Bénin : quand l’acadja fait des morts chez les riverains du lac Ahémé

Accusations mutuelles, rumeurs de vol, violences, affrontements… et même des morts. L’usage, sur le Lac Ahémé, de la technique de pêche à base de branchages, dite ‘’acadja’’, pourtant proscrite, suscite de vives tensions entre populations riveraines.  La réalité des faits, les explications des uns, la version des autres, sur ce dossier à fond politique ? Enquête d’une équipe de la Rédaction.

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Branchages et bambous de chine plantés ça et là dans l’eau du lac. Et, concentrés à quelques encablures au large de Ouèdèmè Péda. Dans les alentours, quelques rares pêcheurs, dont une vieille femme qui jette incessamment son filet pour pêcher des crabes. A ces pêcheurs, s’ajoutent des enfants qui, très gais, se baignent sans être inquiétés. C’est l’ambiance qui régnait, ce samedi 9 Novembre, aux environs de 12 heures, sur le Lac Ahémé, du côté de Ouèdèmè-Péda, dans le département du Mono.

Selon les riverains, les branchages et les bambous qui surplombent le  lac, soutiennent d’autres tas de branchages, installés sous le lac, par certains pêcheurs, pour piéger des poissons. Il s’agit là, d’une forme de pêche  pratiquée sur ce lac. Son nom, «Acadja». «Cela fait déjà trois ans que ceci dure. C’est vrai que nos grands parents pratiquaient le «Acadja». Ce qu’ils ont cessé, entre temps. Depuis courant 2009, les gens ont repris», a expliqué Mèdého Dansou Edmond, un pêcheur professionnel de Ouèdèmè-Péda. Mais qui sont ces pêcheurs qui pratiquent cette forme de pêche ? A cette question, Edmond Dansou Mèdého pointe du doigt les pêcheurs du département de l’Atlantique, notamment ceux de Kpomassè.

Cette forme de pêche est, avec d’autres techniques de pêche à base de branchages,  dites «Adjakpo», «Amèdjrotin», «Agbodowègo», «Komiko», «Djètohloué», «Tohounga»…, pourtant interdite au Bénin. Mais, en dépit de leur interdiction, toutes ces formes de pêche sont pratiquées sur le lac. Et cela pas seulement par les populations du département de l’Atlantique. Il y a aussi des ressortissants du Mono qui s’y adonnent. Et c’est le cas de Daniel Agbossou et de Sossa Jean-Marie. Tous deux pêcheurs professionnels de Akodéha Kpodji, pour qui seule la faim justifierait leur pratique du «Acadja».  Selon Daniel Agbossou, c’est parce que les autres communautés qui ne le pratiquent pas, n’arrivent pas à acquérir le dispositif nécessaire.

Précarité, exode, déscolarisation…

La pratique de «Acadja» et des autres formes de pêche prohibées par certaines communautés de pêcheurs complique l’existence aux autres pêcheurs qui se disent respectueuses des textes en vigueur en matière de pêche au Bénin.

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D’après Dame Christine Amoussou, épouse d’un pêcheur de Ouèdèmè Péda,  la pratique du «Acaddja» a rendu très cher le coût du poisson dans la région. Car, «la quantité de poissons qu’on achetait à 200 francs Cfa, est passé à 1.000 francs Cfa», affirme-t-elle. Et à Kouassi Goussi, une autre épouse de pêcheur d’un autre village voisin, Akodéha Tossouhon, situé aussi dans le Mono et subissant les affres du «Acadja», de renchérir : «la faim augmente dans nos foyers. Car nos maris n’arrivent plus à bien prendre soin des enfants et de nous-mêmes». «Nos femmes nous ont abandonnés pour aller servir de domestiques en ville. Elles ont également abandonné leurs enfants», a expliqué Hounguè-hantin Goudjinou, pêcheur à Akodéha Tossouhon. Des enfants qui, selon, ce dernier, n’arrivent plus à aller à l’école, les moyens financiers faisant défaut.

Outre ses deux villages, Akodéha Tossouhon et Ouèdèmè Péda, plusieurs autres communautés de pêcheurs situées dans le département du Mono, comme celles de Guinzin et Kpétou, soufrent le martyre. Pendant que les pratiquants du «Acadja» gagnent jusqu’à trois millions, à la fin de chaque saison de pêche.

Démission et complicité

L’usage des «acadjas» et autres techniques de pêche sédimentaire, par les populations riveraines du Lac Ahémé, se fait en violation de la Loi. Notamment de l’article 5 de l’Arrêté N°069/MDR/DC/CC/CP du 12 mars 1997 portant réglementation de la pêche sur le complexe Couffo-Lac Ahémé-Chenal Aho-Lagune Côtière. Ces violations de la Loi, par des groupes de pêcheurs qui disent le faire «parce qu’ils ont faim, comme l’a confié Daniel Agbossou, un pêcheur originaire de Kpodji», sont le résultat de la défaillance de l’Etat. Qui, à travers ses structures spécialisées en la matière, comme le Carder, est chargé du contrôle et de la surveillance des cours d’eau. En effet, pour le respect des textes de la République, «avant, confie un pêcheur, le Carder – cette structure étatique chargée de la mise en œuvre des politiques de l’Etat dans le domaine de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche – avait un représentant qui veillait sur le lac, mais depuis un moment, plus personne ne vient».

