Jules Agboton : Pourquoi la Constitution sera révisée à tout prix?

Du personnel politique toutes obédiences confondues au simple citoyen, le Bénin dans son entièreté est agité depuis de longs mois par le projet de révision de la constitution du 11 décembre 1990 introduit au parlement par le président Boni Yayi. Aussi, notre vie politique actuelle est-elle essentiellement marquée par de multiples manifestations favorables ou défavorables au projet qui mettent en avant des populations dont la plupart ne savent même pas de quoi il est véritablement question.

Publicité

Sans cynisme, il y a lieu de se réjouir que le débat sur la révision de notre loi fondamentale soit venu un tout petit peu et pour quelque temps, disputer la une de l’actualité à cette autre répugnante affaire de tentative d’empoisonnement etde coup d’Etat, quoique l’un et autre de ces sujets,aient énormément et durablement écorché l’image de notre jeune démocratie en Afrique et dans le monde.

Toute constitution prévoit les mécanismes de sa propre révision et la nôtre n’échappe pas à cette généralité mais s’il y a tant de boucliers levés contre le projet révisionniste, il faudra aller en chercher les fondements dans la tendance du régime à laisser très peu d’espace à l’expression plurielle. Il est indéniable que le recul de la démocratie observé unanimement depuis 2006 a alimenté à la base les soupçons et jeté l’opprobre sur les intentions de l’initiative… à supposer qu’elles aient été saines à l’origine et dépourvues de toute arrière-pensée.

La pression quasi permanente et les divers mouvements antirévisionnistes ont amené le Chef de l’Etat à déclarer et répéter à l’envi à qui veut l’entendre et surtout àdes personnalités aussi célèbres que le Pape Benoît XVI et au Président Obama qu’il n’était pas du tout candidat à sa propre succession. Mais cela n’aura pas suffi. Un mouvement dit de Mercredi rouge vit le jour et se manifeste avec un certain succès dans les rues et sur les réseaux sociaux en dépit d’uneillégale répression. En face, les ouailles du Chef, nullement impressionnés par la mobilisation écarlate, multiplient sans encombre,marches de soutiens et déclarations favorables à la révision.

Cette situation délétère qui ne laisse plus le temps de s’activer sur les problèmes essentiels de subsistance auxquels sont confrontées les populations,devrait a priori amener le Chef d’Etat à renoncer au projet et faire profil bas devant ses adversaires. Mais que non ! La réalité en est toute autre. Bien au contraire, c’est plus que jamais que le Présidentjuge nécessaire de poursuivre et de réaliser son projet révisionniste. Et pour cause !

Publicité

En effet, loin de la tactique mise en œuvre à la fin de son mandat par le Général KEREKOU qui consistaà sonder en bon militaire l’opinion et le terrain, sans vraiment s’impliquer personnellement dans la manœuvre révisionniste, pour se retirer subrepticement dès que les signaux virèrent au rouge, Boni Yayilui, avance à visage découvert avec son projet. Il veut réviser la constitution proclame-t-il pour y apporter des améliorants. Il faut comprendre qu’il est un banquier de formation, nullement imprégné des subtilités de la tactique militaire en terrain inconnu comme le Général.

La contestation et la mobilisation contre le projet,abondamment alimentéesdepuisles frustrations générées par une gouvernance à la fois heurtée et sans boussole, ont atteint un tel niveau que son initiateur ne peut plus y renoncer pour ne pas perdre la face. Etrange paradoxe !

Boni Yayi est aujourd’huicondamné à conduire le projet de révision jusqu’à son termeau risque de rentrer dans l’histoire avec l’infamante tare d’un président qui a tout tenté pour modifier la constitution afin de se maintenir au pouvoir mais en a été empêché par l’opposition.

Ainsi donc, contraire aux apparences, le seul véritable enjeu qui reste alors dans la poursuite du projet révisionniste, c’est comment sauver le soldat Yayi ! Il s’agit désormaisd’un défi personnel que le Président se croit obligé de relever à tout prix afin de ne pas donner raison à l’opposition qui a réussi à faire admettre dans l’opinion que le projet n’a d’autre finalité que la prorogation du mandat. Par conséquent, nous devons nous attendre à une intensification des marches, des manifestations et autres expressions de soutiens au projet qui se réalisera quoiqu’il en coûte car le président Yayi doit écrire sa propre histoire bien différente de celle que l’opposition lui réserve.

De toutes les façons, l’opposition à la révision a déjà réussi à détourner le projet de son but initial. Quel qu’il fût ! La constitution ne sera pas révisée pour permettre à Yayi de rester au pouvoir. C’est un acquis si tel a été une fois l’objectif. Elle ne sera pas non plus révisée pour en faire un outil de développement. C’est très loin de l’actuelle préoccupation. Elle sera simplement révisée pour donner la preuve que Boni Yayiest différent des autres Chefs d’Etat africains en ce qu’il peut réviser en fin de mandat la constitution et quitter loyalement le pouvoir. Somme toute, la révision de notre constitution n’a plus d’autre but que de couvrir l’orgueil du prince.

L’entreprise pourrait prêter à sourire si seulement les marches, les manifestations de soutien, le démarchage des élus, le référendum et tutti quanti qui pavent le chemin pour y aboutir n’avaient pas un coût !

Elle pourrait même faire carrément rire si cela ne se passait pas en ces moments de précarité où dans certaines maisons, le second repas de la journée était devenu un luxe !

Mais le prince tient à sa révision et il aura envers et contre tout pour l’inscrire dans son histoire…

Malheureusement, l’Histoire, celle qui ne se manifeste aux mémoires des hommes qu’à l’épreuve du temps et qui se moque de la propagande et des testaments, ne retient pas souvent une seule ligne des versions dithyrambiques écrites à pas de charge par les protagonistes eux-mêmes, fussent-ils monarques ou Chefs d’Etat !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité