Radiation en conseil des ministres : que fait-on des textes applicables en matière de procédure disciplinaire de l’agent de la fonction publique ?

Dans son communiqué en date du 12 juin 2014, le Conseil des Ministres a décidé de la radiation pure et simple de deux agents  de la fonction publique. Cette manière de procéder  nous amène  à nous poser certaines questions.

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Que retenir de ce Conseil des Ministres ?

Quelles sont les sanctions applicables  en cas de faute de l’APE ?

Quelle est la procédure de révocation de l’APE ?

Quelle est l’autre problème de droit que pose cette décision du Conseil des Ministres ?

Extrait du communiqué du Conseil des Ministres  en date du 12 juin 2014 :

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Dans le communiqué de la séance du Conseil des Ministres en date du 12 juin 2014, on peut lire l’extrait suivant.

« Enfin, le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche a rendu compte au Conseil des Ministres des sorties frauduleuses d’intrants agricoles du territoire national au travers de camions interceptés par le Commissariat de Malanville. Il ressort de ce compte rendu la forte implication du Responsable du Développement Rural de Kandi, Amadou Abdou et du Magasinier Hospice FANOU tous en service au CARDER à Kandi.

En prenant acte de ce compte rendu, le Conseil des Ministres a décidé :

1. au titre des sanctions administratives, de la radiation pure et simple des intéressés de l’effectif des agents de la fonction publique ;

2. au titre des sanctions pénales de confier le dossier au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, aux fins :

a. de poursuivre les enquêtes en vue d’identifier toutes les complicités éventuelles et

b. d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des mis en cause et leur faire payer par les moyens appropriés les préjudices financiers encourus par l’Etat du fait de leur forfait.

c. d’en saisir l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption en vue des dispositions éventuelles à prendre à son niveau ».

Il est constant selon le communiqué du Conseil des Ministre auquel a sans doute siégé notre Ministre de la fonction publique (Gardien de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents et du décret n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat)  que le Conseil des Ministres  a décidé au titre des sanctions administratives « de la radiation pure et simple  des intéressés de l’effectif des agents de la fonction publique ».

D’entrée, il faut rappeler que la notion de « radiation pure et simple » ne se trouve nulle part dans la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat en vigueur au Bénin ni dans le décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat. 

Les sanctions  en cas de faute de l’APE :

Selon l’article 131 de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents, les sanctions  disciplinaires de l’APE au Bénin sont :

A- Sanction du premier degré :

– L’avertissement écrit ;

– Le blâme avec ou sans inscription au dossier ;

– La mise à pied avec suppression de traitement pour une durée ne pouvant excéder trente (30) jours ;

– Le déplacement d’office ;

– Le blocage d’avancement d’échelon pour une année ;

– La radiation du tableau d’avancement.

B- Sanctions du deuxième degré :

– L’exclusion temporaire des fonctions pour une période ne pouvant excéder six (6) mois ;

– L’abaissement d’échelon ;

– La rétrogation ;

– La mise à la retraite d’office ;

– La révocation sans suspension des droits à pension ;

– La révocation avec perte des droits  à pension.

En ce qui concerne le décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat, l’article 81 dispose que les sanctions qui peuvent être infligées à l’agent contractuel de l’Etat sont :

1. l’avertissement avec inscription au dossier ;

2. le blâme avec ou sans inscription au dossier ;

3. la mise à pied sans solde de quinze (15) jours ;

4. la mise à pied sans solde de trente (30) jours ;

5. la rupture du contrat pour faute grave.

– Comment expliquer qu’en Conseil des Ministres, l’on n’observe pas les lois et les textes réglémentaires en vigueur pour prendre les décisions ?

– S’agit-il d’une révocation ?  Si oui est- ce qu’il s’agit d’une révocation sans suspension des droits à pension ou une  révocation avec perte des droits  à pension ?

Selon l’article 156 de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents, la cessation définitive des fonctions  entraînant la perte de la qualité d’agent permanent de l’Etat résulte :

– de la démission ;

– du licenciement ;

– de la révocation ;

– de l’admission à la

retraite.

Où se trouve la notion de radiation pure et simple utilisée par le Conseil des Ministres ?

La loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents  a prévu des règles générales pour la procédure disciplinaire et nulle part on y trouve une radiation pure et simple en conseil des Ministres.

Une lecture attentive de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat nous montre que cette sanction prise par le Conseil des Ministres et publiée dans la presse n’est pas prévue  dans la loi en vigueur  en matière de sanction de l’Agent Permanent de l’Etat.

