Cinéma béninois : les regrets et propositions du cinéaste Idrissou Mora-Kpaï

Le réalisateur d’origine béninoise Idrissou Mora-Kpaï n’est pas content du sort réservé au cinéma chez lui. Il propose que les autorités en charge du secteur, s’inspirent des approches porteuses, expérimentées dans d’autres pays d’Afrique pour que le Bénin puisse aussi commencer par monter les marches du 7ème art à l’international.

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 Il appelle également au soutien de son pays pour la réalisation de deux projets dont un de film sur le parcours atypique d’un soldat dahoméen en Indochine.

A sa conférence de presse du jeudi 20 mars 2014 à l’Institut français de Cotonou, Idrissou Mora-Kpaï ne s’est pas limité à la présentation du Prix Prince Claus qu’il a reçu. Le conférencier a abordé également la vie du cinéma béninois. L’état des lieux  en matière de soutien au secteur culturel l’attriste. Et pour cause ! «Je ressens un sentiment d’abandon et je constate que ce sentiment est général au niveau des artistes de ce pays. Il y a le fait de ne pas être pris au sérieux, l’insouciance des autorités par rapport aux métiers d’artiste, le ras-le-bol général dû au manque de repère. » Justifie le cinéaste qui lui, a toujours produit ses films sans aucun apport financier de son pays. « J’ai fait mes films avec des aides étrangères notamment celle du Cnc français, de la Francophonie, de l’Union européenne etc. » Les deux fois qu’il en a demandé au Bénin, il n’a pas eu gain de cause. C’était pour un projet de documentaire.

Au-delà de sa personne, c’est une question d’intérêt national que défend le réalisateur. Idrissou Mora-Kpaï n’est pas pour ce système où chaque artiste se bat à sa manière pour avoir le financement de ses projets et applaudit. Il souhaite qu’il y ait plutôt un système formel et étatique mis en place pour permettre aux cinéastes béninois d’obtenir les premiers financements au pays. Sinon que le Bénin sera toujours absent aux rangs élevés du 7ème art, à l’en croire. « Les Etats africains se sont toujours demandés pourquoi ils sont absents sur la scène internationale dans ce domaine. La réponse est très simple : aucune cinématographie n’a rayonné sans une politique fiable en matière de formation, et sans soutien financier réel aux artistes. » rapporte le réalisateur qui regrette : « Je sais très bien que les moyens existent mais la conscience et la volonté manquent. » Et propose : « Il suffit de se donner l’objectif de financer deux à trois projets par an, et mettre 200 à 300 mille euros à leur disposition afin de renforcer leur compétitivité au niveau international. De toute façon l’argent ne sera pas décaissé tant que le reste des financements n’est pas obtenu. Il n’y a donc pas à craindre de financer un projet qui ne verra le jour. »

L’appui étranger limite l’inspiration

Aux dires du conférencier, en l’absence d’un soutien national, les cinéastes africains auront du mal, voire n’arriveront jamais, à aller au bout de leurs inspirations dans ce domaine. Car, argumente-t-il, « Nous ne pourrons pas compter sur ces aides étrangères pour faire des films que nous souhaitons réellement faire. Le cinéma est avant tout un art qui défend des valeurs nationales, une culture, une tradition. » Idrissou Mora-Kpaï ne voit pas un pays étranger financé à 100% un film qui vante les atouts culturels et cultuels, ou les mérites de l’intelligentsia d’une autre nation. Il en veut pour preuve, le domaine particulier dans lequel il travaille depuis peu.

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Dans sa dernière réalisation, « Indochine sur les traces de ma mère » qui est un documentaire historique, Idrissou Mora-Kpaï a révélé des vérités jusque-là cachées dans l’histoire de la guerre d’Indochine. « Tout ce que j’ai montré était caché par la France » dit-t-il. Ses investigations lui ont permis de se rendre compte de ce que, l’histoire contée dans les livres et enseignée dans les écoles n’est pas la vraie. Et qu’il y a beaucoup de non-dits. Mais toute la découverte ne pouvait pas être exposée dans un film documentaire. Ce qui l’a amené à monter un projet de film de fiction intitulé « Caporal Ganda » qui trace le parcours atypique d’un soldat dahoméen en Indochine. Un film pour faire connaître et réécrire l’histoire du peuple africain et dahoméen en particulier. Aussi, pour faire la lumière sur l‘héroïsme des Africains. Car, nombreuses sont les productions littéraires, cinématographiques et autres formats sur des héros d’autres continents comme si l’Afrique n’en avait   pas assez  produit aussi. « Au sujet de l ‘héroïsme de nos parents, rien n’est encore fait. Ils meurent avec leur secret et nous continuons de jouer, ignorant notre histoire commune. Est-ce qu’on aura existé, nous ? » Se demande Idrissou Mora-Kpaï qui tient beaucoup à la concrétisation dudit projet déjà prêt et en quête de financements. « Mais sans l’aide de ce pays, c’est sûr que le projet ne sera jamais concrétisé.» se convainc-t-il, et demande rien qu’une participation symbolique de son pays. Ceci, à ses dires, « peut représenter un coup de pousse très utile pour les cinéastes  et ouvrirait des chances énormes à un projet de film. » « Ce premier fonds est essentiel. Il permet au projet d’obtenir facilement le reste des financements ailleurs. Les Marocains, les Tunisiens, les Algériens, les Sud-africains et depuis peu de temps les Sénégalais l’ont compris. » Rapporte le réalisateur.

 

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