Le temps « béni » des dociles colonies !

Découvrons en fiction, dans la nouvelle intitulée « Un dialogue culturel avorté » qui suit, quelques aspects de ce que la vie du Révérend Père Francis AUPIAIS aurait pu être dans la colonie du DAHOMEY.

Publicité

Un dialogue culturel avorté

Au début du XXe siècle, un jeune missionnaire français (PADRI) enseignait à la mission catholique d’une capitale coloniale de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Parmi ses élèves les plus éveillés, il y en avait un, particulièrement perspicace, qui participait aux activités scolaires avec tant de gaité et d’enthousiasme que la classe semblait morne et triste les jours où il était absent.

En effet, le garçon intervenait toujours de façon imagée et avec une maturité si surprenante pour son jeune âge que le prêtre émerveillé, résolut un jour de connaitre la famille de cet élève particulier. Le PADRI découvrit alors, que le bon élève tenait sa sagacité de l’enseignement qu’il recevait par ailleurs, de son devin (AWONON) de père…

De cette rencontre entre deux humanistes pétris de tolérance, naquit d’abord une estime mutuelle qui se mua progressivement en une amitié complice. A un point tel qu’un dialogue spirituel fécond s’instaura entre l’AWONON noir et le PADRI blanc. Chemin faisant, les deux hommes de foi finirent par s’initier l’un à la sagesse de l’autre…

Un beau jour, le PADRI réalisa que son ami tenait de son patrimoine ancestral, une édifiante littérature orale et une vaste science, toutes deux basées sur une messagerie binaire combinant seize pictogrammes. Bouleversé, le PADRI se précipita dans sa chapelle pour prier Dieu de lui pardonner deux péchés : d’avoir cru à tort que les Africains n’avaient pas d’écriture et que le Créateur ignorait la langue des « descendants » de Cham le maudit.

Publicité

Dès lors, le PADRI Blanc se fit le défenseur des africains. Il fonda une revue d’information, d’histoire et d’ethnographie, « La lumière africaine », qu’il anima avec quelques indigènes lettrés de son entourage ; il y plaida avec audace et ardeur la cause de ses frères africains contre le mépris et les abus des colons.

Son engagement embarrassait sa hiérarchie, autant qu’il contrariait l’administration coloniale. Cette dernière, exaspérée par l’activisme africaniste du prêtre atypique, fit pression pour obtenir du clergé que le bon Père, qualifié de « communiste ensoutané », fût rapatrié en métropole afin d’y être « réduit au silence ». Au temps béni des colonies soumises et dociles, ainsi se passait le dialogue des cultures…

Un formidable humaniste !

Il a subi les affres de la prédation colonialiste

En raison de son altruisme humaniste.

Parmi des crétins fort minables.

Il fut un chrétien formidable

Après une vingtaine d’années de séjour sur cette terre africaine, le bon Père en avait appris certaines langues « indigènes » et s’était attaché à ses frères africains dont le trésor spirituel avait captivé son esprit ouvert. Avant de quitter le pays qu’il aimait profondément, l’homme de foi se fit un devoir d’avertir ses persécuteurs. Dans une tribune intitulée La méprise coloniale, il prophétisa : « Ne vous méprenez pas sur ces hommes à la p    eau d’ébène. Un jour, vos pays brumeux seront éblouis par leur esprit de lumière ; le pays du soleil n’est-il pas leur demeure1? ».

A mes frères Blancs !

Respectez-vous vraiment la dignité humaine

De ces créatures de Dieu à la peau d’ébène ?

Du royaume des cieux, pourtant, elles viennent

Et, le jour venu, leur esprit humble et chaleureux

Illuminera vos pays mercantiles, froids et brumeux.

De retour en France, il découvrit les affres de l’individualisme dans un monde de rivalités frénétiques et de profond mépris pour les êtres issus de la race prétendue inférieure. Il engagea alors une campagne de sensibilisation contre l’injustice, le racisme et pour la réhabilitation des Noirs. Chez ces derniers, il avait découvert une grande dignité humaine, un sens communautaire pétri de solidarité et une profonde compassion humaniste.

