Corde et discorde

Nous ne l’avons que trop répété : «C’est au bout de l’ancienne corde que l’on tresse la nouvelle». Mais sommes-nous décidé à passer du mot à la chose ? Dans la logique d’une saine continuité, les générations doivent se suivre sans se télescoper. Les aînés sortent de scène. Les plus jeunes leur emboîtent le pas. 

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Une génération passe le témoin à l’autre. Ainsi s’établissent, à travers la chaîne des générations, des traditions fortes. A tenir pour des bornes-repères sur un chemin de vie. Qui ne sait pas tresser la nouvelle corde au bout de l’ancienne, doit se résoudre à faire la dangereuse expérience d’un carambolage. Il s’agit de cette série de heurts entre plusieurs véhicules. Notre pays en est là. Il peine à lire dans la grisaille d’aujourd’hui, les belles pages du Bénin d’hier. Comme si une chaîne d’excellence s’était cassée. La brillance d’un certain passé, semé d’exploits, contraste avec la platitude d’un présent qui fait rimer médiocrité et passivité.

Commençons par l’histoire des amazones du Danhomê. Il s’agit de ces femmes qui ont choisi de naviguer à contre-courant, en s’illustrant comme le fer de lance de l’armée du royaume. Remarquables par leur bravoure, téméraires comme jamais n’ont pu l’être les hommes à la guerre, les Amazones   étaient l’exception faite femme. Elles contribuèrent à écrire les   plus belles pages de l’histoire du Danhomê.

Si le passé informait le présent, le Bénin d’aujourd’hui serait   terre d’amazones. Les femmes seraient omniprésentes dans toutes les sphères de décision et d’action. Qu’il n’en soit pas ainsi, traduit une rupture d’idéal. Le bel exemple des Amazones s’est arrêté aux Amazones. Aucun relais pour le prolonger. Aucune tradition pour le pérenniser. Les Amazones ont tout emporté dans la tombe. Sauf la soumission et la résignation, retombées, depuis, comme une chape de plomb, sur leurs arrière petites filles.

Sur un autre plan, le Bénin s’honore de l’engagement résolu de certains de ses enfants. Ils ont su s’illustrer, à différentes phases de son évolution, comme des intellectuels conséquents. Tovalou Houénou, Louis Hounkanrin, Paul Hazoumè, Dorothée Lima, Augustin Nicoué, Abdou Tidjani-Serpos… Ils ont su servir les autres, en étant de plain-pied avec les enjeux de leur temps. Ils ont compris le sens de leur mission, en assumant leur statut de veilleurs à la proue du navire.

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Quel contraste avec le cimetière d’idées et d’idéaux qu’est devenu notre pays. Nos intellectuels sont aux abonnés absents. Ils courent après les petits pains sucrés des puissants du jour. Ils feignent d’ignorer qu’ils sont la conscience critique de leur société. Plutôt transhumer de mangeoire en mangeoire que de répondre à leurs obligations. Plutôt hurler avec les loups que de mettre la plume dans la plaie.   

Nous en souvenons-nous encore ? Le 6 juillet 1962, le Ballet national du Dahomey (BND), sous la direction de Flavien Campbell de respectueuse mémoire, remporta, à Paris, le trophée dénommé «Challenge du Théâtre des Nations». Notre pays venait ainsi, par le panache et le talent de ses artistes, de certifier aux yeux du monde l’incomparable richesse de son patrimoine culturel. Fait inédit : c’était la première fois, depuis la création de cette compétition internationale en 1957, sous l’égide de l’UNESCO, que le «Challenge» échappait à une nation européenne.

Rentrée fracassante de notre pays, sur le plan culturel, dans la cour des grands. Mais, depuis, hélas, sortie par la petite porte. Faute d’entretenir la flamme. Faute de maintenir la culture à sa juste place. Nous n’avons pas su, en effet, tresser la nouvelle corde au bout de l’ancienne. Ce brillant exploit est tombé dans l’oubli. Les survivants de cette épopée de Paris sont ignorés. Pas le moindre souci pour un quelconque devoir de mémoire. Nous aurions pu, tout au moins, reconstituer cet exploit par une documentation multimédia à verser aux archives nationales. La culture végète dans la boue de nos abandons et de nos reniements, dans la superficialité de ceux qui s’illusionnent de produire des chefs d’œuvre en couvant des œufs pourris.

On comprend pourquoi, dans ces conditions, la plupart des Béninois ont vécu nos 54 ans d’indépendance comme un non événement. Le symbole, d’une génération à l’autre, s’épuise, s’effrite, se vide de tout contenu. Il y en a de moins en moins à se mettre sous la dent. Le pays a mal à la tête. Le pays perd la tête. Le pays marche sur la tête. L’ancienne et la nouvelle corde ne s’accordent plus. Bonjour, la discorde.

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