Ce n’est pas tous les jours que les hommes politiques réagissent positivement aux écrits des journalistes. Il n’est pas superflu d’en faire cas, quand cela arrive. La proposition de loi déposée par les députés du Prd vient en échos à un article publié par notre journal au plus fort de l’affaire Talon à un moment où la polémique enflait sur l’obligation ou non de mettre les détenus en liberté après le prononcé du non- lieu par la chambre d’accusation.
La lecture croisée du nouveau code de procédure pénale promulgué par le président de la république le 18 mars 2013 et de la loi 20 N° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédure applicables devant les formations juridictionnelles de la cour suprême montre à l’évidence que le législateur a manqué de vigilance. Nous appelions alors à une prompte modification du code, ce que la proposition de loi du Prd va permettre si l’Assemblée parvenait à la voter promptement. Nous vous proposons in extenso ci-dessous notre article publié le 12 juillet 2013
La polémique sur le caractère suspensif ou non du pourvoi en cassation formé par le Procureur Général Gilles Sodonon, contre les deux arrêts de la Chambre d’accusation, s’estompe peu à peu, au grand dam des avocats de la défense et des défenseurs des Droits de l’Homme. Le nouveau code est au cœur de cette polémique.
Les protagonistes du dossier, et une certaine opinion publique, semblent en effet s’être résignés à attendre simplement le verdict de la Haute Juridiction, avec le secret espoir qu’elle mettra autant de célérité que la Chambre d’accusation pour le rendre.
Guerre d’interprétation
Cependant, au-delà de la polémique suscitée par le pourvoi du PG, c’est bien la question de l’adéquation de nos textes aux réalités du monde moderne, où le respect des Droits de l’Homme est aujourd’hui la chose la mieux partagée, qui se pose de façon lancinante. Et nos compatriotes donnent l’impression de ne pas comprendre qu’à travers les cas Patrice Talon, Olivier Boko et consorts, de Vodonou et de l’ex-procureur Georges Constant Amoussou, c’est le destin des droits de la personne humaine qui se joue et, par ricochet, celui de la démocratie sous le régime dit de la Refondation. Comment comprendre qu’après deux décisions de non-lieu, prises par deux instances d’instruction différentes, des personnes continuent d’être maintenues en détention préventive, pour certains depuis près d’un an ? Chaque camp s’appuie sur deux articles différents du nouveau Code de procédure pénale. L’article 580 pour les avocats de la partie civile qui soutiennent le caractère suspensif du pourvoi, et l’article 581 en son alinéa 03 pour les avocats de la défense qui plaident, eux, la libération immédiate des personnes en détention préventive. La lecture croisée des deux articles, met à nu les insuffisances du nouveau Code de procédure pénale adopté seulement en mars de cette année de grâce 2013. Les deux parties le savent, mais n’en disent strictement rien, du moins publiquement, puisque chacun s’accroche à ce qui l’arrange. Or, si les choses restent en l’état, il y a de grands risques de voir les cas Talon et consorts, Georges Constant Amoussou et autres Vodonou, se multiplier à l’avenir, à cause du silence du nouveau code sur les cas de détention des personnes qui présentent toutes les garanties de représentation.
