Le pardon, un nouveau principe a valeur constutionnelle?

«Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs, mais aux Etats-Unis, le Président n’interfère pas dans les décisions de justice» Barack H. OBAMA à François HOLLANDE le 5 juin 2014

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Ce rappel du Président des Etats-Unis à son interlocuteur français montre que même en France, l’indépendance du pouvoir judiciaire demeure un souhait démocratique. Chez nous, c’est une lutte de tous les instants qui doit conforter nos acquis démocratiques.

  Le 14 mai 2014, le Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, Premier magistrat du pays et Chef suprême des armées, a fait une sortie solennelle disant qu’il pardonne aux auteurs et complices de la tentative d’empoisonnement dont il aurait été victime. Geste magnanime du Père de la Nation. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il pardonne de cette façon : souvenons-nous du pardon accordé à Maître Lionel AGBO qui dûment condamné devant nos tribunaux, avait préféré fuir du territoire national. L’avocat n’est pas sans savoir qu’en mettant pied au Bénin, il serait dare-dare conduit à la Prison Civile de Cotonou pour y purger sa peine ; sauf en cas de grâce présidentielle ou d’une amnistie votée par l’Assemblée Nationale. Pourquoi le  pardon  du 14 Mai pourrait-il avoir plus d’effet que celui accordé à Maître Lionel AGBO ? Ce pays, ancien quartier latin de l’Afrique, doit faire montre, nonobstant sa méchanceté et sa mesquinerie à en croire Emmanuel MOUNIER,  de plus de rationalité. 

 Les socio-anthropologues, c’est connu, ne s’entendent guère avec les juristes. En effet, là où selon nous doivent triompher de strictes considérations de droit, les juristes par snobisme le plus souvent, mêlent des réflexions de nature socio-anthropologique. Inversement, au moment où il est nécessaire d’avoir recours à des considérations socio-anthropologiques, ils s’enferment dans un juridisme froid et déroutant. Comme les décisions de la Cour Constitutionnelle sur le consensus national et les options fondamentales de la Conférence nationale, le pardon du 14 mai 2014 et avant lui celui donné à Maître Lionel AGBO, sont avant tout des actes de portée éminemment socio-anthropologique sinon politique, en ce que le dernier surtout ne manquera  pas d’avoir des répercussions prévisibles sur l’état de la nation dans la perspective de la paix sociale, de la concorde nationale et de la décrispation du climat politique. Mais c’est tout. Les poursuites judiciaires sont engagées par le Ministère public au nom de toute la société, et non d’un offensé, fût-il le Président de la République ! Par ailleurs, était-ce le moment ? Il ne fait aucun doute pour un esprit rationnel devant faire montre d’un peu d’honnêteté intellectuelle, que ce pardon dans sa forme actuelle est mal venu et inopportun en ce qu’il peut d’abord être interprété comme un flagrant délit d’influence illicite de la part du Chef de l’Etat et d’entrave au cours normal du procès. Et cela pour trois raisons principales.

 

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1)Malgré les ordonnances de non-lieu rendues par le juge Angelo Djidjoho  HOUSSOU le 17 mai 2013, les mis en cause sont demeurés dans les liens de la détention ; parce qu’il y a eu double appel du Parquet: d’abord devant la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel et devant la Cour Suprême. L’action n’est donc nullement éteinte et le Ministère public représenté par le Procureur Général près la Cour d’Appel de Cotonou, ne saurait prétendre le contraire ; et surtout exciper de ce « pardon » pour exprimer publiquement sa décision surprenante d’abandonner sans autre forme de procès, toutes poursuites contre les mis en cause.

 

2)Quel est l’élément nouveau –sauf le fameux pardon- qui a fondé la décision du Procureur général à requérir devant une chambre d’accusation hâtivement convoquée le 19 mai soit moins de cinq jours après le pardon présidentiel, la mise en liberté provisoire des prévenus ? Alors que leurs avocats demandaient cela plus d’un an, depuis les ordonnances de non-lieu du juge HOUSSOU, et que la Conférence Episcopale du Bénin avait à travers son Président Monseigneur Antoine GANYE, abondé dans le même sens et s’était immédiatement attiré les foudres de nervis stipendiés ?