La procédure de révocation prévue par les textes en vigueur :

 En cas de malversation  sans poursuite judiciaire comme ce fut le cas étudié en Conseil des Ministres le 12 juin 2014, la procédure prévue par les textes en vigueur et le manuel de procédures des actes de gestion en matière de contentieux et des archives du Ministère de la Fonction Publique demande que le Ministre utilisateur adresse une demande d’explication à l’agent fautif sur les faits  à lui reprochés, suspend ses fonctions et salaire aussitôt les faits constatés, transmet dans un délai de cinq (05) jours au Ministre de la Fonction Publique pour enclencher la procédure disciplinaire.

Les pièces suivantes doivent être réunies :

• la demande d’explication adressée à l’agent ;

• l’acte portant la suspension de ses fonctions et salaire ;

• le rapport circonstancié des faits ;

• la liste de quatre (04) agents choisis suivant les critères  prévus  à l’alinéa 3 de l’article 33 du statut Général des Agents Permanents  de l’Etat pour siéger au Conseil de discipline.

• le dossier est soumis à l’étude et le conseil de discipline est mis sur pied dans un délai de trois (03) jours.

Le rapport du conseil de discipline est déposé dans un délai de trois (03) mois et est exploité dans les quarante huit (48) heures suivant la date de dépôt. Une fiche  explicative est adressée au Ministre et le projet de lettre relative à la décision de sanction retenue à l’encontre du mis en cause est ainsi soumis au ministre pour signature. La lettre signée est envoyée au ministre utilisateur dans un délai  de quarante huit (48) heures. Le projet d’arrêté portant la sanction retenue est élaboré dans un délai de quarante huit (48) heures avec en souche les pièces  du dossier.

Avec cette clarté des textes et de la procédure, comment comprendre que ce soit sur rapport du ministre utilisateur (le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche) qu’on procède à une « radiation pure et simple » de deux agents de la fonction publique ?

Et pourtant à ce Conseil  des Ministres, il y avait un ministre qui a le portefeuille de la Fonction publique à qui la loi donne cette compétence de conduire la procédure allant à la prise des sanctions du deuxième degré pour un agent de la fonction publique en faute.

L’autre problème que pose  cette décision du Conseil des Ministres : 

L’autre problème que pose cette décision du Conseil des Ministres est le respect du droit fondamental de la défense qui fait l’objet de nombreuses décisions de la Cour Constitutionnelle. En effet, La Cour Constitutionnelle a toujours protégé ce droit important du citoyen en affirmant dans des jurisprudences constantes notamment dans la décision DCC 08-126 du 18 Septembre 2008 : que « le droit à la défense prévu par l’article 7.1.c de la Charte Africaine des Droits de l’Homme, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix… »,  principe fondamental de l’Etat de droit, s’exprime à travers le principe du caractère contradictoire de toute procédure ; qu’entrent dans le champ d’application du principe les mesures d’éviction ou de licenciement qui constituent des sanctions ; que lorsqu’une décision administrative prend le caractère d’une sanction et qu’elle porte atteinte à une situation individuelle, il est de principe constant que l’intéressé doit être mis en mesure de discuter les motifs de la mesure qui le frappe ».

Est-ce que dans ce dossier, les personnes en cause ont pu jouir de ce droit Constitutionnel ?

Pour nous, une faute commise doit être sanctionnée conformément aux lois de la République. Encore que les personnes impliquées bénéficient toujours de la présomption d’innocence qui ne peut être levée qu’au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à leur libre défense leur auront été assurées. Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. (Cf. article 17 de la Constitution du 11 décembre 1990). C’est pour mettre en œuvre  ce principe que les articles 138 de la  loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat et 81 à 98 du décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat ont prévu la procédure pour sanctionner une faute grave de l’agent Permanent de l’Etat ou de l’agent  contractuel de l’Etat.

Pour l’instant, il est important que l’on comprenne la base légale de cette importante décision de « radiation pure et simple » prise par le Conseil des ministres en sa séance du 12 juin 2014.

En tout cas une locution latine dit « Qui rogat, non errat »  c’est-à-dire « poser des questions n’est pas une erreur ».

Nous continuons de croire qu’il faut sanctionner les personnes mises en cause dans  les nombreuses affaires que nous observons malheureusement dans notre pays. Mais pour le faire, il faut également tenir grand compte des procédures et des  textes en vigueur pour ne pas transformer le délinquant  en héros.

Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste

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