Magistrature Suprême : l’argent, la gouvernance et le bien commun

La politique est l’art de gérer les affaires publiques pour le bien-être commun ; et le bien être  commun devrait être la chose la mieux partagée par l’ensemble de la  communauté. Mais alors, que vient chercher l’argent, facteur toujours centrifuge et perturbant de l’harmonie sociétale, dans cette noble mission ; 

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et pourquoi est-il si décisif dans l’accession  à la gestion de l’Etat ; est-ce de bon ton  qu’il en soit toujours ainsi et dans quelles conditions pourrait-il l’être?

Nous faisons la réflexion, parce qu’à ce jour, la gestion des affaires publiques parait, dans l’esprit du citoyen moyen,  hypothéquée au sommet  de l’Etat par une question de financement de campagne électorale. Dans le subconscient du béninois et en filigrane de tous ses raisonnements et bavardages, se profile la certitude qu’une  histoire d’argent est au cœur de la gouvernance du pays ;  en tout état de cause, le citoyen en a fait sa vérité de société. Nous la faisons, cette réflexion, parce que les élections présidentielles approchent et qu’il faudra bien que nous tirions  leçon de la présente magistrature  afin d’ajuster, le cas échéant, la manière dont nous voyons la prochaine. Aussi appartient-il  aux  faiseurs d’opinion  et à ceux qui ont pris la responsabilité de s’exprimer publiquement,  d’attirer l’attention sur l’écueil principal qui semble prévaloir, à mauvais escient, il faut bien le dire, dans la gouvernance actuelle de notre pays.

Une société en mal d’intégrité politique : la suprématie de l’argent

Si certitudes il y a dans les esprits, aux temps d’aujourd’hui, ce ne sont qu’incertitudes, doute, perte de repères et de références, dégénérescence croissante  des   valeurs tant morales, sociales  que politiques et, partant, la peur du lendemain. Quand bien même, à notre corps défendant, il est bien difficile de ne pas convenir  que le citoyen ne se sent pas  à l’aise dans son propre  pays. Mais, mal à l’aise de quoi exactement ? Faisant abstraction des maux classiques d’une jeune démocratie en pleine turbulence, nous pouvons retenir l’élément fondamental  qui, de toute évidence, perturbe le citoyen et en arrive à créer en lui, le ras- le-bol : l’argent et son emprise sur les valeurs républicaines. Sa toute puissance sur les Autorités – Exécutif et Législatif, tout ensemble-, à qui le peuple a  donné  délégation pour le gérer, et son impact sur la conduite des affaires de l’Etat, discursivement, commence à exaspérer. Généralement, l’on s’accorde à dire que  cette mainmise de l’argent sur la gestion de l’Etat s’explique principalement  par la misère  des gens, c’est-à-dire leur extrême pauvreté   dont les politiciens tirent parti sans  état d’âme aucun, en achetant leurs consciences facilement.  En effet, ce  n’est pas  tant l’analphabétisme qui prête le flanc à ce trafic comme on a tendance à le dire trop souvent, mais bien la misère. Celui qui a faim, qu’il soit bête en alphabet ou capable de lire et écrire,   est vulnérable à l’argent qu’on lui offre pour défendre une idée ou apporter son soutien à un candidat à la Magistrature Suprême, du moment qu’il en a un besoin vital ou même, bien des fois, fantaisiste. Au demeurant, il n’en fait guère mystère. «  J’ai faim » répond-il inlassablement avec résignation et mauvaise conscience, cependant. Dans notre  système  électoral, la pauvreté est devenue le fonds de commerce des hommes politiques, il faut bien se le dire  et cela est tout à fait  immoral dans sa nature puisqu’il s’agit ni plus ni moins de l’exploitation de la misère du petit peuple,  à des fins personnelles d’ascension politique.

