Le gouvernement dans son opposition au mouvement des travailleurs a varié de la thèse de grève politique à celle de la grève illégale, concluant, pour ainsi dire ,à l’illégalité de la procédure.
Avant tout débat accordons-nous sur une évidence
D’abord, la procédure édictée par l’article 3 et suivants s’adresse essentiellement aux cas de conflits sociaux normaux, ayant pour motifs des revendications d’ordre professionnel, ainsi que l’indiquent les termes significatifs ci-après de l’article 3 : « les litiges collectifs intervenant dans tous les secteurs de la vie professionnelle… ». Il va sans dire que cet article exclut fondamentalement les conflits ayant pour motif les violations visées à l’article 25.
Ensuite, il faut faire remarquer que le législateur béninois à articulé les dispositions des articles 24 et 25 sous le titre «Des Dispositions Diverses et Finales», bien qu’il ait prévu un titre, intitulé «Des Sanctions». Cette structuration n’est pas anodine. C’est la preuve de l’attachement du législateur aux idéaux de la démocratie libérale.
Enfin, il est à observer qu’aucune disposition de la Loi portant exercice du droit de la grève ne prévoit une sanction en cas de grève illégale aux termes de l’article 11 de cette loi. Cela témoigne de la prédisposition du législateur à éviter tout pourrissement du dialogue entre les partenaires, voire l’enveniment du climat social.
Pour la clarté du débat, lisons ensemble les dispositions des articles 24 et 25 de la Loi n°2001-09 du 21 juin 2002 qui fondent l’argumentaire du gouvernement pour procéder aux défalcations. L’article 24 pose : « Toute grève entraîne une réduction proportionnelle du traitement ou salaire et des accessoires à l’exception des allocations familiales. Aucune réduction n’est appliquée si l’interruption de travail a duré moins d’une journée. »
En revanche l’article 25 prescrit : « Les grèves ayant pour motifs la violation des libertés fondamentales et des droits syndicaux universellement reconnus ou le non-paiement des droits acquis par les travailleurs, ne donnent lieu à aucune réduction de salaire ou de traitement ».
Sont considérés comme droits acquis ceux qui sont reconnus d’accord parties par l’employeur et les travailleurs et à défaut de cet accord, ceux qui sont déclarés tels par une décision passée en autorité de la chose jugée.»
Ce que nul ne doit ignorer après la lecture de ces dispositions législatives :
A) Du principe de la réduction du salaire
1) L’article 24 parle de ‘’toute grève’’. Cela indique bien que le législateur n’a distingué aucune forme de grève (légale, illégale, politique ou non etc.) Par conséquent, la sanction relative à la réduction de salaire pèse systématiquement sur toute grève peu importe sa qualification. Dans ces conditions, pour défalquer, le gouvernement n’a pas besoin de qualifier la grève pour opérer la réduction du salaire. En un mot, la réduction de salaire est de principe, en matière de grève. Elle n’est pas organisée comme une sanction de la grève, comme le régime l’articule, encore moins, comme un instrument privilégié de répression des grévistes. Loin s’en faut. C’est pourquoi, pour sa mise en application, le législateur ne distingue pas la grève légale, licite de la grève illicite, illégale ou abusive.
A la limite, c’est une mesure de financement d’équilibre économique et de justice sociale, tendant à soulager la trésorerie de l’employeur d’un surcroit de charges, surtout, après la satisfaction des revendications, ayant été la cause du mouvement de grève. En ce sens, il fallait éviter que les salariés ne bénéficient pas doublement du fait et des retombées de la grève qui a pu mettre à mal la trésorerie de l’employeur. C’est une forme de contribution du salarié à l’effort de la satisfaction de ses prétentions négociées. En caricaturant, on dira que, c’est la participation indirecte du travailleur à l’effort de la ‘’ guerre’’, dont il a été victorieux. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre aisément pourquoi le législateur béninois a prescrit que toute grève d’une durée de moins d’une journée ne fasse l’objet d’aucune réduction de salaire.
De ce fait, il se confirme que la réduction de salaire ne doit pas s’appréhender comme une sanction. En aucune manière la réglementation de la grève ne vise point une dégénérescence du climat social. Au contraire, elle a pour objectif de contraindre les partenaires sociaux au dialogue, à la négociation en vue d’une rapide réconciliation apaisée, au bénéfice du bien être de la société. Elle se comprend comme l’obligation faite aux partenaires, notamment les salariés, de négocier au préalable avant d’observer un mouvement de grève.
En définitive, nulle part le législateur béninois n’a jamais posé dans sa règlementation en matière de la grève, le principe selon lequel ‘’Qui n’a pas travaillé n’a pas droit au salaire’’. Ce n’est qu’une vue de l’esprit, car la sensibilité socioéconomique des relations employeur/ salarié dans la résolution des conflits sociaux ne peut se saisir sous le prisme déformant purement alimentaire. La détérioration du climat social par temps de grève est telle que seul le rapport des forces règle le litige. Or, l’histoire renseigne que la grève a été toujours une arme très redoutable de la classe ouvrière. Par conséquent, il parait responsable pour les partenaires sociaux d’éviter qu’elle ne survienne. Donc, visiblement la réduction de salaire appliquée sous forme de sanction s’apparente bien à une rétention, source d’un casus belli. De sorte que l’évocation et la mise en exécution d’un tel principe condamne beaucoup plus l’employeur en cas de grève licite et consacre une violation des droit fondamentaux de l’homme, en ce que l’employeur porte ainsi atteinte au droit à la vie du travailleur en le privant sciemment des ressources pour renouveler sa force de travail. Cette violation se rapproche bien d’une tuerie.
