L’Hommage de Paulin J. HOUNTONDJI à Marcien TOWA

Le grand penseur et philosophe  Camerounais Martien Towa s’est éteint le 02 Juillet 2014 à l’âge de 83 ans. Il a été inhumé le samedi 9 août dernier dans son village natal du centre du Cameroun. 

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Auteur de nombreux ouvrages dont Négritude ou servitude, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle , bréviaire des étudiants en philosophie des années 70 , Martien Towa est connu de par le monde comme le pourfendeur de l’ethnophilosophie terme qu’il a co-inventé presque à la même époque avec le Pr Paulin Hountondji, un autre monument de la pensée philosophique africaine. C’est à juste titre que ce dernier lui a rendu  un vibrant hommage dans le texte ci-dessous, lu par le Professeur Nkolo Foe,  lors des hommages académiques rendus à l’illustre disparu le samedi 9 août dernier à l’université de Yaoundé, en présence du Ministre camerounais de l’Enseignement supérieur 

Un grand esprit s’en est allé, un philosophe engagé. Nous l’admirions et l’admirons toujours pour son courage intellectuel, son exigence. Marcien TOWA était pour moi un grand frère, un aîné exemplaire.

Je l’ai d’abord rencontré à Paris à la fin des années soixante. Alioune DIOP m’avait demandé de coordonner la commission de philosophie de la Société africaine de culture, volet associatif de la librairie et des éditions Présence africaine. Mes collègues et moi avons appris  qu’il était à Paris. Nous l’avons invité. Il nous a fait un brillant exposé.

Longtemps après, dans les années 2000, j’ai eu plaisir à l’accueillir au Bénin, à l’occasion d’un colloque organisé par le Centre africain des hautes études. Je ne sais plus si c’était en 2002 pour un colloque réuni à Porto-Novo sur « La rencontre des rationalités », ou en octobre 2006, pour un colloque tenu à Cotonou sur le thème : « Savoirs traditionnels et science moderne ». Les étudiants du département de philosophie qui emplissaient la salle, avaient tous entendu parler de Marcien TOWA. Ils avaient tous lu le petit, mais puissant Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle. Certains d’entre eux pouvaient en réciter par cœur des paragraphes entiers.

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Un grand esprit s’en est allé. Mon nom a été souvent associé au sien, pour le meilleur et pour le pire, en raison de notre commune allergie à ce que nous appelions l’un et l’autre l’ethnophilosophie. Nous avons tous les deux utilisé ce néologisme à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix de manière totalement indépendante, et sans aucune concertation préalable. Nous défendions l’un et l’autre, chacun à sa manière, le droit à une pensée critique et libre. Nous mettions en garde, tous les deux, contre la tendance, hélas fort répandue à l’époque, à l’emprisonnement intellectuel, à l’auto-enfermement dans un système de pensée préétabli. Nous en appelions au pouvoir d’invention des uns et des autres et à une créativité renouvelée, seul gage de progrès et de liberté pour les peuples africains.

Nous avons parfois été mal compris, mais l’essentiel est ailleurs. Marcien TOWA a largement contribué, au moins autant que ses nombreux critiques, et comme le reconnaissent volontiers ses lecteurs les plus attentifs et les plus cléments, à forger une nouvelle conscience africaine. A travers lui, l’intelligentsia camerounaise perd un de ses représentants les plus dignes. Et au-delà du Cameroun, l’intelligentsia africaine perd une de ses icônes les plus parlantes et les plus significatives.

J’adresse à ses enfants, à sa famille, à cette communauté philosophique camerounaise si active et si diverse, à tous les universitaires, à toute l’intelligentsia de ce pays, mes condoléances les plus attristées.

Cotonou, 7 août 2014
Paulin J. HOUNTONDJI
Professeur émérite aux Universités nationales du Bénin
Président du Conseil national de l’éducation
Cotonou.

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