Interview : Les réalisations du recteur de l’Uac, Brice Sinsin en 24 mois de gestion

Cela fait déjà 2 ans que vous avez été investi recteur de l’Uac avec assez d’espoir aussi bien au niveau du personnel enseignant que des étudiants. De façon concrète qu’est-ce qu’on peut retenir de ces 2 ans ?

Je crois que quand on est dans l’académie, ce qui préoccupe le plus c’est de savoir si les deux missions fondamentales d’une université sont remplies ? La première : c’est ce qu’on peut appeler les missions académiques normales, l’enseignement. Alors si on se place du côté académique, ce qui remettait en cause la qualité de l’enseignement à l’Uac, c’est que les années académiques étaient illisibles. On finissait parfois en janvier, en mars. Quand bien même lorsqu’on programme sur papier le calendrier académique, on dit toujours c’est en décembre, c’est en novembre, un peu pour simuler une année sur l’autre ce n’était pas cela dans la réalité. Il fallait normaliser. Je crois que c’est extrêmement important. Vous ne pouvez pas vous imaginez comment une année complètement décousue, illisible crée des difficultés aussi à la mobilité des étudiants. Lorsque vous devez aller ailleurs on se dit mais tiens, votre université n’a même pas d’année académique. Est-ce que vous vous-êtes formé en 2 mois ? En 3 mois ? En 6 mois ? En 9 mois ? On ne sait quasiment plus rien. Je crois que c’est les universités ivoiriennes qui étaient les premières à payer ce pot. Où à un moment donné, les bacheliers ivoiriens n’étaient plus du tout pris au sérieux. Ils étaient refusés dans beaucoup d’universités européennes. Je crois que c’est surtout ça.

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La seconde : la recherche.  Quand j’étais déjà vice-recteur, j’avais défini un nouveau processus de recherche. Comment conduire la recherche universitaire c’est-à-dire en équipe interdisciplinaire, inter facultaire et structurée de telle manière qu’on prenne en compte toutes les composantes d’une université. Les étudiants-mémorants, les doctorants qui sont normalement la cheville ouvrière, et toute la structure de l’encadrement, de l’assistant jusqu’au professeur titulaire. Je crois qu’on répète ce qui avait été fait mais dans l’amélioration bien entendu. Et aussi avec plus d’échelle. Etant donné qu’on n’avait pas si tant de moyens quand je mettais cela en place. Maintenant on a consacré un peu plus de moyens.

D’où viennent ces moyens-là monsieur le recteur ?

Bon on se serre toujours la ceinture. Ce n’est pas qu’il y a davantage de ressources qui arrivent. Pas du tout. C’est toujours les 900 et quelques millions qu’on (le gouvernement, Ndlr) donnait depuis 10 ans, voire plus, qui continuent de tomber dans la marmite de l’Uac. Donc si vous voulez construire, et que vous n’avez pas un sauveur suprême, vous voyez en vous-mêmes, où est-ce qu’il faut couper, où est-ce qu’il faut raccorder, qu’est-ce qu’il faut essayer d’améliorer, il faut réaliser les économies pour votre politique. C’est ce qui a été fait. Et ça nous a permis de créer un certain nombre, je dirais, de structures d’abord d’accompagnement, la mutualisation, l’environnement, le cadre de vie. Nous passons quasiment la majeure partie de notre temps en ces lieux, il faut rendre le lieu capable de vous servir toujours de source d’inspiration. Et là, j’y tiens extrêmement. Pour moi, un lieu attrayant, ça vous met en défi et ça fait que vous êtes toujours plus motivés pour rendre en tant qu’étudiant, en tant qu’enseignant, en tant que personnel administratif le meilleur de vous-même. Et donc ça été un grand chantier. Je pense que de plus en plus, notre campus prend un plus beau visage. Tout au moins par comparaison à ce qui existait.

