L’Afrique à l’épreuve de la culture

Question à cent balles. La connaissance de l’alphabet d’Ifa suffit-elle à faire d’un Béninois un citoyen culturellement accompli ? Tout était parti d’une colle. C’était dans notre émission «Au-delà de la chronique». Une petite colle qui allait s’avérer être une grande interrogation. 

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L’appropriation de l’alphabet d’Ifa est-elle nécessaire et suffisante pour qu’un Béninois se sente culturellement bien dans sa peau et soit en phase avec les valeurs et les réalités de sa culture de base ?

Connaitre l’alphabet d’Ifa, pour briller dans un match des incollables, n’est pas, selon nous, un critère valable pour apprécier le degré d’enracinement culturel de quelqu’un. Nous formulons une égale réserve sur le cas de celui-là qui fait, par exemple, des études africaines, et qui en sait un bout sur les cultures africaines. Une chose est de disserter sur ces cultures. Une autre chose est de vivre une culture en vérité et en réalité.

Pourquoi en est-il ainsi ? La culture, avant d’être un sujet d’études, de recherches ou de dissertation, est un esprit. Dans le sens où l’on parle de l’esprit de la culture. Ce fut, et pour cause, la toute première cible du colonisateur dans ses colonies d’Afrique. Il a suffi qu’il nous dénie toute humanité pour que fût accréditée l’idée selon laquelle nous n’avons ni pensée logique, ni histoire valable, ni productions pertinentes. Ce n’était plus qu’un jeu d’enfant de parachever l’entreprise, en déchirant la lettre de nos cultures. Ceci, à travers leurs supports matériels et symboliques assimilés à des attributs sataniques, à travers également des vestiges qui témoignent pour nous, mais qui furent ignorés ou vandalisés. L’esprit de la culture, c’est le principe de vie ou de mort d’une culture.

La colonisation, comme entreprise de dépersonnalisation, s’est donné des bases fermes en Afrique du jour où elle a atteint les cultures africaines en leur esprit, en ce qu’elles ont d’essentiel. Et l’Afrique perdit, jusqu’au souvenir, les sentiers qui conduisent à ses bois sacrés, à sa propre maison. Les   effets de ce traumatisme demeurent. Et il faut craindre que la jeune génération d’Africains, poussée et portée par les vents d’une mondialisation sauvage, ne remue le couteau dans la plaie.

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Il faut rendre hommage aux intellectuels d’ici et d’ailleurs qui n’ont pas cessé de fouetter la conscience universelle sur le drame de l’Afrique. La reconquête de la dignité de ce continent passe par la reconquête de l’esprit de ses cultures. Cet esprit est à redécouvrir. Il est à entretenir comme une source vivifiante et inspiratrice. Il doit colorer la vision moderne d’une Afrique qui revendique de compter dans les affaires du monde. Au regard de quoi, l’auto-enfermement serait une faute. Tout autant que la fascination pour les chants de sirènes du large. Une Afrique réconciliée avec elle-même doit pousser sur ses propres racines, dans un mouvement dialectique d’enracinement, à tenir pour vital, et d’ouverture, à comprendre comme inévitable.

Mais que d’obstacles encore sur un chemin pourtant tout tracé. Tous les pays d’Afrique ont adopté une Charte culturelle, se sont donné une politique culturelle. Mais cette belle unanimité agit comme un leurre. Elle masque un manque criard de volonté politique. Nous organisons des colloques, des séminaires, des symposiums et autres fora, sans nous soucier de changer de disque. Les mêmes résolutions cohabitent avec les mêmes recommandations. Passent et repassent les mêmes discours, les mêmes promesses, avant qu’elles ne trépassent dans les catacombes de l’oubli, dans les profondeurs poussiéreuses des archives. 

La culture reste, dans l’esprit de nombre de nos dirigeants, un produit dangereux pour des peuples qu’ils voudraient plutôt abêtir. Aussi s’efforcent-ils de la réduire à une entreprise subalterne de distraction gratuite, à une parenthèse vide. La culture serait, de ce point de vue, l’à-côté de l’essentiel, le reliquat folklorique de nos efforts de développement. Plutôt, par exemple, l’agriculture que la culture. La première se décline en espèces sonnantes et trébuchantes. La seconde stimule la pensée, donne des idées dans des pays où il est interdit de penser, de réfléchir, d’émettre une opinion autre que celle de la voix de son Maître. Manifestement, il y a un complot contre la culture en Afrique. Laisserons-nous faire ? Devons-nous abandonner le combat ? Les Sangho de la Centrafrique répondent : « Ce n’est pas au moment où les vagues sont les plus hautes que les piroguiers doivent cesser de ramer».

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