Au total, le gouvernement se trompe en tentant de justifier les défalcations qu’il opère en qualifiant les grèves, qu’il s’active à réprimer systématiquement par le moyen légal de la réduction du salaire.
B) De l’exception au principe
Ici également le législateur énonce très clairement, au pluriel, le mot grève. Seulement, il s’est fait très précis et a clairement défini la caractéristique de la grève. En ce sens, il indique de manière limitative les éléments distinctifs identifiant la grève, à travers les motivations à son soutien.
En l’occurrence, le législateur a retenu formellement les deux motifs ci-après :
– la violation des libertés fondamentales et les droits syndicaux.
– le non-paiement des droits acquis.
1°) Des violations des droits
*Le premier motif se décline réellement en deux motifs. Il s’agit d’abord de la violation des libertés fondamentales. Il n’est point nécessaire d’épiloguer sur ce motif. Aucun citoyen béninois ne peut et doit rester insensible ou indifférent à toute forme de violation des libertés. A tout le moins, le législateur à travers les lettres de l’article 25 susvisé en a donné, une fois de plus, toute la signification et l’importance pour la nation. En ce sens il apparaît clairement que le législateur invite sans ambages les travailleurs à défendre ces libertés sans se formaliser du respect de la réglementation en matière du droit commun régissant la grève au Bénin. Au demeurant, le législateur en rendant exceptionnel la grève motivée par la violation des libertés encourage, sinon incite les travailleurs à se battre contre toute dérive totalitaire.
Donc, en dernière analyse la défense des libertés s’impose aux travailleurs comme une obligation qui ne souffre pas d’un formalisme légal inhibiteur d’une réplique conséquente et agile de la classe ouvrière à toute forme de confiscation des libertés. Il va sans dire que la grève déclenchée pour ce motif ne peut être taxée de politique.
*Ensuite, le législateur retient les droits syndicaux qui se présentent comme des droits corporatistes. Il s’agit d’une manifestation de la protection évidente du droit du travailleur, conquis depuis des lustres par les peuples libres de la planète. Ici également le législateur a exempté les grévistes de tout formalisme du droit commun, mieux, aucune réduction de salaire n’est de rigueur
2°) Non paiement des droits acquis.
A ce niveau, le législateur a défini sans équivoque le groupe de mots ‘’ droit acquis’’ en y consacrant tout l’alinéa 2 de l’article 25 suscité. Il n’est pas besoin d’épiloguer sur cette question, dès lors que le législateur lui-même l’a clarifié en ces termes : « Sont considérés comme droits acquis ceux qui sont reconnus d’accord parties par l’employeur et les travailleurs et à défaut de cet accord, ceux qui sont déclarés tels par une décision de justice passée en autorité de la chose jugée ». Donc il est clair que les grèves consécutives au refus ou même au retard de l’employeur à honorer ses engagements rentrent bien dans le cadre de l’article 25 al. 2. Il s’en va ainsi naturellement de plusieurs cas des mouvements déclenchés par les travailleurs béninois.
En conclusion, il est clair que la réduction de salaire en matière de grève est le principe, tandis que le législateur a formellement prescrit une exception à l’article 25 précité. Au demeurant, l’honnêteté intellectuelle recommande de reconnaitre que la Loi n° 2001-09 du 21 juin 2002, sans être parfaite, a le mérite d’être absolument concise et précise. De plus, ce texte a fondamentalement épousé l’idéal de démocratie libérale à la base du renouveau démocratique.
Somme toute, l’objectivité oblige à admettre en toute responsabilité, à la lumière des lettres et de l’esprit de cette loi, que la grève en cours pour les motifs connus de tous, ne peut pas faire l’objet de réduction de salaire au sens de l’article 24. Par conséquent, rentrant parfaitement dans les prescriptions de l’article 25 précité, la grève actuelle des travailleurs ne peut et ne doit être taxée d’illégale, encore moins de politique. D’ailleurs, il est parlé désormais de vice de procédure, résultant de la non respect des articles 3,4,5, et 6.
Cette motivation postule des difficultés des tenants d’une grève illégale et/ ou politique à asseoir, quant au fond, un argument recevable. En effet, il parait plus facile de s’attaquer à la forme pour entacher le fond. Mais, fort malheureusement pour eux, le législateur béninois fortement attaché aux droits et libertés fondamentaux, ainsi que syndicaux, de même qu’aux valeurs de probité de sincérité dans les relations des partenaires sociaux, a formulé clairement une franchise, dispensant les travailleurs de tout formalisme en cas de violations desdites valeurs éthiques. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il y a lieu de comprendre cette formidable abréviation de délai prévu par l’article 9 in fine : « Lorsque la grève vise à riposter contre un acte grave d’atteinte au droit du travailleur par le responsable d’un service, le préavis est de vingt-quatre (24) heures ». Ainsi, le législateur est resté sensible à la protection des droits individuels, de sorte qu’il encourage la riposte des salariés contre toute brimade d’un chef zélé en matière des relations du travail. Certes, dura lex sed lex !
Par Oladé O. Moïse LALEYE
Professeur de Droit Public et de Science politique Fadesp/UAC
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