Bénin : le piège n’est pas dans la revision de la Constitution, selon Professeur Salami

Professeur de droit public à l’Université, le Professeur Ibrahim David Salami a réagi ce dimanche à la décision de la Cour Constitutionnelle condamnant les propos de l’ex-ministre de l’Agriculture, Fatouma Amadou Djibril relatifs à un probable 3ème mandat de Boni Yayi. Le constitutionnaliste pense que le piège ne se trouve pas dans la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 mais peut-être ailleurs. Lire l’intégralité de sa réaction sur sa page facebook ici publiée.

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A propos de la decision DCC 14-156 du 19 août 2014 déclarant les propos de Mme Fatouma AMADOU DJIBRIL contraires à la Constitution

Il y a plusieurs façons d’entrer ou de sortir de l’histoire. A tort ou à raison, Mme Fatouma AMADOU DJIBRIL trouvera sa place dans mon manuel de droit constitutionnel non pas à la suite des propos malheureux qu’elle a tenus sur Canal 3 mais en raison de la decision de la Cour constitutionnelle declarant lesdits propos contraires à la Constitution.

L’on a en effet beaucoup glosé sur ces malheureux mots relatifs à un éventuel –assurément aconstitutionnel- troisième mandat du Président Boni YAYI.

J’ai été sollicité à plusieurs reprises pour me prononcer en tant que constitutionnaliste. Je m’y suis refusé parce que d’une certaine manière c’était donner à ces propos plus de mérite qu’ils n’en ont. C’était pour moi un non evénement pour la simple raison suivante: que le titulaire d’un pouvoir veuille le garder meme au-delà du terme légal ou constitutionnel est une chose, qu’il puisse le faire ou y arriver en est une autre.

Je n’ai pas à avoir confiance au Président Boni YAYI meme s’il l’a affirmé et confirmé à plusieurs occasions, je veux me convaincre que meme s’il en a envie, il ne pourra pas candidater en 2016 ou rester au pouvoir au-delà…

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Je ne suis pas inquiet pour plusieurs raisons

D’abord, contrairement aux idées recues, les membres de la Commission Gnolonfoun à laquelle j’ai appartenu n’ont jamais reçu une quelconque consigne pour faire sauter les options fondamentales de la Conférence nationale. Bien au contraire, cette commission a propose après celle du professeur Ahanahanzo-Glèlè de les renforcer.

Ensuite, la Cour constitutionnelle a de par sa jurisprudence, rendu impossible la soumission au referendum des dispositions visant à remettre en cause le caractère renouvelable une fois du mandat presidentiel. Ce qui exclut a fortiori la revision visant le meme objectif par la voie parlementaire car ce n’est pas le referendum en tant que procédé qui est contraire à la Constitution mais plutôt la volonté de remettre en cause cette option fondamentale de la Constitution…

Cette decision qui est à mon avis le plus grand événement juridique et politique d’envergure de cette semaine chez nous au Bénin ne vient que confirmer les intentions de la Cour du Carrefour des trois banques: elle ne cèdera pas sur cette question.

Alors, les Béninois ont le droit de continuer à avoir peur, de douter de tout y compris d’eux-mêmes. Moi je crois qu’il faut être vigilant mais serein. Le piège est peut-être ailleurs…

Un mot sur la decision du 19 août 2014

Il faut retenir de cette decision que l’expression libre de la pensée et des opinions est garantie mais elle ne doit pas conduire au non respect de la Constitution. Cela veut dire que non seulement on ne peut présenter une proposition ou un projet de loi manifestement contraire à la Constitution et à l’autorité de la chose jugée au constitutionnel mais on ne peut meme pas l’exprimer…

La Cour fait monter l’exigence du respect de la Constitution en ce qui concerne un ministre, celui-ci devant se montrer exemplaire meme dans l’expression de ses pensées, en raison de l’impact que cette expression peut avoir sur la conscience collective.

Au Bénin de façon générale, toute invitation à soumettre une question contraire aux options fondamentales de la Conférence au referendum est contraire à la Constitution.

La Cour a mis une camisole au people, pour son Bonheur… Pour le meilleur…

Pour le meilleur parce qu’on sait que c’est sous le couvert de la démocratie que l’on revise les constitutions en Afrique pour s’éterniser au pouvoir.

Demandez aux Burkinabais, ils vous diront qu’ils auraient été heureux d’avoir une Cour à la béninoise.

Cette decision de la Cour rendue avant le remaniement du 20 août 2014 mérite d’être saluée.

La Cour reste un gardien du temple constitutionnel entendu comme contrat social et politique signé à l’Hôtel PLM Alédjo.

Extrait de la decision DCC 14-156 du 19 août 2014 :

“Tout citoyen béninois, et Mme Fatouma AMADOU DJIBRIL, prise en sa qualité de Ministre, jouit de la liberté de pensée, d’opinion et d’expression reconnue par la Constitution;

Cependant, cette liberté n’exonère pas le citoyen du respect de la Constitution;

Cette exigence du respect de la Constitution est encore plus grande s’agissant d’un ministre de la République don’t l’impact de l’opinion sur la conscience collective est plus fort que celui d’un citoyen ordinaire;

Les propos du Ministre Fatouma AMADOU DJIBRIL s’analysent comme une invitation à soumettre au Peuple béninois la question du nombre de mandats présidentiels;

Remettre en cause le principe de la limitation de mandats présidentiels prévu par la Constitution constitue une violation non seulement l’article 42 de la Constitution, mais aussi de l’article 124 de alinéa 3 de la Constitution dans la mesure où la Haute jurisdiction ayant dit et jugé que sont exclues de toute revision de la Constitution les options fondamentales de la Conférence des Forces Vives de la Nation, entre autres, la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels…

Mme Fatouma AMADOU DJIBRIL a violé les articles 34, 42 et 124 de la Constitution.”.

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