Sida au Bénin : le manque de réactifs compromet la qualité de la prise en charge des PvVih

La prise en charge des personnes vivant avec le Vih (PvVih), un point capital de la réponse nationale contre le Sida, se trouve depuis des années face à un certain nombre de problèmes. Zoom sur ces problèmes et leurs conséquences sur le suivi biologique des patients et les débuts de solutions. «Zéro nouvelle infection, zéro décès lié au Sida, zéro discrimination». C’est l’un des objectifs fixés par l’Onusida pour 2025.

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«Notre objectif, c’est que les PvVih vivent longtemps.» explique Dr Ali Imorou Bah Chabi, Coordonnateur adjoint du Programme national de lutte contre le Sida (Pnls). Ceci passe par le traitement des malades et leur suivi par le biais d’une prise en charge de qualité des PvVih. Mais le chemin conduisant à l’atteinte de cet objectif est plein d’embûches. Sur l’ensemble des 13 sites de prise en charge que coordonne le Centre d’information, de prospective, d’écoute et de conseil (Cipec) des départements du Mono et du Couffo, l’obstacle premier, c’est le manque de réactifs, à en croire Clément Assogba, Secrétaire des services administratifs du Centre. A cela s’ajoutent le manque de certains médicaments, la vétusté et les pannes prolongées des appareils de laboratoire et l’insuffisance de supervision sur les sites de prise en charge. La liste est longue.

S’il y a une situation particulière dans les départements du Mono et du Couffo, c’est l’évolution du taux de décès liés au Sida, à en croire Gilbert Degbèlo, ingénieur biomédical et responsable du laboratoire du Cipec. Cette  situation est due à ces patients appelés «les perdus-de vue». Des PvVih qui disparaissent après un temps de traitement croyant qu’ils sont guéris. «Ils ressentent un bien-être et se croient déjà guéris», explique l’ingénieur biomédical. Face à la stigmatisation que vivent les PvVih, certaines d’entre elles préfèrent se rendre sur un site éloigné de leur domicile. C’est sans compter avec les conséquences financières de leur choix. Conséquences qu’elles n’arrivent toujours pas à supporter et arrêtent le traitement chemin faisant, fait-il remarquer. Et pourtant, c’est une situation que le Pnls a voulu éviter en rapprochant davantage les sites de prise en charge des malades. Pour le Dr Etienne Hounkonnou du Cipec Mono-Couffo, il faut une supervision rapprochée des sites de prise en charge.

Dans le Mono-Couffo, on  note aussi une propagation inquiétante de l’épidémie. Le taux de prévalence dans le Mono-Couffo est respectivement de 2,2% et de 2,4 %, confie Dr Etienne Hounkonnou alors que la moyenne sur le plan national est de 1,2%.

Le Pnls confirme les dysfonctionnements et s’explique

Ces dysfonctionnements, notamment les ruptures de réactifs, le manque de certains médicaments et les pannes des appareils, sont reconnus par le Pnls. Au sujet des ruptures, le Coordonnateur adjoint du Pnls explique : «On a eu des problèmes de réactifs parce que, la commande 2012 a été annulée.» Ceci, pour avoir été invalidée par le bailleur qu’est le Fonds Mondial (Fm). Il s’agissait des réactifs pour l’analyse biologique de comptage des CD4. Outre cette raison d’objection du Partenaire technique et financier (Ptf) qui prend aussi du temps, les ruptures d’Arv sont aussi liées à d’autres contraintes dont la distance entre le Bénin et les usines de fabrication des réactifs et Arv, le temps ou la procédure pour traiter une requête (3 à 9 mois dans les conditions optimales), le retard d’envoi par le fournisseur, le retard dans le décaissement des fonds et d’autres raisons qui sont d’ordre commercial à la discrétion du Pnls et des Ptf.  

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En ce qui concerne les pannes d’appareils, elles sont liées à l’arrêt du contrat entre le Fm et le Pnls. Venu à terme le 31 décembre 2012, ce n’est qu’en juillet 2013 que le contrat a été renouvelé. «Pendant ce temps, on n’a pas pu continuer la maintenance des appareils» avoue Docteur Ali Imorou Bah Chabi. D’où la panne des appareils. Mais à la reprise dudit contrat, le système de maintenance a été réactivé. Ceci concerne les 50 équipements de CD4 mis à disposition sur le plan national par le Pnls mais dont 1/3 n’a pas fonctionné pendant ce temps de trêve contractuelle. Pour le suivi, le Pnls a aussi mis à disposition, 10 équipements pour la charge virale.

