Que faire contre la corruption ?

C’est la question qu’on se pose devant l’ampleur que prend ce mal endémique dans notre société. Dans ce texte qui a les allures d’une réflexion philosophique, l’auteur  met la communauté des citoyens au cœur de lutte contre la corruption.  C’est une gangrène qui ronge toutes les sociétés africaines en général et la société béninoise en particulier. Elle se nourrit de la bêtise humaine, s’enracine avec la méchanceté  et se déploie avec la pratique généralisée de l’injustice.

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Ceux qui s’installent dans la corruption se prennent au sérieux, se donnent une illusion d’intelligence supérieure, se confectionnent une carapace méprisante pour cacher leur incompétence et utilisent avec un cynisme consommé toutes les recettes du machiavélisme. Ils n’ont pas d’amis, parce qu’ils sont le centre de la terre et que tout doit contribuer à leur parfaite satisfaction. Pour soigner leur propre image et démontrer qu’ils sont en tout les meilleurs, ils sont capables d’aller jusqu’au sacrifice inutile de leurs propres biens.

Les demi-dieux et les autres

Pour eux, il y a deux sortes de citoyens : des citoyens au-dessus des lois et des citoyens en-dessous.

Les premiers citoyens n’ont pas de soucis à se faire. Les lois ne s’appliquent pas à eux et ne leur sont pas opposables. Ce sont des super citoyens et partout où ils passent, tout doit s’incliner devant eux. Ils sont investis de l’autorité de la puissance divine et n’ont nul besoin de connaître les lois et les règles régissant la société à plus forte raison les observer.

Cela concorde harmonieusement avec leur conception de la société sur laquelle ils s’élèvent, ils planent, car ils sont des dieux ou des demi-dieux. Bref, rien ne peut et ne doit leur résister puisque créés pour être au-dessus du commun. Leur volonté et leurs pensées sont des éclairs de lumière que rien, ni personne ne doit retenir ou limiter

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Ce genre de spécimen fleurit et prospère principalement dans la sphère politique. Néanmoins, il n’est pas rare d’en découvrir également dans les autres milieux sociaux notamment dans la sphère économique ou même dans la sphère religieuse. Dans leur domaine de compétence, ces personnes se considèrent comme des génies, raison pour laquelle ils réclament d’être célébrés, honorés, vénérés et adorés.

Ils sont si convaincus de ce qu’ils sont, qu’ils ne tolèrent pas la moindre confusion : on ne doit pas les confondre à d’autres, on doit leur céder le passage en priorité et on ne doit jamais leur résister au risque de commettre le crime de lèse-majesté. Sur aucun plan on n’a quelque chose à leur apprendre, c’est eux qui sont la norme et personne d’autre. En un mot c’est une race d’illuminés, bien que cette perception des réalités ne soit rien d’autre qu’un monument d’idioties.

En ce qui concerne les citoyens de la deuxième catégorie, ils jouissent de l’obligation de se soumettre, c’est ainsi qu’ils peuvent manifester leur intelligence, particulièrement lorsqu’ils ont le privilège d’être choisis pour servir les premiers.

La première vertu qu’ils doivent savoir cultiver, est leur disposition à servir la tête baissée, sans jamais croiser le regard des maîtres. Leurs droits se résument en l’obéissance constante, à la soumission permanente et en une fidélité parfaite. Ils n’ont rien à revendiquer mais toujours obéir. Il n’est question d’aucune activité à planifier, ni d’agenda de travail à consulter ou à dérouler. Ils doivent être à l’écoute des desiderata des supérieurs qui passent en priorité. Les compétences n’ont rien à y voir et encore moins la qualité. Ce que le chef a décidé, c’est cela la priorité. C’est ainsi que les choses fonctionnent à tous les niveaux, même en matière financière il n’y a aucune visibilité. On peut adopter un budget prévisionnel pour une période donnée, mais rien n’empêche que les subalternes soient confrontés à l’exécution d’engagements hors budget dont les lignes de crédits ne figurent nulle part ailleurs mais encore bouleversent profondément la mise à exécution des actions initialement programmées. Le chauffeur ou un homme de main du chef peut être celui qui vous communique la décision peu importe le canal choisi, vous vous devez de vous exécuter sans broncher. Cette réalité est manifeste partout, que ce soit dans la rue, dans les services et même dans les institutions.

Alors, pour quoi s’étonner que la lutte contre la corruption ne prospère pas ?

Tout dérèglement, toute dissolution des règles appelle la dépravation, la perversion, le désordre.

Dieu le créateur de toutes choses, le maître de l’univers a si bien compris les choses, qu’il s’est donné pour principe de se soumettre lui-même aux lois générales qu’il a établies dans la création. Ainsi, le soleil se lève toujours à l’Est et se couche toujours à l’Ouest ; que le printemps porte toujours en lui le début de l’année et l’hiver la dernière saison, quand bien même il a plu à l’intelligence humaine de placer le commencement de l’année civile en plein hiver, cela ne changera rien à l’ordre naturel établi par Dieu.