Et cela malgré la gratuité de l’enseignement supérieur qui vous prive d’assez de ressources.  On a d’ailleurs eu l’impression que cette mesure gouvernementale a été mise en œuvre sans que le Rectorat n’ait le décret l’instituant

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Oui. Le problème qui s’était posé c’est que ce décret qui a été pris- le Secrétaire général du Gouvernement dit qu’il  l’ a ventilé et il a prouvé par la suite- n’a pas été ventilé avec l’assurance que chaque structure concernée ou ampliatrice a bel et bien reçu le document. Mais dans la vie, il faut toujours diriger avec logique et bon sens. En réalité quand je prenais cette décision je n’étais pas informé du décret, mais le bon sens veut quand même que vous payez par le passé votre inscription et qu’une autorité dit je prends sur moi ces charges ça ne peut être que dans le domaine que vous avez choisi en premier. Mais si vous voulez compléter un peu votre propre formation, acceptez qu’on ne peut quasiment tout vous donner in extenso. Alors, si vous voulez vous inscrire, choisissez votre établissement, il n’y a aucun problème, l’Etat prend en charge cela pour vous mais dès que vous quittez cela pour vous inscrire ailleurs il n’y a rien à faire vous payez alors pour cette seconde inscription. Je crois que c’est une question de bon sens et c’est ce qui a été pris et fort heureusement quand nous avons mis la main sur le fameux décret, ça allait dans le même sens.

Est-ce que ce n’était pas une grave erreur de la part de l’université de mettre en œuvre une mesure sans toutefois avoir le décret y afférant ?

C’est ce que la pratique courante vous impose. Déjà dans quel contexte le décret a été pris. On était en pleine campagne et le Chef de l’Etat a dit moi je prends cela en charge un  peu pour montrer l’assistance qu’il pouvait apporter à une communauté. Et à l’époque aussi toutes les structures devaient accompagner cela. Mécaniquement on se dit accompagnons-le.

Mais vous auriez dû dire au Chef de l’Etat qu’une telle mesure ne peut pas continuer dans la durée ? Dans aucune université du monde les inscriptions ne sont gratuites !

Imaginez que chaque fois que le Chef de l’Etat prend une décision contestable, chacun se cambre. Le pays ne peut pas fonctionner. C’est pourquoi il y a ceux qu’on appelle les conseillers. Le conseiller devrait avoir muri cela. En principe, le gouvernement a décidé de combler ce que cette mesure crée comme gap financier au niveau des facultés qui n’ont que ça pour ressources.

Et le gouvernement a compensé ?

Nous nous sommes rendu compte que nous tournions autour de trois quart, quatre cinquième de ce qu’on devait avoir normalement par rapport à ces mesures. Cela nous crée alors un déficit allant de 20 à 25% sur ce qui était normalement attendu.

Est-ce que la subvention de l’Etat par rapport à la gratuité vient à temps ?

Non. Non. C’est échelonné dans le temps, par trimestre.

Est-ce qu’avec ce que l’Etat vous donne chaque année et les frais d’inscription vous pouvez chiffrer votre budget ?

C’est autour de, disons 7 milliards.

Mais c’est beaucoup d’argent ?

Ça paraît beaucoup d’argent. Mais ce n’est pas trop non plus. Il ne faut pas se leurrer. Normalement, une université, je dirais qui a notre effectif…

Combien ?

On a démarré avec 80.000 ma première année, nous avoisinons maintenant les 100.000.

100.000 ?

Ce n’est plus vraiment une université. C’est un gros village que nous gérons. Et d’intellectuels. Parce que le minimum c’est le Bac. Et il faut aussi compter une trentaine d’établissements. Nous tournons autour de 1000, 1200 personnels enseignants avec à peu près 700 personnels techniques et d’encadrement. Donc c’est un beau monde. Lorsqu’on prend les facultés techniques, les écoles techniques, rien qu’en consommable seul, ceux dont on a besoin pour réellement faire les Tp (travaux pratiques), les Td (travaux dirigés) aux apprenants, ça pèse énormément dans la balance de ces entités. Ce n’est pas pour rien que les étudiants parlent de faux frais.  Mais à un moment donné lorsqu’il y a un gros déficit et que l’enseignant se dit mais je dois quand même pouvoir leur apprendre telle ou telle chose, il est obligé de faire avec en demandant un peu de contribution. Pour les écoles techniques, vous savez, ça n’a de sens que lorsque les professionnels viennent directement montrer la main aux apprenants. Et comme ça, les collègues qui ont à charge cette gestion sont obligés de faire appel à beaucoup de vacataires professionnels. Il faut les payer, les motiver pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes aux apprenants. Il y en a aussi qui font beaucoup de développement. Par exemple, l’Enam (Ecole nationale d’administration et de magistrature) qui a construit beaucoup d’infrastructures, l’Eneam (Ecole nationale d’Economie appliquée et de management), pareille. Voilà à peu près comment cela montre que ces quelques milliards- c’est déjà pas mal- mais ce n’est pas suffisant.

