Quand la mémoire fout le camp

Qui veut se développer, regarde vers l’avenir. Mais le souci des horizons futurs ne doit pas, pour autant nous faire perdre de vue nos réalités d’hier. Le passé nous tient lieu de terrain d’envol. Nous décollons, en effet, d’un sol constitué de nos savoirs et savoir-faire, de nos habitudes et expériences. 

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Nous nous référons également au passé pour mieux nous représenter le contre-modèle dont nous ne voulons plus. Pour qu’émerge l’homme nouveau en lieu et place du vieil homme qui sommeille en nous. C’est pour cette raison que tous les peuples de la terre manifestent le souci de préserver, de conserver, de sauvegarder leur passé jalousement intégré à leur capital patrimonial. C’est de cette manière que ces peuples payent leur dîme à la mémoire. Ce qui en ajoute à la pertinence du propos de l’historien burkinabè, Joseph Ki-Zerbo : « Il s’agit, pour nous, moins de recueillir le passé que de nous recueillir sur le passé». Ou encore « A moins d’opter pour l’inconscience et l’aliénation, on ne saurait vivre sans mémoire, ni avec la mémoire d’autrui». (Fin de citation) Pour des peuples de l’oralité comme les nôtres, le rapport à la mémoire revêt un caractère sacré. En l’absence de support écrit, c’est à la mémoire que tout est confié. Le Kpanligan, à la cour du Danhomè, déroulait, tous les jours, dès le chant du coq, la liste généalogique des rois. Il ne devait pas se tromper sous peine de vie. Par ailleurs, l’esclave ne franchissait jamais la porte dite du «non retour», sans sacrifier à son rituel d’adieu. Il tournait autour d’un arbre : neuf tours pour l’esclave homme, sept tours pour la femme. Ce rituel d’adieu référait au souci de confier un message à la mémoire des hommes, de témoigner d’une tragédie personnelle, individuelle : l’arrachement à la terre natale. Pour que le souvenir d’un adieu ne s’efface plus du souvenir. Comment alors expliquer que des peuples, hier si soucieux de mémoire, se plaisent-ils, aujourd’hui, à jouer les amnésiques ? A comprendre comme des gens qui accusent une perte totale ou partielle, temporaire ou définitive de la mémoire. Voyez, par exemple, l’état de nos archives, ces vieux papiers, comme nous disons. Elles n’intéressent pas grand monde. Même si elles conservent, en leurs replis poussiéreux, des pans entiers de notre mémoire individuelle et collective. La mémoire semble loin de nos préoccupations du moment toutes orientées vers la subsistance, l’argent à tout prix et à n’importe quel prix, les petits et grands plaisirs d’ici bas. Nous n’avons ni faim ni soif d’archives, de vestiges d’un passé que nous estimons révolu. Seul compte aujourd’hui, sinon l’instant présent. Nous nous programmons pour tout oublier. Nous oublions qui nous sommes. Le «connais-toi toi même» de Socrate, c’est le cadet de nos soucis. Dès lors que nous nous acceptons tels que les autres veulent que nous soyons. C’est à dire des aliénés heureux et fiers de l’être. Nous réfléchissons avec la tête des autres que nous singeons à loisir. Nous nous aimons et aimons le monde autour de nous avec un cœur dont les pulsations sont sous le contrôle d’autrui. Nous avons oublié dans nos maisons en ruine notre être profond. Nous sommes des porteurs de masque qui cachent leur identité pour mieux s’assimiler aux autres. Nous oublions le passé glorieux de l’Afrique, sa contribution exceptionnelle au progrès de l’humanité. C’est donc par ignorance ou par méprise que nous nous laissons fasciner par les exploits des autres ; que nous manquons totalement de confiance en nous-mêmes. Comme si nous ne savions pas que l’esprit qui cherche, découvre et créé n’a ni couleur ni patrie. L’esprit est la chose du monde la mieux partagée. Nous oublions nos valeurs les plus sacrées, ne cessant d’attenter au principe du «Gbè do su». Nous n’avons aucun respect pour notre environnement naturel. Jamais les dieux ne voudraient y prendre leurs quartiers. Pas plus de respect pour l’homme dont le tout premier des droits est le droit à la vie. Nous oublions tous nos engagements. La parole donnée ? Nous allons, répétant, que les promesses n’engagent que les sots qui y croient. Notre signature ? Il n’y a pas de quoi se prendre la tête avec sa conscience pour un simple gribouillage sur un document ou sur un chèque. Notre Constitution ? Touchera, touchera pas ? La réponse est encore dans le vent. Nos rendez-vous ? Revenez demain, sinon, jamais ! Ainsi va le Bénin.

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