Un adage populaire dit que ce n’est pas la durée du séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau qui le transformera en caïman, et ce n’est pas parce qu’un quidam se prend pour un génie qu’il le deviendra nécessairement. C’est vrai que la Bible nous enseigne que la foi peut déplacer des montagnes, mais elle enseigne également que l’ignorance fait périr assurément.

Nul n’est intelligent pour lui tout seul, son intelligence ne peut prospérer que si elle est mise au service de la société de laquelle il est issu. Nous sommes intelligents ou riches par rapport à la communauté dans laquelle nous évoluons. En dehors de cette communauté nous ne sommes rien, et nous avons par conséquent besoin de cette communauté pour nous mettre en valeur. Si nous sommes en accord avec cette affirmation, nous devons reconnaître que nous sommes redevables envers ce groupe humain, avec des devoirs et des obligations à remplir.

L’individu tient sa force de la communauté

Ces devoirs et obligations constituent pour nous des dettes à rembourser à la communauté. Nous avons la possibilité de reconnaître ces devoirs et obligations ou de les fuir en les ignorants. Si nous les reconnaissons, marchons avec notre groupe et agissons pour l’atteinte des objectifs sociaux, dans l’ordre et la discipline. Mais lorsque nous adoptons un comportement de fuite ou d’égoïsme, nous nous comportons comme des enfants illégitimes ou comme des mercenaires.

Comment agit l’enfant illégitime ou le mercenaire ?  Exactement comme quelqu’un qui se croit en insécurité permanente dans le groupe. Il se croit toujours étranger et n’a aucun sentiment d’appartenance à la communauté dans laquelle il vit. Au lieu de s’attacher aux actions et initiatives susceptibles d’apporter un changement complet dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens qui ont placé leurs espoirs en lui, il pense en premier lieu à la sanction qui peut le frapper. Quel enfant légitime a peur de la verge paternelle au point de rompre avec son géniteur ? Aussi longtemps qu’il croit travailler pour la bonne cause, il ne se préoccupera pas de la sanction. Par contre l’enfant illégitime est convaincu qu’il rend service et que c’est le reste de la communauté qui tire avantage de lui. Dans cet état d’esprit, il croit être dans son droit de monnayer ses services, d’exiger une rémunération. Etant donné qu’il se trouve en position d’initié, et en bon mercenaire convaincu de sa personne, il préfère nager dans la tricherie et l’injustice, et ce qui doit arriver arrive : la corruption et compagnie pour le malheur de nos Etat sous développés et de nos sociétés en progression dans la pauvreté.

Finalement, ceux qui sont interpelés sont les citoyens de la deuxième catégorie, c’est-à-dire ceux-là qui ont du respect pour la chose publique et obéissent à la Loi. C’est eux les enfants légitimes et c’est à eux de se prendre en charge, d’organiser la riposte et de prendre leur destinée en main. Car eux : les travailleurs des villes et des campagnes, la jeunesse en général et la jeunesse sans emploi en particulier, les artisans, les couches vulnérables et autres laissés- pour- compte etc…, ont conscience qu’ils appartiennent à la famille et qu’en tant que tels ils ne doivent pas rompre les liens, abandonner les leurs, ni pactiser avec « l’étranger ». Ils sont les enfants légitimes parce qu’ils respectent et observent la Loi et sont prêts à s’y soumettre. Aucun enfant légitime n’a peur de subir les sanctions du père de famille. Mais l’enfant bâtard oui, parce qu’il ne s’est jamais identifié à la famille.

C’est pourquoi, les enfants légitimes doivent être en première ligne pour le combat en faveur du triomphe de l’ordre et du droit. Ne rien faire, se taire ou encore tout simplement obéir, c’est participer non par une complicité passive, mais bien par une complicité active au plan d’exécution du dessein de l’ennemi qui consiste en la spoliation de notre patrimoine commun. Des Héros tels que BEHANZIN, BIO GUERA, KABA et bien d’autres individus anonymes ont combattu l’injustice sous toutes ses formes et ont même consenti le sacrifice suprême pour la liberté de leurs communautés respectives. De nos jours, ces personnes sont encore célébrés dans de nombreux foyers, et nous citoyens de ces derniers temps, allons-nous nous inscrire à contre-courant de l’histoire et collaborer consciemment ou non à la restauration de l’esclavage moderne dans notre pays ?

Il est vrai que la misère est grande et n’épargne aucune famille, mais il est aussi vrai que la vie enseigne que tout mal doit être combattu véritablement à la racine et non superficiellement. Nos vrais ennemis sont ceux qui nous maintiennent dans l’indigence, nos vrais ennemis sont ceux qui travaillent avec toute leur intelligence pour nous maintenir dans l’ignorance, dans l’obscurité et dans la misère. Nos vrais ennemis sont ceux qui veulent nous voir toujours dépendre d’eux, en un mot ceux qui veulent demeurer nos dirigeants éternellement. Levons-nous !

Aboubacar S.Tiéhi
Enseignant chercheur
Cotonou

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