Immoral aussi parce que celui qui parvient, de cette manière, à se hisser à la tête de l’Etat, quand bien même  techniquement capable de diriger le pays, devient l’otage de ceux qui l’ont porté au pouvoir avec leurs finances, puisque c’est avec leur argent que le candidat à la présidence de la République a acheté les consciences de ceux qui s’y sont prêtés. Et c’est le début de l’engrenage des concessions et des compromissions sans fin jusqu’à la fin de son mandat : que ce soit dans la désignation des ministres,  des directeurs de sociétés, des postes de direction ; que ce soit dans l’attribution des marchés publics qui donnent l’occasion de créer, de toutes pièces et de façon, on ne peut plus  opportuniste, des sociétés de complaisance  entrant dans la compétition avec toutes les complicités nécessaires  à la besogne. Le système est ainsi établi et  bien rôdé,  générant des éléphants blancs  à profusion,  à la barbe du citoyen et du contribuable qui, dépité, ne semble plus sen émouvoir ; et c’est ainsi que nous conduisons les affaires de la Nation depuis un demi siècle et, particulièrement, ces dernières années : il est temps qu’un terme soit mis à cette dégénérescence des valeurs républicaines. Il est temps que cela change, non pas en parole, mais dans les actes. Les présidentielles ne sont plus bien loin et le besoin se fait de plus en plus sentir  d’un nouveau style de présidence pour converger les esprits vers une nouvelle gouvernance  de solidarité nationale, une gouvernance  à même de  remettre les valeurs d’aplomb.

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Le handicap de l’argent sur la gouvernance actuelle

Nous pouvons dire sans risque de nous tromper que  les raisons de la tension extrême que nous connaissons, en ce moment, dans le pays, pivotent autour d’une pomme de discorde entre  le Chef de l’Etat et un homme d’affaires et dont nous autres citoyens, avons , à tort ou à raison, l’impression de faire,  tout simplement , les frais. En effet, l’équation politique qui nous gère ces temps-ci est simple, d’autant plus que  ses deux paramètres sont devenus un secret de polichinelle qui court les rues. Le premier, c’est que l’homme d’affaires  a rendu des services, disons carrément qu’il a  financé une grande partie des frais de campagne du Chef de l’Etat  en vue de  ses élections successives à la Présidence de la République. Le deal a été la concession à son profit de  gros avantages  sur les deux poumons de  l’économie du pays: le coton et le port par le truchement du programme de vérification des importations, nouvelle  génération. Le deuxième paramètre, c’est que  les  engagements pris, formalisés et officialisés en contrats, n’ont pas été respectés, pour raison d’intérêt supérieur de l’Etat argumente l’un ; pour simple rupture unilatérale, non respect et dénonciation sans cause des engagements pris, rétorque  froidement l’autre, qui s’estime dans son bon droit.   Nous connaissons la suite et toute la panoplie des actions depuis les arraisonnements de navires, les actions judiciaires menées d’un côté comme de l’autre  et  la polarisation des esprits sur cette affaire qui, par elle même empoisonne littéralement et  stresse  le peuple ; sans compter ses corollaires qu’ont été les feuilletons de tentatives d’empoisonnement du Chef de l’Etat et  de coup d’Etat militaire. Polarisation,  d’autant que  certaines mesures à caractère économique que  prend le Chef de l’Etat, quand bien même à bon escient, sont perçues, à tort ou à raison, comme délibérément initiées pour contrer les intérêts de cet homme d’affaires et lui régler son compte; polarisation enfin parce que, sous divers prétextes fallacieux, dont personne n’est plus dupe, les députés se sont mêlés à la dispute et font grand étalage de leurs sentiments. Dans une bonne démocratie, on doit pouvoir rencontrer et dîner avec qui on veut, quand bien même serait-il en délicatesse avec le Chef de l’Etat et qu’il se  trouverait à l’autre bout du monde, argumentent-ils à bon droit, il faut bien en convenir ; encore que l’on peut trouver à redire à cette façon de voir les choses. Le peuple assiste, médusé et impuissant, au spectacle, et a fini par perdre la boussole. Mais, il  commence aussi  et surtout, à voir tout cela de très haut, avec lassitude, dégout et dédain . Il sait maintenant que  l’appareil d’Etat est pourri ; il sait maintenant que  l’argent tue toute politique saine censée lui apporter le  mieux-être qu’il attend de ses dirigeants. Il convient, néanmoins, d’avoir toujours à l’esprit que  l’histoire  politique nous enseigne que le peuple a cette sagesse de réfréner ses ressentiments et sa rancœur autant que de possible, jusqu’au jour  où il décide de sortir de ses gongs et de réagir violemment quand il estime que la coupe est pleine. Alors, il descend dans la rue ; et dans la rue, il devient incontrôlable. Qu’il n’en soit pas ainsi  chez nous !