Le nouveau code en question
Ce nouveau code, dont le professeur Joseph Djogbenou parle comme d’une avancée dans notre droit positif, avec la création non-encore effective du juge des libertés, et la possibilité de se faire assister par un conseil dès la garde à vue, pèche délibérément par une insuffisance de précision dans le caractère suspensif du pourvoi en cassation pour les questions pénales, tel que le prescrit l’article 40 de la loi portant procédure devant la Cour Suprême, évoqué par la partie civile et le Procureur Général Sodonon. (cf Code de procédure pénale commenté et annoté sous la direction de Joseph Djogbénou, agrégé des facultés de droit – Les editions du Credij) Le caractère suspensif du pourvoi en cassation, que le législateur de 2007 a maintenu dans le nouveau Code de procédure pénale de 2013, protège seulement le prévenu qui n’est pas en détention, et reste désespérément muet sur le cas du détenu bénéficiant d’un non-lieu ou d’un acquittement avant pourvoi. Tous ceux que nous avons rencontrés ces derniers jours, dans le cadre de ces dossiers scabreux, l’ont reconnu, ouvertement ou à mots couverts. Le Pg nous dit, dans son interview de l’autre jour, sur le mode péremptoire, que les arrêts d’un juge d’instruction de 1ere instance et celui de la Chambre d’accusation n’ont pas la même importance qu’une décision d’une instance de jugement. Mais c’est un faux problème ! Car un juge d’instruction du premier et du second degré, instruit toujours à charge et à décharge, et peut décider souverainement de retenir certains inculpés dans les liens de la détention ou/et de remettre en liberté d’autres. Dans un pays comme le nôtre, où la présomption d’innocence est largement foulée au pied, ce code prolonge délibérément le calvaire des personnes en détention préventive. Or, dans ce Bénin dit de la refondation, les détentions préventives sont devenues la règle. Avec le recul, on peut se demander si certaines des personnes en détention préventive aujourd’hui, n’y ont pas été jetées arbitrairement. Ailleurs, ce n’est pas le cas. Le cas le plus récent est celui de Bernard Tapie, gardé à vue pendant quelques jours et mis en liberté, alors que ses biens ont été placés sous séquestre. Tapie est en liberté et peut même critiquer la décision le frappant sur les plateaux de télévision. Chez nous, il ne fait pas bien d’être syndicaliste, homme d’affaires ou simplement homme politique, et d’être en opposition au régime ou/et au Président.
Au Bénin, La prison est devenue la règle, la liberté, l’exception
La moindre peccadille peut vous conduire au Commissariat central ou directement en prison : cas des syndicalistes Pascal Todjinou, pour une affaire de contrat d’assurance périmé, et de Dieudonné Lokossou sur simple accusation de non-dénonciation supposée de mauvaise gestion de son entreprise. Cas aussi du même Patrice Talon, gardé à vue pendant 48 heures avant d’être relaxé par le procureur, pour une affaire qui aurait pu être jugée plus sereinement avec un juge instructeur. Cas enfin de Lionel Agbo, avocat et homme politique gardé à vue pendant plusieurs heures au commissariat… pour offense au Chef de l’Etat, avant d’être contraint à l’exil, suite à un procès où le burlesque le disputait au rocambolesque. Dans notre pays, ce n’est plus «la liberté qui est la règle et la prison, l’exception». C’est tout le contraire ! On jette quelqu’un en prison et on l’y maintient d’abord pour l’humilier, et lui prouver qu’il n’est rien, comme si quelqu’un avait besoin de démontrer à la face du monde, qu’après Dieu c’est lui. Chez nous, au Bénin, les officiers de police, ou plus grave, des services de renseignement, comme dans les régimes autoritaires, peuvent séquestrer un juge à son domicile, le faire enfermer de nuit dans les locaux de la Direction générale de la Police, au nez et à la barbe de toutes les autorités judiciaires, sans qu’aucune d’entre elles ne lèvent le petit doigt pour dire : «halte-là ! » De ce point de vue, le nouveau code, par ses dispositions sur le caractère suspensif des pourvois pour les personnes en détention préventive, devient une arme redoutable qui permet à un régime répressif de maintenir indéfiniment ses adversaires politiques en détention, sous le couvert de la loi. C’est pourquoi, les défenseurs des Droits de l’Homme devraient saisir l’opportunité de ce procès à rebondissements, pour réclamer hic et nunc la révision de ce nouveau code, pour éviter les détentions préventives prolongées et injustifiées, qui déboucheront plus tard sur des arrêts de non-lieu et surtout, pour réhabiliter le principe sacro-saint de la présomption d’innocence, et préserver les droits inaliénables de la personne humaine…
Les Extraits Du Code by lntbenin
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