Le 3 mai et la presse : entre liberté et expression

Les organisateurs des «Trophées média’rtistes» m’ont fait l’honneur de m’inviter à la célébration de la journée internationale de la liberté de presse ce 3 mai 2014 à Porto-Novo. Ne pouvant me déplacer pour des raisons professionnelles liées à l’actualité judiciaire, je tenais néanmoins, à travers vous, à leur présenter mes excuses par quelques réflexions que j’aurai pu partager avec eux.

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Depuis 20 ans, la conscience des citoyens du monde et des acteurs socio-politiques se concentre sur l’effectivité d’une liberté essentielle : la liberté d’expression dont l’un des volets est la liberté de la presse. Elle est sanctuarisée par les lois fondatrices des Etats,  invoquée par les citoyens et les professionnels, révoquée par les pouvoirs tendus vers l’absolu. Il faut, en ce jour de célébration, poser un regard sans passion, sur son état au Bénin. Il faut aussi en dégager quelques perspectives.

1°) Sur l’état de la liberté de presse. C’est, à la vérité, l’état de la «presse», de son «expression» plutôt que de sa «liberté». Celle-ci, sans être introuvable, est plutôt fort affectée, assez infectée. Entre pouvoirs politique et économique qui commandent, des «gourous» qui régentent, et des journalistes devenus des commis à la signature d’articles étrangers à leur production, l’état de la liberté n’est que la traduction de celui de la presse. a) Une première impression se dégage de cet état de la presse béninoise : un appauvrissement intellectuel, professionnel et bien entendu, générationnel accentué. On peut résumer sa situation ainsi : c’est la presse qui tue. J’ai, au titre de ma profession d’avocat, assisté devant les juges bien souvent des «journalistes» qui n’avaient pas encore atteint la majorité civile. Je me suis également fait interroger, à l’occasion de nombreux fora par certains dont l’expression et le visage indiquent bien une adolescence encore vive. Ce sont eux, bien souvent, armés à peine du brevet d’étude, pour certains, le baccalauréat, qui prétendent informer. Au fond, avec beaucoup d’autres, ils sont des esclaves de la profession, victimes de toutes sortes de manipulation, on peut dire, d’exploitation. Menacés, ces jeunes menacent à leur tour, procédant pas voie de chantage. A l’instar de certains agents, ils se positionnent souvent au carrefour de l’information, procédant à leur manière aux interpellations et réclamant aussi les pièces…non sonnantes ! Certains sont spécialisés dans la fabrication de faits divers. J’ai défendu, à ce sujet, un honnête père de famille qui, un dimanche, en présence de son épouse et de ses enfants, fut informé par la revue de presse, qu’il avait conduit une jeune dame à mettre le polichinelle dans le tiroir. Je ne vous demande pas d’imaginer la suite, la fête autour de la presse pourrait être reportée. Bien évidemment, cette catégorie de journalistes ne connaît que la liberté et très peu la presse. Elle ignore les règles de déontologie, les principes éthiques. Elle est vulnérable parce qu’elle manque de culture. Ses acteurs ne maîtrisent pas les sujets traités. Il ne peut en être autrement si l’on devient un professionnel sans une profession. Le lecteur assidu de nos quotidiens doit subir chaque matin la violence des expressions décousues, des incorrections sémantiques, le refus de se conformer aux règles de la langue que l’on a choisi d’utiliser. La règle rédactionnelle est à l’absence de précision de lieu, de temps, d’objet, de sujet et de justification. C’est connu : un journaliste sans culture est aussi un criminel en puissance. b) Une deuxième impression triomphe de l’analyse : la domination de la presse par les pouvoirs. La presse béninoise, indigente, se rend au plus offrant. Et, dans cette hypothèse, c’est la presse qui est tuée. Elle est laminée par le pouvoir politique, producteurs de la «communication», dispensateur de la «publicité». Elle est tenue par les renseignements généraux. Le Bénin en est arrivé à transformer ses plus prestigieux journalistes en indicateurs de la police, en informateurs de généraux de différents corps. Cette complicité et ce mélange de genres éteignent les droits individuels et les autres libertés publiques. C’est à l’occasion d’une procédure pénale contre un «journaliste» que sentant le danger pointer sur le terrain du chantage, celui-ci appelle ses «généraux» qui investissent l’instruction. A l’audience, il n’a pas manqué de l’avouer. L’une des conséquences est cette forme d’escroquerie à l’information qui confine à l’impunité, les «services» intervenant pour «arranger» les sanctions et «protéger» leurs éléments. La profession est radicalement anéantie. On peut le craindre : la liberté de la presse, envisagée sous un angle essentiellement alimentaire, apparaît comme une arme qui anéantit les autres droits et libertés. c) Une troisième impression surgit de l’évidence : l’ampleur de la presse virtuelle, tenue au moyen des réseaux sociaux. Presse plus que libre, presse enthousiaste, spontanée. Elle comble sans doute un vide : celui des obstacles à l’accès aux media traditionnels. Mais elle crée également un vide : l’inclination au spectacle, au voyeurisme, au sensationnel. Elle réagit sans agir. Elle est en capacité de détruire des vies, de provoquer des conflits. Elle annonce le décès de celui qui vit, fait vivre ceux qui sont morts. Mais elle s’organise, heureusement. Les clubs d’échanges qui se créent sont à encourager. Et des règles sont progressivement énoncées : «ne pas insulter…»; «Justifier ses propos…». On assiste à l’avènement d’un code d’éthique, à la modélisation des comportements, à la constitution d’un véritable corps professionnel. C’est heureux ! Au fond, se constitue un nid de professionnels qu’il faudra identifier et former. C’est aussi le nœud de la formalisation de cette manière nouvelle d’exercer une profession qui s’établit. Ce sont déjà des éléments de perspective qu’il faut renforcer.