En 2010, le gouvernement a décrété la mise en œuvre du système LMD dans l’enseignement supérieur au Bénin. Est-ce qu’aujourd’hui, toutes les facultés, toutes les entités de formation de l’Uac sont dans ce système ?

Il y a encore deux ou trois ans, il fallait expliquer ce que c’est que le système Lmd (Licence-Master-Doctorat). Sa première exigence, ‘’semestrialiser’’ la formation. En fait l’apprenant peut n’avoir besoin que d’un semestre pour aller se perfectionner là où il travaille. Pour venir rapidement acquérir de nouvelles connaissances, il n’a pas forcément besoin de boucler douze mois avant d’avoir un parchemin. Et si le type de formation qu’il a choisi nécessite plusieurs semestres, il prend alors son inscription semestre par semestre. Nous n’en sommes pas encore là mais la plupart des établissements connait ce qu’on appelle ‘’semestrialisation’’.  Vous savez avant, un professeur programmait une heure, une heure et demie, deux heures par semaine sur un cours qu’il peut trimbaler sur neuf mois de l’année. C’est à l’étudiant de garder chaque jour le fil sur neuf mois. Pour nous autres qui avons été formés dans les écoles, c’est beaucoup plus facile pour nous parce que nous recevions beaucoup de professeurs visiteurs et un professeur visiteur c’est en une semaine qu’il vous donne l’essentiel. Et nous fonctionnions aussi de manière modulaire. Donc les cours ne sont pas programmés n’importe comment. Les cours sont programmés pour toujours vous donner une certaine compétence et donc leur regroupement n’est pas fait de manière mécanique. C’est fait de manière tout à fait imaginée, bien réfléchie pour vous permettre de cerner le message en bout de formation. Aujourd’hui je peux dire que toutes les écoles connaissent ce qu’on appelle la ‘’semestrialisation’’. C’est déjà une étape importante.

Les effectifs ne sont-ils pas un frein à la mise en œuvre de ce système ? Les effectifs d’abord des étudiants ensuite des enseignants ?

Enormément. Vous savez c’est toujours un drame pour un pays en voie développement d’avoir des salles de plus de 50 apprenants. Je crois en Grande-Bretagne maintenant c’est autour de 30 places une salle normale aujourd’hui. On peut dire que c’est un luxe mais ce n’est pas vrai. C’est le souci que l’on a de bien former ceux de demain, ceux qui vont prendre la relève de demain. C’est ça qui fait que les gens croient que lorsque les autres disent nous voulons une salle de taille moyenne, ça paraît un luxe. Ici nous parlons des amphis de 2000, 3000, de 4000 étudiants. C’est évident que nous ne formons pas bien.

En parlant de salles, plusieurs ont été construites sous votre mandat ?

Il y en a eu relativement par rapport à un passé où on se contentait de ce que nous avons hérité depuis de très-très longues périodes. Il faut reconnaitre, nous avons bénéficié d’amphis grâce au gouvernement et aussi de la politique interne de cette équipe qui est que la coopération est une très-très importante source pour attirer des revenus vers l’université et les convertir en infrastructures. Voyez la coopération dynamique a fait que des privés ont commencé à s’intéresser à la vie des étudiants sur le campus en construisant des infrastructures. Nous-mêmes, nous avons dégagé aussi une bonne partie de notre budget pour les infrastructures voilà à peu près comment nous évoluons.