Nous ne sommes pas en train de nous figurer que l’argent n’a pas sa place dans les campagnes présidentielles. De notre point de vue, il peut l’être par l’intermédiaire de groupes et de lobbies défendant des intérêts économiques bien déterminés. Un candidat à la Magistrature  Suprême peut s’attirer leur soutien en complément de celui de son parti, le cas échéant. Le tout est que la contrepartie offerte  réponde et soit conforme aux intérêts bien compris du peuple et qu’elle  s’intègre dans un plan de développement économique national. Cela se passe ainsi même dans les grandes démocraties, discrètement, il est vrai.

Dans notre système, campagne électorale pour la présidentielle, rime largement avec achat de conscience et distribution d’argent. Sous d’autres cieux c’est un délit ; chez nous, c’est une méthode.  Nos prétendants au fauteuil du Président de la République ne s’embrassent pas d’avoir des idées ni d’en convaincre leur électorat ; les espèces sonnantes et trébuchantes en font office. Chez nous les dépenses de campagnes ne sont pas contrôlées et on ne demande pas de prouver la provenance des fonds. Ailleurs la Cour des Comptes veille, et ce n’est pas sans raison qu’on  n’a pas laissé, au Président Kadhafi,  le temps de  confirmer ce que  clamait son fils, à savoir que  la campagne d’un récent Président d’un grand pays,  a été financée par son père ; on a su bien le  faire taire à jamais.

L’enseignement

A quelque chose malheur est bon cependant, et il convient de tirer enseignement de tout ce qui précède. La leçon est toute simple et s’impose. Le peuple n’entend plus  souffrir que son Président se constitue ainsi, en toute connaissance de cause, otage des puissances d’argent ;  s’offrant l’imprudence de  concéder, et cela de manière répétitive, des avantages à la puissance de l’argent, sans profonde réflexion préalable et sans  grand égard aux conséquences négatives qu’ils peuvent entrainer tant sur l’économie nationale que sur le quotidien du citoyen. On peut commettre une erreur une fois, quand bien même chef d’Etat ; mais la commettre deux fois de suite et sur le même objet, n’est plus une erreur ; elle tend à devenir une stratégie. Et, de  cette stratégie de conquête du pouvoir, qui, en fait, emprisonne tout autant  le Chef de l’Etat qui en est l’auteur et la victime en dernier ressort, que  les citoyens qu’il dirige et qui  pâtissent de  son imprudence, le peuple  n’en veut plus. Il ne veut plus de ces tractations léonines conclues dans et sur  son dos. Peut-être qu’une loi devrait intervenir pour réglementer les choses en la matière et moraliser les sources de financement des campagnes électorales pour la présidence de la République, spécifiquement.

La part licite de l’argent dans les partis politiques et son contrôle   

L’argent  a naturellement sa place à l’intérieur des partis politiques d’autant qu’en  dernier ressort, ce sont eux qui  animent la vie politique ; ils ont vocation à accéder au pouvoir suprême et ils devront se préparer à ce faire. De toute évidence, cela ne se peut sans investissement notamment dans les rassemblements, les meetings, les mobilisations, la promotion et la communication. C’est ce qui explique que l’Etat, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, accepte de les financer, du moins ceux qui sont représentés à l’Assemblée Nationale, par le biais d’une  subvention annuelle, mais aussi de les accompagner au moment des élections législatives dans des conditions bien définies. Il n’est cependant  pas rare, que de  généreux pourvoyeurs se dégagent d’entre les adhérents et prennent en charge la plus grande partie des dépenses. Cela fait l’affaire du parti, il est vrai, mais ici également l’Etat devrait y avoir un droit de regard pour éviter  toute déviance et garantir la légitimité de la provenance des fonds.  

