La question du chef

Un arbre, l’arbre qui cache la forêt des autres arbres. Voilà, en cliché instantané, l’image que l’on peut retenir du chef dans le Bénin d’aujourd’hui. Le chef, en effet, s’apparente, chez nous, à une tour imprenable. C’est Jupiter en son Olympe. Un dieu tout-puissant qui domine le paysage à la ronde. On ne voit que lui. On n’entend que lui. Il n’y en a que pour lui.

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Et c’est parce qu’il en est ainsi que tout conflit, tout problème dans tous secteurs d’activité, prend l’allure d’une guerre : la guerre des chefs. Hier, la crise de notre football a été tristement réduite à une empoignade Anjorin/Atolou. Ce qui, du coup, relégua à l’arrière-plan tous les problèmes de fond. Aujourd’hui, la fièvre qui s’empare du Festival international du Théâtre du Bénin (FITHEB) s’alimente du tapage entretenu autour de deux têtes d’affiche de notre théâtre : Ousmane Alédji et Erick Hector Hounkpè.

Dans un cas comme dans l’autre, les vrais problèmes sont évacués ou occultés ; les acteurs qui devraient accompagner les chefs sont aux abonnés absents. Il est vrai que le chef, c’est celui-là qui prend la responsabilité de se porter devant les autres. C’est celui-là qui adopte une posture qui lui donne de l’avance sur les autres. Mais, pour autant, peut-il avancer tout seul ? Pour autant, peut-il avancer sans les autres ?

Thomas Boya et Jérôme Carlos, dans un ouvrage publié en 2010 aux Editions Tunde sous le titre « Je pense positif, ma vie change« , définissent le chef comme un homme ou une femme qui veut aller quelque part, mais qui s’interdit de le faire tout seul. Le chef, estiment-ils, c’est l’homme ou la femme du « faire savoir » et du « faire comprendre », en ce qu’il fixe un horizon, explique une ambition, met le cap sur une destination. C’est l’homme ou la femme du « faire faire », parce qu’il se soucie de déléguer et de faire participer les autres. C’est l’homme ou la femme du « faire ensemble », par son implication, par sa volonté d’être le ferment dans la pâte. Pour réussir sa mission, le chef doit être, tout à la fois, un visionnaire, un rassembleur, un bâtisseur.

Un visionnaire ne s’arrête par sur les rivages du présent. Il voit grand. Il voit loin. Il est un bâtisseur d’avenir. Question : comment amener les autres avec lui dans cette migration vers ailleurs ? Montesquieu répond. Pour faire de grandes choses avec les hommes, il ne faut pas se mettre au-dessus d’eux, il faut être avec eux.

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Un rassembleur n’est pas de la race de ceux qui divisent pour régner. Il s’engage à amener les autres à changer les choses, tout en se gardant, lui-même, de l’illusion qu’il peut changer les autres. Car personne ne change personne. Mais le chef, le vrai s’entend, sait aider les autres à changer leurs vieilles habitudes de penser, contribuant ainsi à lever le principal obstacle à leur plein épanouissement.

Un bâtisseur ne se contente pas de disserter sur le changement. Il prêche d’exemple. Il ne se contente pas de discourir sur le changement. Il signe, par des actes concrets, le changement qu’il prône. Il ne se satisfait pas des promesses de changement. Il montre ses résultats. Lesquels se laissent apprécier moins en milliards de francs distribués qu’en capacité à aider les autres à se débarrasser de leur complexe d’infériorité, de leur impuissance, de leur peur, de leur doute. Ne gagnent, en définitive, le combat de la vie que ceux qui découvrent le géant qui sommeille en eux. Et c’est ce qui fait d’eux les artisans de leur propre miracle.

Au total, le chef vaut par le service, merveilleuse aptitude à être utile aux autres, à être utile à soi-même. Le chef ne se regarde pas le nombril. Il accompagne les autres dans leur aspiration au changement. Ne peut être de l’étoffe du vrai chef le leader improvisé ou imposé, le leader fabriqué ou bricolé. Ici, sont donc de l’ordre de simples gadgets, les critères d’appartenance ethnique ou religieuse, les références aux diplômes ou à l’âge. Avantage au chef pour ce qu’il est plutôt pour ce qu’il a. Et si l’on doit prêter l’oreille à ce qu’il dit, c’est pour mieux apprécier ce qu’il fait ou ce qu’il promet de faire.

Revenons au Bénin. Notre pays a une faim et une soif sans égale de chefs. Dans toutes les sphères d’activité. Dans la perspective de trois échéances électorales majeures. A Dieu ne plaise que les Béninois aient à jouer les Diogène des temps modernes, par les chemins problématiques d’une quête impossible. Diogène était un philosophe de la Grèce antique. Il s’était évertué à chercher un homme, une lampe à la main, sous le soleil de midi.

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