Sans oublier le téléthon pour la construction d’un amphi…

Quand on cherchait les ressources partout, ce qu’on a trouvé de mieux, c’est de copier un peu nos collègues anglo-saxons. Quand je dis ‘’Alumni’’ ça ne dit rien ici. Quand je dis association des anciens étudiants ça ne vous dit quasi rien. Là-bas c’est sacré. Un téléthon c’est simplement aller chercher de l’argent. Mais chercher de l’argent normalement dans le cadre académique ça devrait être orienté vers tous ceux qui ont tiré avantage de cette université. C’est d’abord eux que l’on vise et chacun vient. Ce n’est pas du tout une déception. Je crois qu’à ce jour on tourne autour de 87 millions de fcfa probablement. Pour moi, pour une première c’est déjà le succès espéré. C’est vrai on n’a pas atteint nos objectifs mais pour une première je pense que c’est extrêmement important.

Le téléthon est toujours ouvert ?

Toujours. On ne l’a pas fermé. On a refusé de faire un téléthon à date limite.

Dans le cadre de ce téléthon, le Chef de l’Etat qui a été lui aussi étudiant à la Faseg avait promis prendre une décision en Conseil des ministres. Cette décision a-t-elle été prise ?

Je suppose que c’est plusieurs décisions en attente avant que la décision du téléthon n’arrive. On espère que tout doucement notre dossier viendra à la surface de la pile. Nous sommes toujours dans l’attente de ce fameux Conseil des ministres pour rapporter davantage de moyens.

Comment est-ce que vous gérez le déficit en infrastructures pédagogiques et les effectifs pléthoriques ?

C’est vrai que l’Unesco a dit pour avoir une bonne formation il faut un ratio enseignant/ étudiant de 1/25. Pour un enseignant, vous devez avoir à peu près 25 étudiants. Nous sommes à 1/400 voire 1/500 dans certains établissements. Et au niveau de la moyenne arithmétique, nous tournons autour de 1/80 étudiants. Je crois que c’est énorme et inquiétant. Pour tout ce que nous faisons, comme on le dit au Bénin, on gère un peu la crise. Nous gérons l’existant. On essaye de mutualiser énormément de ressources. On contraint nos collègues à faire plusieurs groupes de répétition, un peu comme au secondaire.

Mais et la formation des formateurs ? Qu’est-ce que vous accordez à cela dans le budget ?

Disons qu’il faut d’abord remercier l’Etat qui a mis en place un système de formation des formateurs en essayant de dégager des ressources pour aller les former surtout à l’étranger. C’est toujours une source qui est tout à fait  disponible et accessible. A l’interne, les écoles doctorales sont relativement bien dynamiques et jouent ce rôle. Maintenant il faut aussi leur trouver un emploi. Lorsqu’ils sortent docteur, ils ont la qualification nécessaire pour pouvoir enseigner dans une université. A partir de cet instant c’est au budget national de nous adresser, parce que l’université n’est pas encore décrochée, on reste toujours dépendant du budget national. Il faut aussi que le budget s’aligne pour pouvoir les recruter en nombre suffisant pour l’encadrement des apprenants. Je peux dire de ce point de vue que nous formons suffisamment. On tourne autour de 110 à 120 docteurs qui soutiennent globalement chaque année.

Est-ce que vous avez évalué par exemple le besoin de docteurs en Anglais, en Mathématiques  dans 10 ans. Est-ce que vous avez ce genre de politique ? Ou bien c’est au petit bonheur la chance ?

Je crois qu’on avait dit chaque année, que l’Uac seule devrait recruter régulièrement 100 enseignants sur 5 années. Ce qui est un strict minimum pour compenser tout au moins le flux qui nous arrive annuellement. Avec la progression qui est là dans le temps, on parle aujourd’hui de 32000, 33000 bacheliers, il faut dire que nous allons progressivement évoluer vers les 50.000, 60.000 bacheliers. Il faut les caser, prévoit leur formation. Cela veut dire qu’il faut à peu près 300 enseignants qu’on recrute chaque année pour aller très vite et parvenir probablement à un état d’équilibre qui sera peut-être dans 20 ou 30 ans.

