la Constitution revient au Président de la République, et non au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice (Article 154).
- La décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006 bien que floue, a force de loi constitutionnelle qu’il faudra respecter d’une manière ou d’une autre (Article 124).
Devoir de mémoire oblige, revenons sur les origines controversées de la fameuse décision. Par-dessus toutes ses décisions surprenantes, pourquoi la Haute Juridiction a-t-elle donc pris cette célèbre décision ? Les députés de la législature en cours en 2006, s’appuyant dûment sur les articles 154 et surtout 155 de la Constitution, avaient élaboré une proposition de la révision de la Constitution qui fut, très constitutionnellement, « approuvée à la majorité des quatre cinquièmes des membres de l’Assemblée Nationale ». Or, se prononçant sur « la constitutionnalité de la Loi constitutionnelle n° 2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990 » (elle n’en a nullement le droit) et qui portait modification de la durée du mandat des députés de 4 à 5 ans, la Haute Juridiction a sorti la décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006 qui a cassé pour inconstitutionnalité cette Loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale ! Eh oui ! On me rétorquera que c’est un problème de doctrine ; mais la doctrine d’où qu’elle vienne ne saurait conduire à violer l’esprit et la loi de notre Constitution ; sinon, changeons de Constitution !
Outre que la Cour Constitutionnelle n’a aucunement le droit de se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, celle loi votée était à mon humble avis, juridiquement inattaquable ; parce que on ne plus conforme à la Constitution du 11 décembre 1990, la nôtre !
On lit en l’occurrence ceci dans cette décision : « Considérant que ce mandat de quatre (4) ans, qui est une situation constitutionnellement établie ( ?), est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de février 1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à…la confiscation du pouvoir ;… » Par respect pour les 7 sages de la Haute Juridiction, je ne dirais pas que voilà un charabia indigeste ; mais nous voici engagés dans l’aventure. En effet, à partir de cette célèbre décision, toutes les portes étaient désormais ouvertes à tous les abus, parce que la Cour Constitutionnelle suivante n’a pas manqué d’exciper de ce prétendu consensus dégagé à la Conférence des Forces Vives de la Nation, pour indiquer des articles de la Constitution qu’on ne saurait réviser…parce qu’ils seraient des « options fondamentales » issues du consensus … dégagé à la Conférence Nationale ! » (Cf. DCC 11-07 du 20 octobre 2011). Ce faisant, la Haute Juridiction nous a placés dans un imbroglio juridique inextricable face auquel nous ne pouvons que féliciter le génie béninois basé essentiellement sur le...consensus ; mais ce consensus ne saurait être rien de plus qu’une variable socio-anthropologique. Ailleurs, dans certaines contrées de la région, il en faut moins pour déclencher des contestations violentes conduisant à une impasse politico-constitutionnelle. Mais chez nous, ce micmac n’a fait moufter personne ou presque ! Certes, la révision constitutionnelle initiée par les députés en 2006, un mois après l’élection triomphale du Docteur Boni YAYI, posait de sérieux problèmes d’éthique politique : elle était politiquement incorrecte après le raz de marée (75% des électeurs) qui porta Boni YAYI au pouvoir. Elle posait de sérieuses questions au niveau non seulement de la philosophie morale et politique, mais choquait nos valeurs culturelles et risquait d’avoir de sérieuses conséquences sociopolitiques en ce qu’elle s’analysait comme une manœuvre consistant à priver les nouveaux soutiens du Président de la République élu de leur volonté légitime de prendre d’assaut l’Assemblée Nationale aux prochaines élections législatives de 2007. Mais faire désormais du « consensus national un principe à valeur constitutionnelle », c’est ouvrir la Boîte de Pandore dans laquelle vont s’engouffrer tous les opportunistes, c’est donner du grain à moudre à tous les opposants, réels ou cachés, à la politique du Chef de l’Etat en exercice. Ce jargon de nos 7 sages est désormais une arme à double tranchant qui sera toujours brandie par toutes sortes de poujadistes pour dénier au Président de la République le droit constitutionnel de prendre l’initiative de procéder à une révision ou même seulement à un amendement de notre Loi fondamentale ; car désormais, il ne peut le faire sans un large « consensus national » (du peuple tout entier, seul détenteur de la souveraineté nationale ?). Comment l’obtenir alors? En faisant plus qu’en 1990 : mettre sur pied un comité de synthèse qui va recueillir les avis de toutes les Forces Vives de la Nation sur l’avant-projet en partant des travaux des deux commissions mises sur pied par le Chef de l’Etat, avis qui seront ensuite débattus lors d’une Conférence Nationale Constitutionnelle (ou Forum National de concertations) qui à son tour dégagera un consensus (c’est vraiment le lieu de le dire) sur les grandes modifications à apporter à notre Loi Fondamentale ! Il ne sera plus nécessaire alors de consulter le peuple par référendum lors donc que ses représentants élus en la personne des députés auront adopté aux 4/5 (67 députés) le texte de loi constitutionnelle.
Procéder autrement, c’est-à-dire limiter les prérogatives de l’initiative de la révision seulement au Gouvernement et au Parlement, c’est clairement violer l’esprit de la Décision DCC-06-074 du 08 juillet 2006 qui, bien que posant un sérieux problème, est toujours en vigueur! Aussi est-ce pour les vrais patriotes dont je me targue d’être, la seule manière de sortir de l’impasse actuelle. C’est d’ailleurs la position de plusieurs partis membres de la Mouvance Présidentielle qui se taisent pour ne pas s’attirer l’ire du Chef.
Ne faisons plus comme en 1990 où on joua à la chauve-souris ; les acteurs politiques adorent ce jeu. Nous avions mis dans notre projet de constitution, en étant les seuls au monde à le faire, une disposition limitant à 70 ans l’âge plafond pour être candidat à l’élection présidentielle ; à l’heure où grâce aux progrès de la médecine un homme de 70 ans est encore en parfaite santé et en pleine possession des ses facultés physiques et mentales. S’il fallait coûte que coûte limiter au plafond, pourquoi pas à 75 ans ? Robert DOSSOU a 74 ans en 2013. Comme la plupart des Béninois, je me demande pourquoi il n’a pas pu rempiler à la tête de la Cour Constitutionnelle !
En nous accrochant à cette mesure stupide prise à un moment donné pour éliminer de la course de l’élection présidentielle de 1991 les trois anciens leaders dont tout le monde craignait le retour au pouvoir, nous nous sommes mis au cou un joug étouffant ; parce que nous manquons cruellement de ce fait de présidentiables expérimentés et crédibles
A suivre