Un récent rapport sur l’indice du bonheur (World happiness report) indique que sur 156 pays pris en compte le nôtre tient la 155 ième place. Les medias s’en sont saisis et nous ont appris que le gouvernement n’a pas ménagé sa réaction.
Il aurait saisi les responsables du rapport pour de plus amples informations sur la manière dont ce classement a été fait et il s’était inscrit en faux sur les ondes contre ledit classement.
Dans notre entendement c’est une lapalissade que le bonheur n’est pas chose quantifiable et qu’il ne peut être mesuré de manière objective ; il relève en effet de la psychologie et des états d’âme plutôt que de l’économie. Du reste nous ne sommes pas habitués à cet indice, aussi devons-nous en comprendre la substance et en faire, le cas échéant, un réel outil d’économétrie non pas tant qu’il pourrait s’institutionnaliser en l’état mais surtout parce qu’il se justifie amplement quant au fond. En tout état de cause il convient, pour cerner le bien- fondé de l’indicateur du bonheur, de faire la genèse de l’introduction de la notion en économie. Mais avant tout peut-être devrions-nous essayer de situer l’environnement politique dans lequel s’est inscrite la réaction du gouvernement.
Environnement et contexte de la réaction du gouvernement
Si le gouvernement a réagi aussi vivement face à une donnée présumée technique et prétendument émanant de l’Organisation des Nations Unies, c’est probablement parce qu’il a craint la répercussion qu’elle pourrait avoir sur l’opinion publique déjà fragilisée par ailleurs; et de cela l’on ne peut lui faire grief. En effet elle a été marquée ces derniers temps par ce que certains médias ont cru relever comme étant contradictoires dans l’analyse de l’état de notre économie respectivement par le Fonds monétaire international et le Programme des Nations Unies pour le développement. Le citoyen en a été ébranlé et s’était fait soupçonneux ajoutant à la crise de confiance dans laquelle baigne le pays. Sans préjudice de qu’en pensent les professionnels, il nous semble qu’il n’est pas exact de dire que les appréciations du FMI et celles du PNUD sur l’état de notre économie ne s’accordent pas. Les deux institutions ont statutairement deux approches différentes de l’estimation de la vie économique d’un pays; ce sont comme deux partitions à l’intérieur du même concert ; chacune se jouant avec son instrument de musique mais toutes deux concourant à la même symphonie : le développement harmonieux.
Le FMI conformément à ce qu’indique sa dénomination a pour responsabilité d’assurer la stabilité du système financier international à travers les banques et les marchés financiers notamment. C’est principalement dans cette optique qu’il suit l’évolution de l’économie de chaque pays. Il se préoccupe ainsi entre autres, de la performance des finances publiques ; des recettes douanières et autres recettes fiscales dans leur progression par rapport à l’économie ; des dépenses d’investissement ; du déficit budgétaire par rapport au PIB ; de l’inflation. Le FMI prend également en compte la croissance et les perspectives des économies. C’est essentiellement et non exclusivement sur ces données que l’institution apprécie la santé de l’économie d’un pays. Elle ne s’occupe toutefois pas du quotidien des citoyens.
Le PNUD comme l’indique également sa dénomination s’occupe principalement de développement. A ce titre il intervient, en matière d’économie, dans la réduction de la pauvreté, dans l’environnement et dans l’énergie ainsi que dans le renforcement des capacités dans divers domaines. En matière politique, il apporte son assistance dans la gouvernance démocratique et la prévention des crises. En matière sociale le PNUD intervient dans les politiques en faveur de l’émancipation des femmes et de la lutte contre le VIH/SIDA. Il traite de croissance et mène des actions concrètes pour aider à son amélioration. Il vient en aide à l’Etat pour tout ce qui peut concourir au développement et au mieux-être des gens. Par contre il ne s’occupe pas de problème monétaire en tant que tel. Il peut donc se faire que compte tenu du domaine d’intervention de chacune des deux institutions et des paramètres exposés ci-dessus, le FMI délivre un satisfecit à un pays alors que le PNUD indique que sur une période donnée la pauvreté monétaire ou non monétaire n’a point reculé. Il demeure que le PNUD ne s’occupe pas non plus du quotidien des citoyens.
Si la polémique s’était installée au niveau des différentes appréciations que les deux institutions ont porté sur l’état de l’économie de notre pays, c’est parce qu’en réalité les médias ont mis au centre des deux rapports le quotidien du citoyen ; en d’autres termes son bien-être alors que dans notre système statistique nous n’avons apparemment pas de chiffre qui l’évalue; et c’est là que le bât blesse. Nous avons laissé à d’autres le soin de le faire à notre place sans possibilité de leur porter la contradiction techniquement. De quoi nous plaignons-nous alors et comment ne veut-on pas que le tollé saisisse l’opinion lorsque les autorités tirant le meilleur des deux rapports lui disent à brûle-pourpoint qu’en définitive l’économie de notre pays ne se porte si mal alors que le panier de la ménagère peine à s’emplir ?
La Genèse de l’indice du bonheur
Le Bouthan petit pays d’Asie dans l’Himalaya d’à peine 3 millions d’habitants a été le premier à introduire la notion du bonheur dans l’économie. C’était une alternative au Produit intérieur brut (PIB), l’indice standard du système capitaliste libéral à qui l’on reprochait des insuffisances. En effet le PIB résulte de l’accumulation de toutes les productions du pays sur une année ; il mesure son niveau de richesse matérielle pris dans son ensemble et de façon anonyme : il n’est donc pas significatif de la situation matérielle effective des gens ; il ne figure en rien leur bien-être. Par ailleurs il ne prend pas en compte l’économie informelle.