 

2°) Sur les perspectives. a) Il semble urgent de régler la question de l’accès à la profession. C’est la seule profession libérale qui, au Bénin, est totalement «libéralisée». On y entre sans aucune formation pour devenir un milicien de la plume et du micro. Or, la liberté d’informer est tributaire du nécessaire respect de la vie et de la dignité des personnes et des peuples. Le journaliste est un juge. Juge de l’opportunité de l’information, de la qualité de celle-ci et de la régularité de son contenu. Nul ne saurait naître journaliste. On le devient, à l’épreuve des exigences professionnelles. Le journaliste, c’est le juge de la cité. La qualité de la démocratie et la qualité de la gouvernance dépendent, pour une part importante, de la qualité des journalistes. Les efforts tendus vers la formation sont à encourager et renforcer. Avec audace et rigueur, l’accent devra être mis sur la qualité du recrutement. Bien entendu, les facteurs de stimulation de ce recrutement qualitatif sont à intégrer dans l’arsenal législatif ainsi que dans l’encadrement fiscal et social. b) Il faut, également, régler la question du financement des entreprises de presse. Cela suppose qu’il y ait de véritables entreprises de presse. A cet égard, les solutions préconisées par les premiers états généraux sont encore d’actualité.

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3°) En conclusion. La pluralité et la diversité de l’univers médiatique sont sans rapport avec la qualité de la liberté. Celle-ci doit se traduire dans la tenue et le contenu. Pour le moment, le journaliste est à la presse, ce que l’artiste est à la chanson : une plume et un micro sans aucun contenu pour les uns, une chevelure mal soignée, un texte mal inspiré, un corps exposé à un décapage avancé et une gestuelle qui offense la pudeur publique pour les autres. Ceux-ci s’affublent de la qualité de «star», ceux-là de celle de «professionnel». Les efforts doivent résolument être poursuivis pour l’avènement d’une liberté substantielle de la presse.

Bonne fête à chacun.
Joseph DJOGBENOU
Avocat, Enseignant

 

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