Décès de Hagen KORDES : un humaniste s’en est allé

Hagen KORDES, 11 février 1942 –22 février 2014, le Professeur encyclopédique,  le maître à penser, mais avant tout l’humaniste, c’est-à-dire l’homme, tel qu’en lui-même : magnétique en ses incalculables facultés de don de soi, de noblesse du cœur et de l’esprit, d’humilité, d’humour jusqu’à l’autodérision et surtout cet altruisme irréel qui n’appartient qu’à lui et le conduit à toujours excuser et à justifierl’offense dont il est victime.

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 Insensible à la malveillance, il comprend tellement son prochain qu’il vous demande pardon quand vous lui avez fait du tort !L’auto-culpabilisation, le remords injustifié le rendent si vulnérable à la mauvaise foi et au cynisme. Qui de nous ne l’a ainsi connu et pratiqué ? Hagen est congénitalement le même de l’autre, le double de chacun, l’alter ego. Pas seulement celui dont le salaire mensuel se divise presque entièrement en bourses et aides aux démunis. Citoyen du monde, il se présente d’emblée vôtre et intègre votre famille, votre village, assimile sincèrement votre culture en laquelle il excelle à vous redonner confiance. Ainsi nos usages culinaires, vestimentaires, nos œuvres artistiques et philosophiques, encore en défaveur dans la décennie postcoloniale où le jeune professeur arrive tout nouveau chez nous au collège PèreAupiais en 1967, nous deviendront  bien vite sous son magistère, au fil de son enseignement et de son exemple, motifs de fierté, et tout naturellement, de recherche intellectuelle. Inlassable pèlerin du patrimoine, il fera sans sourciller le tour de l’Afrique de l’Ouest à moto.

Avec lui, nous avons appris ou réappris à aimer bien avant leur actuelle popularité, le vêtement tissé, les mets et boissons du terroir tels que le « dakoin », le « chapalot », le « sodabi »,mais aussi découvert ou redécouvert Jean Pliya, Paul Hazoumé, Joseph Ki-Zerbo, Amadou Hampâté Ba, YemboOuologuem, Cheikh Hamidou Kane, Chinua Achebe, Kwame Nkrumah, Wole Soyinka, Paulin Hountondji, Olympe-BhêlyQuenum, différentes musiques africaines, mais  aussi des penseurs du village et des tradi-thérapeutes. Déjà en ces temps-là !!! … Grâce à lui, nombre de nos condisciples feront leur première rencontre avec des personnalités comme Adrien Houngbedji (alors procureur de la République en 1969),  Florentin Feliho, Emile DerlinZinsou, Gnonnas Pedro, G. G. Vickey et bien d’autres dont il était souvent l’invité. Sa résidence en Allemagne est un respectable musée d’art africain.

Devenu titulaire de chaire en sciences sociales à l’université de Münster en Allemagne, à l’appui de nombreuses publications il poursuivrala même orientation pédagogique à l’égard des civilisations asiatiques et amérindiennes et animera jusqu’à sa mort des formations postdoctorales en Inde, au Brésil et au Canada. De nombreuses délégations et lettres envoyées de ces pays lui ont rendu hommage.

Dans sa quête perpétuelle de l’humain, critique résolu de l’eurocentrisme, il expérimentera toute sa vie avec une égale conviction l’universalité de l’Homme et la diversité des hommes, l’identité des valeurs dans la pluralité des mœurs. C’est à cette vision polycentrique de la planète qu’il doit d’appartenir à tant de familles partout en Afrique,  aux Amériques, en Europe et en Asie dont est originaire son épouse malaisienne (lui le théoricien de l’interculturelsubira à demeure en Allemagne, sur ses enfants métissées, trois adorables filles, les affres de l’intolérance raciste).

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Pour autant Hagen n’avait rien d’un europhobe. Il nous a précisément ouvert plus grand les fenêtres de l’Occident sur le monde : l’universalité, on l’a dit, mais la relativité donc le respect, l’exigence de la perfection (les copies reconnues médiocres sont détruites publiquement tandis que les meilleures sont distribuées à toute la classe), la responsabilité (l’élève est appelé à se noter lui-même). Que dire du sens critique ?  Les artistes et penseurs alternatifs de l’époque, dits de la contre-culture, bénéficiaient de la nette préférence de Hagen. Pour la chanson c’était Georges Brassens, Jean Ferrat, Jacques Brel, Léonard Cohen, Joan Baez, Bob Dylan, puis les musiques incas… L’idéologie, ce seraHerbert Marcuse, Theodor Adorno, Jean-Paul Sartre…Toujours pour nous ramener à nous-mêmes : avec Aimé Césaire, Frantz Fanon, Kwame Nkrumah…

À toi, vénéré Professeur Hagen Kordes, prince des cieux qui a tant donné à la terre des hommes, les générations du Dahomey/Bénin que tu as forgées te disent leur infinie et affectueuse reconnaissance.

Repose en cette paix perpétuelle bien méritée.

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