Le petit pays d’Asie a alors décidé en 1972 de remplacer cet indice par celui du Bonheur national brut (BNB) C’est une tentative de définition du niveau de vie en des termes plus psychologiques conformes aux valeurs spirituelles bouddhistes, à l’environnement socioéconomique du pays et à une volonté de mettre l’accent sur le bien-être des citoyens. L’indice s’appuie sur quatre critères : le développement économique, la sauvegarde de la culture et de l’environnement, le bien-être psychologique des individus et la bonne gouvernance.
L’indice du bonheur national brut a connu son temps de séduction sur les différentes économies. Cinq conférences internationales ont eu lieu sur le sujet depuis 2004. La dernière en date s’est tenue en 2011 sous l’égide de l’ONU. Par ailleurs cette dernière a institué le 20 Mars journée du Bonheur National Brut.
Mais il convient de noter qu’au Bhoutan même, la jeune génération remet en cause l’indice qui a fait la renommée du pays sans pour autant l’abandonner totalement. Elle reproche au BNB d’être plus un outil politique qu’un véritable outil de mesure de la réalité. L’Inde principal bailleur de fonds du Bouthan a, suite à des revers diplomatiques entre les deux pays, suspendu ses subventions aux importations du gaz domestique et du carburant ; ce qui a eu pour conséquence au Bouthan la flambée des prix de ces produits en 2012, la montée du chômage et autres revers d’une économie en difficulté mettant ainsi en cause l’efficacité de la théorie du bonheur national brut.
En 1990 l’Organisation des Nations Unies, tirant partie de la philosophie de l’indice BNB, a créé l’indicateur de développement humain (IDH) qui est calculé et publié tous les ans en se fondant sur trois critères majeurs : le PIB par tête, l’espérance de vie à la naissance et le niveau de formation.
Il convient de noter qu’en juillet 2011 l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, sans vote, une résolution sur le bonheur comme une approche globale du développement. Dans sa résolution, l’Assemblée invitait les États Membres « à élaborer de nouvelles mesures qui tiennent mieux compte de l’importance de la recherche du bonheur et du bien-être afin d’orienter leurs politiques de développement ».
Quant à l’indice du bonheur il a été mis au point par un Conseil de direction du réseau des solutions pour le développement durable : une ONG nous ont précisé les professionnels que nous avons approchés. Selon les informations dont nous disposons et sous toute réserve, l’indice agrègerait les critères suivants : PIB par tête, espérance de vie en bonne santé, formation, absence de corruption, la générosité, avoir quelqu’un sur qui compter et la possibilité de faire ses choix de vie librement
Enseignements que nous pourrons tirer du rapport de cette institution
Le PIB et le taux de croissance ne suffisent pas à évaluer le bien-être effectif des citoyens pris dans leur individualité ainsi que l’ont estimé les autorités Bhoutanaises. Cependant nous ne recommanderons pas la détermination d’un indice du bonheur pour notre pays. L’Etat ne peut chercher le bonheur de chacun mais il se doit de rechercher son bien-être. D’ailleurs il n’est pas certain que le happiness anglais donne exactement la mesure du sens profond, totalement intime et privé à la limite du métaphysique que nous donnons en Français au substantif bonheur. Le world happiness report serait probablement mieux compris en Français si on l’avait plutôt intitulé Word welfare report. Au demeurant l’on constate l’usage entremêlé et sans distinction les termes bonheur et bien être : signe de confusion des deux notions.
L’indicateur du bien-être des gens que nous suggérons pourrait s’établir sur la base des critères suivants :
Le PIB. Ce critère est classique et il nous est utile d’autant que c’est le langage que comprennent les investisseurs le mieux. Mais il n’est pas sans reproche ainsi que nous l’avons mentionné plus haut.
La croissance. Le critère indique la progression d’une économie ; il est tout aussi important pour les investisseurs mais grosso modo il fait face aux mêmes critiques que le PIB. Au demeurant la croissance économique ne permet de combattre la pauvreté et les inégalités que si elle est inclusive Or chez nous elle ne l’est pas.
Les logements sociaux réels. Il ne s’agit pas de villas de plain pied mais de bâtiments en hauteur susceptibles de loger un grand nombre de citoyens à coût réduit
Les scandales financiers Leur nombre mais aussi la manière dont ils sont réprimés reflétant ainsi le niveau de protection du bien-être du citoyen.
Le retour sur réalisation de projets de développement c’est-à-dire la détermination de ce qui reste concrètement après la réalisation d’un projet une fois que l’on a déduit les salaires des internationaux notamment et les diverses charges administratives. Comment ce projet a-t-il amélioré le bien- être des gens et pour combien de temps.
L’espérance de vie à la naissance
La protection sanitaire des citoyens et l’assurance vieillesse pour tous
Le respect des libertés civiques, des droits de l’enfant et des femmes
La sauvegarde de la salubrité. Combien de décharges non sauvages avons-nous dans le pays et combien d’incinérateurs.
C’est ainsi que nous percevons la manière dont le gouvernement pourrait évaluer le bien-être de ses citoyens qui est la finalité de toutes politiques publiques. Pourquoi ne pas en discuter avec le PNUD ? Les éléments constitutifs de cet indicateur ne sont rien d’autre qu’un sérieux tableau de bord pour une gestion saine et efficace du pays à bien d’égards. Et si nous avons notre propre indicateur, il serait aisé de porter la contradiction en toute dignité à un classement qui ne nous conviendrait pas sans avoir à demander des comptes, les mains nues, à ceux qui l’auront fait à notre place. Et c’est pour quoi nous abordions déjà la question de l’appréciation de notre bien-être dans une réflexion datant d’Avril 2012 portant ‘’Stratégie de développement et affranchissement’’
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