C’est pour cela que sous d’autres latitudes, notamment dans le pays qui nous sert habituellement de référence, les sources de financement  des partis sont surveillées  étroitement. Un ancien Chef d’Etat français n’a-t-il pas été condamné pour avoir financé son parti avec des fonds provenant de l’institution qu’il dirigeait, avant même d’accéder à la Magistrature Suprême ? Puis il y a l’affaire toujours pendante, devant les tribunaux, des rétro commissions sur la vente  de sous-marins  français à un pays asiatique, également semble t-il, pour financer les activités du même parti.  Chez nous, rien de tout cela : il y a à boire et à manger ; et les politiciens se trouvent à leur aise. Les élections présidentielles approchent, et il urge de ne pas occulter tous ces sujets. Par ailleurs, il importe de se poser la question qui suit :

Un candidat  à la Magistrature Suprême doit-il toujours et nécessairement être chef de parti et soutenu par ce dernier?

La question peut paraitre saugrenue au prime abord, tant le soutien d’un parti politique  est la norme traditionnelle, mais elle le parait moins, à l’analyse. En principe, celui  qui aspire à la Magistrature Suprême, doit se faire porter par un parti politique qui lui-même porte une idéologie. C’est ainsi que les choses se passent habituellement, tout au mois en temps de paix. Car en  temps de guerre ou d’extrêmes tensions, la situation est différente. L’unanimité nationale se fait rapidement autour d’un homme susceptible de sauver la Nation, quand bien même n’étant d’aucun parti. Le sursaut national et le patriotisme prévalent sur les positions partisanes.

Il est cependant  vrai, que dans la récente histoire politique de notre pays, des personnalités ont accédé à la Magistrature Suprême, sans avoir été porté formellement par un parti politique. Il en a été ainsi du Président Mathieu Kérékou, mais il faut dire qu’il était soutenu, d’un côté  par une idéologie nouvelle, et  fédératrice, tout au moins à ses débuts, et de l’autre, par l’armée. Il en a  été également ainsi du Président Nicéphore Soglo. Lui, a été porté par l’environnement et l’aura de la Conférence  Nationale Souveraine. Tous deux ont pu accéder ainsi à la Magistrature Suprême parce que la situation sociale et l’environnement politique étaient au plus mal et qu’ils s’y prêtaient.

De nos jours, la situation sociale est tout  aussi catastrophique qu’à la veille de la Conférence nationale souveraine, bien que de nature différente.  Aujourd’hui,  dans notre société, tout fout le camp ; toutes les valeurs politiques s’en sont allées, la corruption règne en maître, les  tensions et les crises successives  se disputent ;  et le peuple en a assez de cette société de crises. Nous aurons certainement besoin d’un Président de la République de consensus qui fasse l’unanimité au-delà des situations partisanes et à l’abri de la puissance de l’argent. Il est clair que les  pontes des partis traditionnels ne l’entendront pas de cette oreille ; et pour cause. Ils auront l’impression  de se faire hara kiri.  Mais ils devraient comprendre que politiquement nous avons déjà un pied dans le gouffre et que nous y seront précipités si  nous ne changeons pas de cap et trouvons l’homme qu’il faut pour rétablir  les valeurs républicaines perdues. Entre l’argent devenu pomme de discorde nationale, l’ombre de  l’homme d’affaires devenu hantise nationale, les centrales syndicales qui se complaisent à tenir la dragée haute au Gouvernement  et une Magistrature Suprême  mal en point, bien malin qui pourra nous dire qui gouverne ce pays ? Et il n’est déjà  pas trop tôt pour réfléchir sur les qualités de l’homme qui devra assurer la relève au lieu d’attendre les derniers instants toujours propices à distribuer de l’argent à tous vents sans en mesurer le risque pour le bien commun.

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