 

3)Le sieur Patrice TALON est-il aussi concerné par le même pardon, lui qui a commis le délit évident de ne pas se présenter à une convocation du juge, préférant fuir et de s’exiler volontairement de son pays ? Le micmac actuel, de très mauvais goût pour les citoyens honnêtes, qui consiste à distraire l’opinion nationale et internationale en agitant une prétendue dette de 160 milliards de l’Etat béninois vis-à-vis de l’intéressé, ne saurait faire oublier cette certitude de droit que dès qu’il mettra pied au Bénin, il sera d’abord illico presto conduit en prison, quitte au Procureur de la République à accéder à la demande de ses avocats de lui faire bénéficier d’une mise en liberté provisoire ! Ou nous avons un système judiciaire fonctionnant selon notre doit positif ou nous n’en avons pas!           

D’ailleurs, les tractations conduisant à ce fameux pardon sont des tractations devant restér secrètes et n’engager que les acteurs occultes qui y ont participé. Aucun agrégé en droit, privé ou public, ne peut pousser le sophisme jusqu’à tenter de nous convaincre des « implications juridiques du pardon présidentiel » ; parce qu’il n’en a aucun dans un Etat de droit. C’est dans une monarchie absolue que la volonté du Prince a force de loi en tant qu’édit ou oukase. Dans notre édifice institutionnel, le Président de la République représentant de toute la République, nous tous donc, peut certes traduire notre volonté d’absoudre un des nos concitoyens indélicats par le recours à son droit de grâce, mais c’est une fois qu’il aura été sanctionné par la société dans son ensemble à travers son appareil judiciaire. Ou alors, c’est à notre représentation nationale à qui nous avons délégué une partie de notre souveraineté qu’il appartient de se saisir de cette soif de pardon symbole de paix sociale, en votant une loi d’amnistie. Procéder autrement, c’est violer notre Constitution et certaines lois de notre arsenal juridique et de notre édifice judiciaire. C’est pour le fonctionnaire qui s’en rendra coupable une forfaiture. Le Bénin survivra à la honte d’aujourd’hui, peut superbement claironner l’autre ! Aussi nous citoyens patriotes, ne devons-nous  pas nous taire, même si cela  peut coûter à certains  leur promotion professionnelle. Sinon, nous sommes enfermés dans un véritable tonneau des Danaïdes. N’est-ce pas excipant du «pardon » que le Chef de l’Etat lui aurait demandé que le Président du patronat béninois s’étonne qu’on ne lui ait pas ristourné les 13 milliards que l’administration fiscale juge ne pas lui devoir ?  Parce qu’il avait vu tout le tintouin qu’avait entrainé un autre pardon, accordé  celui-là ! Aussi avons-nous toujours affirmé urbi et orbi que personne dans l’appareil judiciaire, surtout pas l’un de nos procureurs de la République, encore moins le Procureur Général, ne devrait « tiper » après le fameux pardon ; même si – il ne faut pas être hypocrite- le pardon présidentiel est  un élément nouveau qu’il ne peut ignorer dans son prochain réquisitoire devant la nouvelle chambre d’accusation convoquée pour le 16 juin 2014. Procéder autrement, c’est ajouter à la confusion ambiante et au chantage sans vergogne de certains apatrides : si le chef de l’Etat a pardonné, l’Etat béninois doit verser les 160 milliards que le Trésor Public –nous tous, pardi- doit à l’un de nos concitoyens ! Non mais, des fois ! Exiger d’un Etat d’un pays qui est parmi les moins avancés qui plus est reste un petit pays très endetté, de débourser sans sourciller 160 milliards –le 1/5 de son budget annuel-, c’est manifestement se foutre du monde ! A  ce niveau, aucune argutie juridique ne peut convaincre le citoyen béninois gagne-petit ou gagne-moyen qu’on n’est pas en train de nous forcer la main à nous ruiner pour enrichir des concitoyens déjà plusieurs fois milliardaires. C’est à ce niveau que des considérations de sociologie économique, politique et d’anthropologie culturelle doivent être prises en compte.

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