Vous avez les moyens pour former les 300 -là par an ?

Comme je l’ai dit, ce n’est pas que les écoles doctorales qui forment, il y a l’étranger aussi qui aide l’Etat. Il y a beaucoup de domaines pour lesquels nous n’avons pas les formateurs. Les domaines comme l’informatique, vous comptez les experts au bout des doigts. Heureusement que l’Union soviétique avait formé beaucoup d’ingénieurs en polytechnique. Aujourd’hui c’est au compte-goutte que vous avez quelqu’un qui est formé en génie-industriel et ainsi de suite. Vous voyez, ça fait que si on ne se met pas dans une vision globale, on risque de se leurrer.

Cette année, le Cpuaq (Centre de perfectionnement universitaire et d’assurance qualité) a formé 100 enseignants. Est-ce que l’expérience va continuer ?

Toujours. Maintenant c’est une institution et elle doit fonctionner. Ils ont un budget, ils sont encore mêmes supportés par l’étranger. On a vu qu’effectivement c’est quelque chose d’intéressant qui ne peut que fonctionner.

Alors les trophées. Vous en avez eu beaucoup…

Si, si. Pour un laps de temps, avoir si tant de trophées c’est rare. C’est vraiment rare.

Quel impact cela a sur la renommée de l’Université ?

Voyez. Prenez quelqu’un qui est dans les affaires. C’est quand il y a plusieurs billets qui tombent dans son compte en banque qu’il est content. C’est ce que tout le monde appelle il est heureux, il est content. Le chercheur, il te dit je suis heureux simplement parce qu’un papier est sorti, est publié. C’est sa joie, il peut aller prendre son champagne rien que pour cela. A fortiori, lorsque vous ne candidatez pas et qu’on vous déclare être digne de recevoir tel ou tel prix académique, ça rehausse d’autant le prestige que l’on peut attendre d’une université c’est-à-dire sa renommée. C’est très important. Je l’ai tout le temps dit. Vous allez dans une université étrangère, on dit mais vous venez d’où ? Et dès qu’on connait à peu près les produits de cette université, la qualité de formation de cette université, c’est déjà un passeport pour vous. Alors si on peut dire l’Uac, l’université aux trois trophées académiques, aux reconnaissances académiques ça peut ouvrir la porte à tout le monde. Pas seulement aux étudiants mais aussi aux enseignants. C’est à nous maintenant de faire l’effort de mériter cela. On est bien centré, je dirais dans les universités respectables.

Malgré les problèmes que nous avons d’effectifs d’étudiants, de sous-effectifs d’enseignants ?

Nous ne sommes pas la première université. Nous ne sommes pas Harvard. Pas du tout. Mais malgré ces difficultés nous sommes en progression normale de performances.

On a quel rang au niveau africain ?

Aujourd’hui nous sommes rentrés dans le top 100. On est 84ème sur 974 universités. C’est un premier pas. Vous rentrez là-dedans. Maintenant, il faut progresser à l’intérieur.

La question des franchises universitaires  faisait partie des exigences des responsables étudiants. Il y a déjà eu deux ou trois échauffourées entre policiers et étudiants sur le campus sous vous. Pourquoi le respect des franchises est toujours un vœu  pieu?  

Non. Comprenons-nous dans les concepts. Normalement l’intellectuel universitaire ne peut être poursuivi, persécuté pour les idées qu’il se donne librement le devoir de défendre, d’exposer, d’exprimer. Tant que vous serrez à l’université, pour des libres pensées, on ne devrait pas vous persécuter par rapport à cela. Et pour que vous puissiez être libres de l’exprimer, il ne faut pas des mesures de contraintes, les forces de l’ordre ; l’appareil de répression de l’Etat ne doit pas être là. Ça c’est la franchise universitaire.

Ça c’est pour les enseignants.

Non c’est pour tout le monde.

Pour les étudiants ? Ils comprennent la franchise autrement.