Conséquences sur le suivi biologique

Ruptures de réactifs ou pannes d’appareils, elles ne sont pas sans effets néfastes sur la qualité de la prise en charge des PvVih. Tout comme le CD4, il y a d’autres tests obligatoires auxquels le malade est soumis dès sa mise sous traitement. Entre autres, la glycémie, la créatinémie, les transaminases (Alat), le cholestérol total, le cholestérol Nds, les triglycérides, l’uricémie, le gamma Gt, l’amylase, le NFS et la charge virale. Il est évident qu’en l’absence des réactifs pour ces analyses, ou lorsque les appareils sont en panne, il n’est non seulement pas possible de mettre des patients sous traitement mais aussi il n’y a pas de suivi des malades déjà sous Arv afin de savoir quels médicaments leur prescrire. Des médicaments que le patient est obligé de prendre tous les jours. En effet, le bilan CD4 ou numération CD4 par exemple est un examen biologique qui se fait au moment du «bilan d’inclusion» qui détermine l’admission d’un patient à la thérapie antirétrovirale, et, tous les six mois au cours de son suivi médical. C’est aussi un bon indicateur de la santé générale et des capacités de défense du corps de la  PvVih contre le virus et de la progression du virus.

Les ratés dans ces analyses et le non respect de la fréquence des médicaments sont sources d’échecs thérapeutiques dus aux résistances que peut commencer par développer l’organisme du patient.

«Quand la PvVih manque une seule fois de prendre un médicament ou le prend avec retard, cela lui crée des problèmes. Son organisme peut commencer par développer des résistances. Et c’est ce qui occasionne les échecs thérapeutiques» confie Constant Migan, médiateur sur le site de prise en charge du Cnhu, à Cotonou. Et devenu plus faible, l’organisme laisse libre cours à d’autres maladies et infections opportunistes qui se développent si rien n’est fait et la mort s’ensuit. Et pour éviter une telle issue, il y a un palliatif, aux dires de Constant Migan. Mais en réalité, cette solution cache un danger qui plane sur la vie de PvVih. Il s’agit, à en croire le médiateur, de remplacer un médicament de première ligne en rupture par un autre de deuxième ligne disponible. L’inquiétude des malades, c’est que, quand ce médicament de 2ème ligne sera aussi en rupture, il n’y aura pas de solution vu le niveau actuel de la lutte au Bénin. Il va falloir en effet un médicament de 3ème ligne. Ce qui n’est pas encore disponible au Bénin, précise-t-il.

Des débuts de solutions

Pour l’instant, le Pnls dit prendre des dispositions pour une correction de ces difficultés. Déjà, avec la reprise du contrat de maintenance, le problème de panne des appareils est en train d’être réglé. Au sujet des ruptures, le Coordonnateur adjoint du Pnls rassure que pour le compte de cette année 2013, il n’y a pas eu de rupture d’Arv. Pourtant, sur certains sites comme dans ceux du Mono-Couffo, on continue de se plaindre de manque de réactifs et d’Arv. Aux dires du Coordonnateur adjoint du Pnls, ceci pourrait se justifier par le fait que le Centre n’ait pas fait la demande d’approvisionnement à temps ou qu’au passage de la Centrale d’achat des médicaments essentiels (Came), le responsable du Centre n’était pas présent. Il peut aussi y avoir une mauvaise gestion du site. Et c’est pour anticiper sur ces problèmes  que le Pnls organise des formations sur la gestion des stocks, précise le Coordonnateur adjoint.

Une autre situation connue cette année, c’est la non disponibilité temporaire des médicaments comme le batrim et l’Abacavir. Le cas de l’Abacavir était dû, à l’en croire, au contrôle de qualité. D’après les normes en la matière, avant la mise à disposition des médicaments sur les sites de prise en charge, il doit forcément y avoir ce contrôle au Canada. L’opération dure une semaine à 10 jours. Pendant ce temps, aucune admission de ce médicament n’est permise.

En dépit de ces dysfonctionnements, Dr Ali Imorou Bah Chabi se veut optimiste. Par rapport aux contraintes liées à l’achat d’Arv, une politique de fabrication régionale et locale est en train d’être mise en place. Pour mémoire, le Président de la République du Bénin, Thomas Boni Yayi, déclarait à l’occasion de la Journée mondiale du Sida, édition 2012 : «Je suis en train de négocier avec les partenaires sud-africains pour qu’ils nous aident à installer une industrie de médicaments génériques et des antirétro-viraux dans la sous-région». Des pourparlers sont engagés aussi avec le Brésil pour la même cause. Dr Ali Imorou Bah Chabi annonce, par ailleurs, la constitution prochaine d’un stock de sécurité d’intrants thérapeutiques de la Cedeao qui va être logé à Abidjan en Côte d’Ivoire. Les pays de la Cedeao y logeront un stock pour 30.000 malades. En temps de rupture dans un pays, ce dernier pourra en prendre en attendant que la situation ne revienne à la normale chez lui.

On note également une marche vers l’autonomisation financière du Pnls pour l’acquisition des Arv. De 650 000 000 millions de Francs Cfa en 2006, la contribution de l’Etat béninois au budget du Pnls est passée à 2 milliards au titre de l’année 2013.

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