Révision de la constitution : une Cour des Comptes dépendante dans l’indépendance et sans grand pouvoir?

Dans les Etats où elle existe, la Cour des Comptes est érigée au rang d’institution. C’est l’institution supérieure en matière de contrôle des Finances Publiques. L’érection de la juridiction financière en institution est voulue pour lui assurer l’indépendance nécessaire par rapport au Pouvoir exécutif, afin de garantir un contrôle efficace des Finances Publiques.

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Dans le projet de Loi portant révision de la Constitution du 11 décembre 1990, déposé le 06 Juin 2013 à l’Assemblée Nationale, l’institution qui justifie pour certaines personnes une révision rapide et urgente de la Constitution  est cette Institution appelée Cour des Comptes. 

Une exigence de l’UEMOA

Mais, à voir de près, cette Cour des Comptes ne saurait jouer pleinement sa mission, car elle est dépourvue des moyens exigées par le traité de l’’UEMOA pour assurer son efficacité. Selon l’article 68 du traité de l’UEMOA du 10 janvier 1994, «1) Afin d’assurer la fiabilité des données budgétaires nécessaires à l’organisation de la surveillance multilatérale des politiques budgétaires, chaque Etat membre prend, au besoin, les dispositions nécessaires pour qu’au plus tard un (1) an après l’entrée en vigueur du présent Traité, l’ensemble de ses comptes puisse être contrôlé selon des procédures offrant les garanties de transparence et d’indépendance requises. Ces procédures doivent notamment permettre de certifier la fiabilité des données figurant dans les Lois de Finances initiales et rectificatives, ainsi que dans les Lois de Règlement.

Les procédures ouvertes à cet effet, au choix de chaque Etat membre, sont les suivantes:

recourir au contrôle de la Cour des Comptes de l’Union ;

instituer une Cour des Comptes nationale qui pourra, le cas échéant, faire appel à un système d’audit externe. Cette Cour transmettra ses observations à la Cour des Comptes de l’Union.».

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Le point 5.4 à 5.6 de la  Directive N°01/2009/CM/UEMOA portant Code de transparence dans la gestion des Finances Publiques au sein de l’UEMOA, ajoute que «les comptes définitifs, contrôlés et accompagnés des rapports de contrôle, permettent chaque année, de vérifier le respect des autorisations budgétaires, ainsi que l’évolution du patrimoine de l’Etat. Ils sont établis dans le respect des principes, règles et pratiques comptables internationalement reconnues. Ces comptes sont présentés au Parlement et publiés avant la présentation du budget suivant.

Les activités et les finances des administrations publiques sont soumises à un contrôle interne.

Les Finances Publiques et les politiques qu’elles soutiennent, sont soumises au contrôle externe de la Cour des Comptes, dont la création est obligatoire dans chaque Etat membre.

Le programme et les méthodes de travail de la Cour des Comptes, ainsi que les conclusions de ses travaux sont établis en toute indépendance du Pouvoir exécutif».

L’indépendance est l’une des conditions essentielles exigées des institutions supérieures de contrôle des Finances Publiques, pour adhérer à l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des Finances Publiques (en anglais : International Organisation of Supreme Audit Institutions – INTOSAI) qui est une entité mondiale d’affiliation des Cours d’audit gouvernementales. 

Une «indépendance dépendante»

Il faut donc retenir que la meilleure manière pour assurer l’efficacité de cette nouvelle institution, que l’on veut intégrer à notre Constitution du 11 décembre 1990, est de permettre à cette dernière de jouer pleinement son rôle, en toute indépendance. C’est cette volonté qui a été exprimée par la Commission ad’hoc de relecture de la Constitution, la Commission Ahanhanzo-Glèlè,  à la page 105 de son rapport, qui avait recommandé une formulation de l’article 140 instituant la Cour des Comptes. Elle a demandé que les décisions de la Cour des Comptes ne soient susceptibles d’aucun recours. Elles doivent s’imposer au Pouvoir Exécutif, au Pouvoir Législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions, à l’exception de ce qui est prévu à l’article 125. La Commission a ajouté que  la compétence, la composition, l’organisation, le fonctionnement de la Cour des Comptes et les sanctions qu’elle peut prononcer sont déterminées par une Loi organique.