Si, si. C’est ce que je dis. L’université c’est d’abord un lieu d’expression de la pensée intellectuelle.  C’était, je dirais, si mal appliqué que la plupart des universités africaines s’étaient réunies et ont décidé de ce qu’on appelle la déclaration de Kampala pour normaliser un peu cette franchise universitaire. Dès que vous touchez à un individu, vous touchez aux infrastructures communautaires vous sortez du domaine des franchises universitaires. C’est ce qui me fait dire qu’il n’y a pas de couvent interdit à la police républicaine. Il n’y en a pas. Même au Palais de la Présidence de la République. On entend qu’il y a un crime, dans un Etat démocratique, la police intervient automatiquement.

Ce n’est pas encore le cas. On parle de l’Université où les forces de l’ordre sont une fois  allées jusque dans les résidences universitaires

Les dortoirs ne sont pas des ambassades, les dortoirs ne sont pas des lieux protégés.

Oui mais quand les étudiants n’y font rien de grave, ils font ce qu’ils font c’est-à-dire dormir, apprendre… On ne peut pas envoyer la police ?

Aucune police ne peut avoir le plaisir d’aller perturber la liberté d’un individu si c’est une police républicaine.

Mais ça été le cas en mai dernier ?

Jamais. Impossible. Quel est l’intérêt pour une police de se dire, je descends pour aller violenter.

Ils sont même allés dans le village universitaire .

Qu’est ce qui s’est passé ? Mais reconstituez les faits. Allez demander à n’importe quel policier de venir sur le campus, il vous dira j’irai faire quoi là-bas. Et qui est-ce qu’on appelle policier ? C’est vous (les anciens étudiants, Ndlr). C’est ce que je leur explique toujours. Je reconnais plein, plein qui ont été responsables, qui sont fiers aujourd’hui d’être des officiers de police. J’en connais qui sont commissaires. Pourquoi voulez-vous qu’ils viennent délibérément mater ce qu’ils furent.

Le 04 novembre dernier, ils sont allés dans les amphis et un professeur a été touché.

Qu’est ce qui s’est passé pour qu’on en arrive là. Première des choses. Première portion de l’université à laquelle j’ai fait d’abord confiance, c’est les étudiants. Parce que j’ai été responsable étudiant. J’ai dirigé des mouvements d’étudiants à une période critique, je sais ce que cela signifie. Et quand nous sommes arrivés, les tous premiers avec qui j’ai commencé à bâtir ma politique ce sont les étudiants. La politique de sécurité, j’ai dit c’est avec vous. Comment est-ce que nous pouvons prendre en main un certain nombre de chose, jusqu’à l’hygiène alimentaire, c’est avec eux. Et c’est écrit. Ce n’est pas que c’est des messages. Nous avons écrit toute une stratégie de sécurité sur ce campus. Nous avons rédigé toute une stratégie de l’entretien de ce campus pour qu’ils puissent avoir énormément de sous. Et je leur ai dit, beaucoup de professeurs que vous voyez, en Europe, ils ont fait la plonge, ils ont balayé les rues, ils ont fait ceci, ils ont fait x ou y pour arrondir les fins du mois. Et ça vous forme énormément. C’est ça même le bon citoyen. Nous avons tous acclamés. Les documents sont encore là. Mon collègue, le vice-président de l’Université de Lomé, il est arrivé et je lui ai présenté les cas, il a photocopié en même temps et j’ai appris que c’est cela qu’ils appliquent maintenant à Lomé. Où est ce que nous en sommes ici ? Nous avons tout ignoré.  C’est la même communauté qui est démembré en des portions qui forment un tout. A partir de cet instant, il est inconcevable que chacun se dise je suis le plus fort, je peux aller manifester et rompre le cadre d’entente. je le dis, je ne vais pas m’amuser avec ce grand effectif que nous avons à gérer ici à amadouer les uns, les autres. Chaque portion de l’Etat doit apprendre à jouer son rôle. Mais j’étais aux Etats-Unis. On a interdit à un enseignant qui simplement a eu des propos plus ou moins malveillants et  menaçants envers d’autres de ces collègues. On lui a interdit l’entrée dans sa propre université pendant un an. C’est la plus grande démocratie, c’est ce que nous copions au monde. Mais malgré cela voilà les restrictions qu’il y a. Si vous dites je vais en grève, permettez à d’autres de dire je ne crois à cette grève. A partir de cet instant, ça veut dire que chacun est réellement dans ses libertés.