Si l’équipe de la rédaction n’a pu contacter des responsables du Carder pour avoir des éléments justificatifs de cette défaillance de contrôle et de surveillance, nul doute sur les dessous politico-politiciennes et électoralistes, de l’usage par certains groupes des ‘’acadjas’’ et autres techniques de pêche interdites. Selon les pêcheurs opposés à son utilisation, «ceux qui utilisent les acadjas disent, à qui veut les entendre, qu’ils ont l’autorisation du Président Boni Yayi». Les déclarations de certains hommes politiques, natifs de la région et proches du Pouvoir, précisément celles de l’ancien ministre Grégoire Akoffodji, confirment bien «le complot». «La personne qui a le pouvoir d’enlever les ‘’acadjas’’ de l’eau, cette personne  n’est pas encore née. Ecoutez-moi bien, et dites-le à vos frères qui n’ont pu venir et qui sont à la maison que moi – l’ancien ministre – je dis que la personne ayant le pouvoir de faire retirer de l’eau les ‘’acadjas’’, n’est pas encore venue au monde», a déclaré en langue fon le député Akoffodji lors d’une rencontre tenue à Kpomassè avec les pêcheurs de la Commune, utilisant les ‘’acadjas’’. L’élu du Peuple qui se réclame être un partisan du Chef de l’Etat, n’a pas eu de retenues dans sa déclaration et dans ses agissements, qui en plus d’aller à l’encontre de la Loi, laissent transparaître une certaine complicité de l’Etat. «C’est le Président Yayi Boni qui m’a demandé ce qu’il pouvait faire aux populations de Kpomassè, en attendant de pouvoir honorer sa promesse de désensablement du lac – opération qui coûterait beaucoup de milliards – et je lui ai dit ‘’acadjas’’», a-t-il confié aux populations.

Affrontements

L’autorisation de violer les lois du pays, accordée en compensation d’une promesse non encore honorée, embrase la région. Des pêcheurs, ayant les moyens financiers, encombrent le Lac des «acadjas». Et ce, au détriment d’autres pêcheurs aux moyens limités, qui affirment ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins vitaux, du fait des ‘’acadjas’’. Selon Pascal Glokpon, président de l’Association de lutte contre la famine – association basée à Kpomassè, et qui regroupe en majorité des pêcheurs utilisant les ‘’acadjas’’,  ces pêcheurs aux moyens limités sabotent et détruisent les ‘’acadjas’’ des autres, qu’ils jalousent du fait de leurs revenus générés par cette technique.

Subvenir à ses besoins étant vital, pour les uns, et protéger ses investissements, un devoir pour les autres, la tension est patente.

De part et d’autre du Lac Ahémé, il y a des choses à défendre. Les discours va-t-en guerre sont de ce fait sur toutes les lèvres. Les «on est prêt à enlever les ‘’acadjas’’» d’un côté se heurtent à des «nous aussi on s’apprête, on va se tuer», de l’autre. Qui, à en croire Daniel Agbossou, est prêt à retirer de l’eau les ‘’acadjas’’, si seulement le Chef de l’Etat le leur demande. «Le kpayo est interdit, mais les populations ne vont pas s’en prendre aux étalages des revendeurs», compare-t-il pour expliquer leurs positions. Les accusations mutuelles de détention d’armes de combat, notamment de fusils et de gourdins, fusent de toutes parts. Les rumeurs de soutiens d’hommes politiques et de caciques du Pouvoir également. Kpomassè accuse les pêcheurs du Mono, précisément ceux de Ouèdèmè, d’agir avec la bénédiction de leur Chef d’Arrondissement. Pour ceux-ci, Kpomassè agirait sous la direction de barons du Pouvoir, comme l’ancien ministre Akoffodji. Aussi, les populations des villages de l’Arrondissement de Akodeha, opposées à l’usage des «acadjas», accusent-elles celles de Kpomassè, utilisant les techniques de pêche en branchage, de tentatives de viol, d’attaques. Ces dernières répliquent et accusent également les autres de vol et de sabotage. Plusieurs cas d’accusation de vol, de tentatives de viol et de sabotages de biens d’autrui, sont actuellement pendants devant les tribunaux.

Les risques sont là, en permanence dans l’air. Et les affrontements entre populations riveraines du Lac Ahémé semblent imminents. Notamment entre populations riveraines originaires du département Mono, précisément les pêcheurs de Akodéha-kpodji, de Klomè et autres villages où l’usage des ‘’acadjas’’ est de mise, et les populations des villages de Ouèdèmè-Peda, de Akodeha Tossouhoun, mais aussi entre ces dernières et les pêcheurs du département de l’Atlantique, précisément de Kpomassè.

Quand on sait que, par le passé, les affrontements entre pêcheurs sur le Lac Ahémé s’étaient soldés par des pertes en vies humaines, il y a des raisons de craindre le pire.

Camille A. Segnigbindé & Yao Hervé Kingbêwé

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