A la page 106 du même rapport, la Commission ad’hoc de relecture de la Constitution avait, de plus, suggéré une formulation de l’article 142, demandant que le choix du Président de la Cour des Comptes soit fait par les membres de cette haute Institution.

Le gouvernement, dans ses observations, a refusé les propositions et a inséré dans le projet final, que le Président de la Cour des Comptes est nommé pour une durée de cinq ans, par décret du Président de la République pris en Conseil des ministres, après avis du Président de l’Assemblée Nationale. Le gouvernement, dans sa proposition finale, va jusqu’à enlever de la Loi organique de cette institution, la détermination des sanctions que cette institution peut prononcer. Ainsi, dans la version finale déposée à l’Assemblée Nationale, on peut lire à l’article 142 (page 107) qu’«une Loi organique détermine l’organisation et  le fonctionnement de la Cour des Comptes.»

Selon la  Directive N°01/2009/CM/UEMOA portant Code de transparence dans la gestion des Finances Publiques au sein de l’UEMOA, la Cour des Comptes doit être indépendante du Pouvoir exécutif, car c’est le gouvernement qui exécute les dépenses de l’Etat.

Comment alors comprendre la position du gouvernement béninois qui supprime la proposition de la Commission Ahanhanzo-Glèlè,  qui recommandait que le choix du Président de la Cour des Comptes soit fait par les membres de cette haute Institution, et que les sanctions de cette institution soient fixées par sa Loi organique ?

Quelle compréhension pouvons-nous avoir, lorsqu’en supprimant les propositions faites par la Commission Ahanhanzo-Glèlè en ce qui concerne cette institution, le Président de la République, au cours de sa sortie du 06 septembre dernier, soit trois mois jour pour jour  après la prise du décret portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de Loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin, a indiqué que la Cour des Comptes, qui sera intégrée dans la Constitution du 11 décembre 1990, serait «une structure indépendante qui n’a peur de personne. Elle va dire au peuple béninois, voici comment votre argent est utilisé, en bien ou en mal. C’est une Institution capable de dire comment les fonds de la République sont gérés…» ?

Un «gadget institutionnel»

La pratique aujourd’hui, au niveau des Institutions, montre clairement qu’une Cour des Comptes  dépourvue d’indépendance serait tout simplement un «gadget institutionnel».

Notre pays mérite mieux que cette Cour des Comptes qu’on nous propose. Il faut revenir sur cette proposition, si l’on veut vraiment assurer une bonne gouvernance et lutter contre la corruption.

A qui profite une Cour des Comptes dont les sanctions ne sont pas déterminées et  fixées à l’avance  par une Loi organique?

A qui profite une Cour des Comptes qui sera un  «gadget institutionnel»?

L’ancien Président de la République Emile Derlin ZINSOU  indiquait dans une interview réalisée pour sa contribution aux Journées de réflexion sur la Constitution du 11 décembre 1990, tenue les 7 et 8 Août 2006 à l’Institut des Droits de l’Homme et la promotion de la démocratie, que «la tentation des hommes de pouvoir, c’est de l’avoir en entier et de l’avoir le plus longtemps possible ; par conséquent, il faut des garde-fous. Il faut qu’on soit vigilant. Il y a des pays qui ont commencé dans la démocratie, mais qui ont fini dans la dictature ; par conséquent, il faut qu’on veille au grain».

Le débat sur la révision de la Constitution grandira notre pays, si nous disons réellement ce qui a été retenu dans le projet de révision déposé à l’Assemblée Nationale.

Lorsque nous dirons la vérité sur le projet de loi qui a été déposé à l’Assemblée Nationale, le peuple fera la part des choses, entre ceux qui veulent d’une révision qui consolide notre Etat de droit et lutte contre l’impunité, et ceux qui veulent d’une révision bâclée et controversée.

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