Vous abordez le dernier virage de votre mandat de trois ans. Ces derniers douze mois à quoi on peut s’attendre. La priorité des priorités ?

Moi je pense qu’il faut poursuivre. Le slogan à l’Uac, c’est «travailler, travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive». Il n’y a pas moi de jour où je décompte à rebours. Ce n’est pas dans mes habitudes. Vous travaillez jusqu’à ce que vous déposiez votre tablier. Et d’autres prennent.

Comptez-vous vous présenter pour un second mandat ?

C’est déjà lourd pour moi de finir mon mandat. C’est très lourd. J’ai le sens du devoir. Une mission est une mission que j’accomplirais. Ici à l’université, je suis en mission. Quand je vous dis oui je vais assumer, et bien je l’assume alors. Vraiment jusqu’au bout. Mais je ne suis pas épanoui ici. Je ne suis pas formé administratif, il y a d’autres collègues qui ont forcément suivi ce genre de chose ou qui aiment cela. Non, non. Moi je suis beaucoup plus formé pour être ingénieur, je suis formé pour résoudre des problèmes dans mon domaine et c’est d’ailleurs par déformation professionnelle que je joue quasiment le même rôle ici. Mon lieu d’épanouissement c’est dans mon laboratoire, dans mes forêts avec les étudiants. Je suis beaucoup plus un homme de terrain que beaucoup d’autres choses.

Aux prochaines élections…

J’ai déjà le budget pour l’organiser.

Avec vous comme candidat ?

Vous savez, Obama a déjà dit quelque chose. L’Afrique n’a pas besoin d’homme fort. Pas du tout enlevez-vous ça de la tête. Je sais que tout converge vers cela et pour la vraie raison, je peux le justifier, il a dit l’Afrique a besoin d’institution forte et vous allez voir tout l’effort que nous faisons autour de l’Uac c’est d’abord les institutions. Beaucoup de services manquaient et il faut les créer ; parfois même en l’absence de texte vous autorisant de le faire. Aucun texte n’est fait pour dire que la société doit reculer. Le texte est toujours fait pour aider à avancer. Donc même si vous n’avez pas de texte, faites avancer la société et accompagnez après. C’est d’abord des piliers et ces piliers sont posés. Il en reste certainement. il faut faire l’effort pour que les institutions puissent être maintenues, être bâties, être construites et être respectées. C’est l’effort de tout le monde. Et il faut faire aussi confiance à la génération qui va vous succéder. Mais quand même, il y a énormément de garde-fous, énormément de service d’accompagnement pour permettre à n’importe quel monsieur qui arrive de travailler.

Homme de vision et d’action, apprécié par ses pairs. Vous pourrez être poussé à briguer un second mandat?

De mon labo, j’aidais l’université c’est vrai d’une autre façon. Le nombre de bourses que je donnais quand j’étais dans mon labo, le nombre de projets que je ramenais, à l’heure actuelle, le parc automobile de mon labo est encore plus fourni que ce que je gère par rapport à ma personne de recteur ici. Mon compte en banque de mon laboratoire est beaucoup plus nanti que ce qu’on me dit mais librement j’ai ceci ici. Qu’est-ce que j’ai à foutre ici. Je sais ce que j’ai perdu en venant ici.

Mais vous avez gagné en notoriété?

Vous voyez, je ne suis pas l’homme des pancartes comme je vous l’ai dit. Il y a les généraux qui adorent leurs mille médailles à la poitrine et l’homme politique qui passent pour se vendre, non, non. Vous savez je ne sais pas ouvrir plusieurs fenêtres à la fois. Si quelqu’un vous dit qu’il peut faire de la recherche et de la politique telle qu’on la fait, c’est faux. Donc c’est une décision qui est là.

Merci, monsieur le Recteur.

Réalisation : Vincent Foly, Léonce Gamaï et Yao Hervé Kingbêwé

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