Droit de Greve des magistrats : la lettre de Philippe Noudjènoumè aux députés

Je viens de lire dans le quotidien «Fraternité « en date de ce jour, 24 Juin 2014 « une proposition  de loi portant modification de l’article 18 de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature ».

Publicité

Le nouvel article 18 proposé se formule ainsi qu’il suit : « Les fonctions judiciaires sont incompatibles avec tout mandat électoral ou politique. Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Les magistrats sont inéligibles aux assemblées politiques.

Les magistrats, même en position de détachement, n’ont pas le droit d’adhérer à un parti politique. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Les magistrats ne peuvent se constituer en syndicat, ni exercer le droit de grève. Il leur est interdit d’entreprendre toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ou d’y participer.

Tout manquement par un magistrat aux dispositions du présent article est sanctionné par la mise à la retraite d’office ».

Et cette proposition de loi porte la signature de quarante-cinq députés allant des Gbadamassi Rachidi, Débourou Djibril, Chabi Sika Karim, Laourou Grégoire, Saka Lafia, Houssou Christophe, Akofodji Grégoire, etc. tous FCBE aux Malèhossou Yacoubou, Agoua Edmond, Domingo Cyriaque, Gnigla Venance de l’UN et divers autres. Des députés qui sont des élus du peuple !

Publicité

A la lecture d’une telle proposition, j’en ai éprouvé un profond sentiment d’indignation à mon double titre de citoyen-constitutionnaliste et de Président de l’Alliance politique « Convention Patriotique des Forces de Gauche ».

Messieurs les Députés et chers compatriotes

Je voudrais ici attirer votre attention sur les éléments suivants :

1°-Le magistrat est un citoyen comme tout autre jouissant de toutes ses libertés constitutionnelles, notamment celles prévues par les articles 25 et 31 de la Constitution et dans aucune Constitution démocratique, l’on ne saurait assimiler le corps magistral à celui des militaires naturellement confondu avec l’Exécutif.

2°- L’article 125 de notre Constitution dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les Cours et Tribunaux créés conformément à la présente Constitution». Si en dépit de cette disposition formelle, les députés- pouvoir législatif- peuvent, par une loi modifier substantiellement les attributions –droits et devoirs- du pouvoir judiciaire, où serait alors l’indépendance de celui-ci ?  Que deviendrait  alors la séparation des pouvoirs ?  Des modifications du genre prévues par la présente proposition de loi ne relèvent pas d’une loi mais de la Constitution.

Messieurs les Députés et chers compatriotes,

La question essentielle qui est au centre du conflit actuel Exécutif-Magistrats est la sauvegarde ou non de l’indépendance de la Justice. Il s’agit de savoir quel est le sort que l’on réserve non seulement aux articles 25 et 31, mais également et surtout à cet article 125 de notre Constitution. Le Président de la République entend, en violation des textes réglementant la Corporation, nommer, comme bon lui semble, des Magistrats à ordre, des « magistrats-patriotes » à l’instar du groupuscule regroupé dans la fameuse AMAB pour dicter les décisions de justice. Et gommer ainsi l’indépendance de la justice et le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. C’est l’enjeu actuel du conflit en cours qui s’exprime par les grèves en milieu judiciaire.

Le Président YAYI veut avoir la Justice en mains. Et il est prêt à piétiner les articles 25, 31 et même 125 garantissant les droits des citoyens et l’indépendance de la Justice. Tel est l’enjeu.

Au lieu de se lever comme de vrais représentants du Peuple, des députés prennent le devant de cette croisade anti-démocratique, se font les instruments d’un pouvoir autocratique en faillite pour assassiner  les droits si chèrement conquis.

Hier ce fut le cas des douaniers ; aujourd’hui ce sont les magistrats, demain ce sera les médecins et hommes de la santé ainsi que les enseignants de tous niveaux, après demain, tout fonctionnaire et agent civil de service public.

Je n’accepterai jamais cette ignominie. Notre peuple n’acceptera jamais cette descente aux enfers pour des intérêts inavoués.

C’est dire que, si des Députés en dépit du bon sens et des intérêts supérieurs de notre Peuple, en dépit même des dispositions de la Constitution en vigueur, poursuivent ainsi dans la voie de la liquidation programmée de notre démocratie, ils répondront nécessairement un jour de leur crime. Et ce sera justice.

Cotonou le 24 Juin 2014
Philippe NOUDJENOUME
Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité