Au sortir du conseil des ministres du mercredi 5 Février dernier, le gouvernement s’est fendu d’un communiqué dont un extrait fustige en des termes plutôt modérés, ce qu’il a qualifié pompeusement « de dérapages et de dérives verbales dans les débats publics ».
Cette mise en garde ferme et directe a toutes les apparences d’une tentative maladroite et sournoise d’intimidation et de remise en cause des libertés d’expression et de presse chèrement acquises et de haute lutte par le peuple béninois. Il convient donc d’en faire un décryptage sérieux pour mieux en saisir la substance afin que les pouvoirs publics, les hommes politiques et la société civile restent chacun dans son rôle tel que défini par la constitution ; et que personne ne s’érige en donneur de leçons ou détenteur de la vérité démocratique.
La culture comme prétexte
Ce n’est pas tant l’objet de la mise en garde du gouvernement qui est étonnant en ce qu’il touche à nos libertés de parole. Ce sont les arguties invoquées et relativement à notre culture qui détonnent et mettent à nu les desseins inavoués du gouvernement :
« … Le conseil note que ces tendances fâcheuses enregistrées en ce moment sont contraires à notre culture et à nos us et coutumes. Ces attaques n’épargnent personne, encore moins les institutions de la république. Et pourtant toutes nos traditions appellent à la retenue, la tolérance, la considération des aînés et un comportement fait de respect et d’écoute des autorités ».
Ah ! Elle a bon dos la culture béninoise. On lui fait dire tout et n’importe quoi. En effet, et chacun l’aura compris, cette mise en garde soulève en filigrane, la pomme de discorde qui a toujours caractérisé les rapports entre l’actuel chef de l’Etat et le peuple béninois. C’est un secret de polichinelle que Yayi Boni ne supporte pas la contradiction de l’opinion publique, encore moins les critiques (même en privé) de ses collaborateurs. Or, dans le climat de crise sociale actuelle, les Béninois lassés d’un régime qui reste sourd à ses souffrances et frustrations n’a plus que la parole libre et décomplexée comme exutoire ; une manière de montrer que tous les « ..Ils sont trop petits » existent et qu’il faut compter avec eux. On comprend donc que ces critiques assénées à longueur de journée sur les ondes des radios libres, sur les chaines de télévision privées kamikazes et dans les colonnes de journaux privés et indépendants fassent l’effet d’une campagne médiatique anti-gouvernementale qui, naturellement donne le tournis au chef de l’Etat.
De là à tenter d’endiguer l’hémorragie en invoquant le fallacieux prétexte des habitudes culturelles, il y a un pas que le gouvernement aux abois a franchi allègrement en titubant sur son propre terrain déjà savonné par près de huit ans d’un régime politique suspect qui n’inspire plus confiance.
En clair, avec ce communiqué du gouvernement, Yayi Boni lance un ultime avertissement aux Béninois; après il sera trop tard car « …il va bondir » sur toutes celles et ceux qui oseront critiquer son action politique. Voilà le sens et les intentions cachées derrière ce communiqué sibyllin d’une autre époque. Après avoir, huit ans durant semé le vent, le gouvernement s’inquiète des prémisses de la tempête qui menace de l’emporter.
Le chef est à l’écoute de son peuple
Et puisqu’on en est à évoquer la culture comme la source de nos us et coutumes, il me plait de rappeler quelques points d’histoire à nos dirigeants aux réflexes féodaux bien avérés. Même dans les monarchies les plus féroces qui par le passé ont sévi dans diverses régions du Bénin, les rois aussi puissants soient-ils ne détenaient pas un pouvoir absolu sur leurs sujets. Ils étaient assistés d’un collège de conseillers dont le pouvoir pouvait les amener, si besoin était, jusqu’à détrôner le roi. Dans l’ancien royaume de Tchabè si cher au cœur de certains de nos illustres dirigeants actuels, Yayi Boni a appris et se souvient de l’histoire de ce roi, issu de la dynastie des « Amouchous », et qui, en exécution des oracles révélés, a consenti à sacrifier ses deux enfants (une fille et un garçon) pour conjurer le mauvais sort qui s’est abattu sur son royaume.
Aucun sacrifice n’est donc de trop, lorsqu’un chef a une conscience claire de ses responsabilités dont sans doute la toute première est celle d’être à l’écoute de son peuple pour bien le comprendre et mieux le servir. La question pertinente et judicieuse à poser aujourd’hui au président Yayi Boni est, à l’instar de ses ancêtres de la dynastie des Amoutchou, de savoir les sacrifices et les concessions qu’il est prêt à faire pour désamorcer la crise sociale et politique actuelle qui n’honore guère son régime.
En tout état de cause, l’invocation de la culture pour tenter de museler les Béninois est à tout le moins maladroite, et en tout cas inopportune au regard du parcours politique d’un régime qui s’est illustré dans la violation flagrante des droits de l’homme et du citoyen. Pour mémoire le président de la république peut-il nous dire si les faits ci-dessous relatés sont conformes et respectueux de nos traditions :
1) Les enlèvements crapuleux et les disparitions mystérieuses de citoyens comme Dangnivo
2) La spoliation des citoyens par ICC Services dont les promoteurs sont proches et connus du chef de l’Etat
3) La répression sauvage des travailleurs dont le tort est d’organiser une marche pacifique pour revendiquer leurs droits
4) Les insultes et les humiliations proférées à l’endroit des citoyens jugés « trop petits » pour s’opposer à celui qu’ils ont élu
5) La menace de mettre le pays à feu et à sang en suggérant explicitement un affrontement direct entre les partisans du pouvoir et ceux de l’opposition.
Boni Yayi, le seul président à ester en justice
Et pour finir, il n’est pas superflu de rappeler l’histoire récente de notre parcours politique. Depuis le 1er Août 1960, notre pays a connu pas moins d’une dizaine de présidents de la république. De Maga à Kérékou, en passant par Zinsou, Apithy, Ahomadégbé, Soglo etc. etc. De tous ces illustres hommes d’Etat qui ont eu des hauts et des bas, Yayi Boni aura été le seul qui s’est illustré par l’assignation de plusieurs de ses compatriotes en justice ; et ce à titre personnel, sans aucun rapport direct avéré avec les intérêts supérieurs de la nation dont il est le garant.
Cette pratique est-elle conforme aux valeurs traditionnelles invoquées abusivement aujourd’hui pour se donner bonne conscience ?
Les Béninois doivent réfléchir sur ces questions pour, en toute conscience, se forger une opinion.
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