C’est ainsi qu’il initia des expositions, des conférences, des causeries radiophoniques, des cours et des publications visant à faire connaître et promouvoir la culture et l’esthétique, l’éthique et la spiritualité des Noirs du Golfe de Guinée. Lors d’une fameuse conférence intitulée la morale pratique des peuples de Guinée, donnée dans un grand institut parisien, il proposa selon sa vision africaniste, une version inédite de la création devant un auditoire médusé…

La création 2

Quand Dieu créa le monde, il fit des hommes noirs, il fit des hommes blancs et leur dit à tous : « mes chers enfants, je vous donne à choisir entre deux pays ; l’un possède la technique qui produit les biens ; l’autre détient la sagesse salutaire d’IFA qui génère le Bien ». « Choisissez les premiers », dit-il aux Blancs qui s’empressèrent de choisir le pays de la technique. Les Noirs héritèrent du pays d’IFA…

C’est dans la sagesse d’IFA que le Créateur a structuré et consigné sa volonté en un code octal de paroles de vérité3 . Elles permettent à ceux qui les mettent en pratique, de cultiver leur discernement pour vivre en paix et en harmonie entre eux et dans la création.

Les Blancs n’avaient-ils pas tourné le dos au dessein de Dieu sans le savoir ?

Quant aux Noirs, ont-ils vraiment conscience du trésor dont ils ont hérité ?

Biographie expresse du R.P. Francis Aupiais

Arrivé au Dahomey en 1903, le Père Francis AUPIAIS (1877-1945) est d’abord chargé d’enseignement à la mission catholique de Porto-Novo, la capitale de la colonie. Progressivement, il devient le Supérieur de la mission dont il dirige l’école jusqu’en 1926, selon une méthode pédagogique fondée sur l’inculturation. Ouvert aux cultures africaines et parlant plusieurs langues indigènes (dont le ‘‘goungbé’’), il s’impose comme le spécialiste reconnu des religions et coutumes dahoméennes. C’est à ce titre qu’en 1923-1924, il est chargé de constituer une collection d’art dahoméen pour le Vatican. Par ailleurs, il réunit autour de lui des lettrés dahoméens avec lesquels il crée en 1925 une revue, ‘‘La reconnaissance africaine’’ qui, entre autre, dénonce les fondements racistes de l’idéologie colonialiste. Toutefois, le militantisme anticolonial et africaniste du Père AUPIAIS lui vaut des ennuis avec sa hiérarchie et le gouvernement français dont le Chef exige que le Bon Père soit « réduit au silence » …

Rentré en France en octobre 1926 avec une trentaine de males contenants des matériaux ethnographiques, dès janvier 1927, il conçoit  une exposition itinérante d’art décoratif dahoméen qui sera présentée dans diverses villes françaises et même en Belgique et en Suisse. En outre, il fait une série de conférences contre l’injustice, le racisme et  pour la promotion des sociétés africaines. En avril-mai 1929, il donne à l’Institut Catholique de Paris, un cours intitulé ‘‘La morale pratique des peuples de Guinée’’ et prolonge ses cours par une série de causerie radiophoniques. De décembre 1929 à juin 1930, il conduit une mission ethnographique pour le compte de la Fondation Albert Khan ; ce riche philanthrope avait mis, dès 1910, sa fortune au service d’un immense projet de sauvegarde des civilisations humaines par la photographie et le cinéma : ‘‘les archives de la planète’’.

En 1945, il est élu député du Dahomey-Togo à la première constituante de la 4ème république et meurt d’une crise d’urémie aigüe, la nuit du 14 au 15 décembre de cette même année.

1Inspiré par un truisme de l’avocat dahoméen, Marc Tovalou HOUENOU (1887-1936) : « Méfiez-vous de ces hommes de bronze, leur force et leur lumière étonneront vos pays de brume ; le soleil est de chez eux ».

2Fabliau dérivé d’un texte enseigné à l’époque coloniale, dans les années 1930, à l’école primaire : Quand Dieu créa le monde, il fit les hommes blancs, il fit les hommes noirs. Il dit à tous : « mes enfants, je vous donne à choisir entre deux pays ; l’un produit de l’or et l’autre produit le livre ». Puis il dit aux Noirs : « choisissez les premiers ». Les Noirs choisirent le pays qui produit l’or. Les Blancs durent se contenter du pays qui produit le livre. C’est dans le livre que Dieu a consigné les endroits où se trouve l’or, comment on peut l’extraire et ce qu’on peut en tirer. Le Noir était assis sur de l’or et ne le savait pas.

3Deux cent cinquante-six fables soumises à la perspicacité de l’homme pour le guider dans son existence.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité