Libertés au Bénin : la rencontre des femmes amazones interdite à Parakou ce mardi

Prévue pour ce mardi 30 septembre 2014 à la salle d’Alphabétisation à Parakou, la rencontre des femmes amazones du Bénin avec leurs sœurs du Borgou sur le thème : «analyse critique de la gouvernance actuelle de notre pays» n’a pu se tenir. Et pour cause ? Le lieu de la rencontre était militarisé sous prétexte que la rencontre n’est pas autorisée.

Les «femmes amazones» du Bénin, des «persona non grata» dans la ville de Parakou ? On est bien tenté de le croire. Après avoir été refoulées une première fois en 2012, Rafiatou Karimou, Adidjatou Mathys, Amissetou Affo Djobo et leurs sœurs viennent une nouvelle fois d’être interdites de manifester dans la cité des Kobourou. La rencontre d’échange sur le thème : «analyse critique de la gouvernance actuelle de notre pays» qu’elles avaient projetée  de tenir avec leurs sœurs du Borgou sorties par centaines ce mardi n’a pu se tenir une nouvelle fois. Alors que toutes les dispositions avaient été prises depuis une semaine, la rencontre a été simplement et purement interdite par les autorités locales qui ont opposé un refus catégorique à la demande de ces «femmes baromètres pour une autre gouvernance». Aussi, la salle d’Alphabétisation de Parakou où devait se tenir la rencontre a-t-elle été militarisée par une horde d’hommes en uniforme et lourdement armés. 

Le motif des autorités

Dans les premiers mots qu’elle a prononcés, l’ancienne ministre Rafiatou Karimou a laissé entendre que la rencontre qu’elles ont organisée pour dire «non à l’imposture» et à un éventuel troisième mandat a été interdite parce qu’elles avaient des «problèmes avec les autorités de la commune».  Et ces problèmes, rapportés par les initiatrices de la rencontre, seraient liés  au fait que le mouvement des «femmes amazones du Bénin» n’est pas un «parti politique» ni une «association» enregistrée. Et qu’en plus, les propos des femmes ne pouvaient pas être encadrés. Mais pour les femmes amazones qui ne se sont pas laissées intimidées, puisqu’elles ont organisé une conférence de presse à leur hôtel également militarisé, c’est bien autre chose.

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Les vraies raisons

Selon l’ancienne ministre Karimou, des manœuvres étaient en cours depuis. «On a tout fait, passer de quartier en quartier pour décourager les braves femmes pour qu’elles ne viennent pas à cette rencontre. Qu’est-ce qu’on ne leur a pas proposé ? Malgré cela, elles sont venues massivement et le maire a dit non, qu’il n’autorise pas la manifestation pourtant prévue en salle», a-t-elle fait remarquer. Elle sera appuyée par l’ancienne députée Amissétou Affo Djobo qui, après avoir rencontré le maire Soulé Alagbé, est convaincue que même si elles avaient présenté le récépissé et les statuts du mouvement exigés par les autorités la rencontre n’aurait pas été autorisée. Car, le Maire lui aurait confié que «même si (elles font) les formalités qu’il (fallait) attendre 72 heures». Ce que déplorera l’ex-argentière nationale, Adidjatou Mathys. Elle pense que cet acte qui relève d’une autre époque constitue un recul pour notre démocratie. «C’est la confiscation totale des libertés», soulignera-t-elle avant de conclure : « mais nous n’avons pas peur, nous allons les reconquérir».

Rafiatou Karimou : « Ce qui se passe aujourd’hui au Bénin, c’est dramatique »

« Depuis quelques années, un groupe de femmes s’est réuni pour parler de la gouvernance de notre pays. On s’est donné pour objectif d’éveiller les consciences, des femmes d’abord et de tout le peuple béninois parce que nous représentons 52% de la population. Donc, si les femmes sont éveillées, si elles sont conscientisées sur leur rôle dans la société, nous pensons que le Bénin ira de l’avant. Et si nous connaissons bien notre rôle, si nous sommes associées à la gestion de l’Etat, si nous sommes dans les instances de prise de décisions, nous pensons que le pays pourra avancer. Le constat que nous faisons aujourd’hui et depuis 2006 jusqu’à ce jour, les femmes sont complètement reléguées à l’arrière-plan. (…). Il n’y a pas longtemps nous étions à Cotonou puis dans la vallée de l’Ouémé. Aujourd’hui  nous sommes à Parakou. Vous avez vu le monde qui était là dans cette grande salle d’alphabétisation de Parakou. Depuis plus d’une semaine, ceux qui nous représentent à Parakou, ont déposé une lettre d’information à l’autorité qui est le maire de Parakou par rapport à notre manifestation. Nous avons dit que nous allons rencontrer nos sœurs pour échanger sur la gouvernance actuelle du pays, faire des propositions pour que le pays puisse aller mieux. On a tout fait, passer de quartier en quartier pour décourager les braves femmes pour qu’elles ne viennent pas à cette rencontre. Qu’est-ce qu’on ne leur a pas proposé ? Malgré cela, elles sont venues massivement et le maire a dit non, qu’il n’autorise pas la manifestation pourtant prévue en salle. Nous ne voulons pas faire de marche ni de meeting. Je voudrais rappeler à la mémoire des Béninois qu’en 2012, le préfet d’alors, Denis Ali Yérima, nous avait interdit également de parler dans la ville de Parakou. Nous sommes arrivés aujourd’hui et c’est le même schéma. Je ne sais pas pourquoi ils ont peur de nous ? Nous sommes des citoyens béninois à part entière. Celui qui nous dirige aujourd’hui, si les femmes ne lui avaient pas accordé leurs suffrages, il ne serait pas là. Ce qui se passe aujourd’hui au Bénin, c’est dramatique. Mais nous disons à nos autorités, elles ne peuvent pas nous empêcher de parler. Ce n’est pas possible… Que le maire sache que dans un proche avenir, nous allons revenir ici pour rencontrer nos sœurs et échanger. Ces femmes ont plein de choses à dire. C’est elles qui vivent à la base les réalités que tous les Béninois et toutes les Béninoises subissent aujourd’hui dans le pays».

Affo Djobo : «Le Bénin est militarisé, les libertés publiques sont confisquées »

« Depuis une semaine, nous avons pris les dispositions pour que la rencontre avec nos sœurs de Parakou se tienne aujourd’hui. Nous avons adressé une lettre d’information à l’autorité, comme la loi le prescrit. On ne nous a pas dit non, on ne nous a pas dit oui. Mais comme c’est juste une information, on ne devrait pas s’attendre à une lettre de leur part. Nous sommes arrivées. Les femmes étaient mobilisées. Et ceux qui étaient sur le terrain pour organiser, viennent nous dire que le maire aurait dit que nous ne sommes pas un parti politique, nous ne sommes pas une association. Et même si nous étions une association, qu’il faut que nous amenions notre récépissé d’enregistrement avant qu’il n’accepte que nous nous réunissions à la salle d’alphabétisation. Dans une salle, ce n’est pas un meeting populaire dans la rue. Le groupe a décidé que j’aille chez le maire. Il était en Conseil communal. Quand il a fini, il est venu vers nous et a demandé qu’on lui envoie notre récépissé d’enregistrement et nos statuts avant de nous donner une autorisation. Je lui ai dit qu’en fait, ce n’est pas d’une autorisation qu’il s’agit. Nous sommes sur ton territoire, c’est vrai ; mais nous devons t’informer d’une activité sur ton territoire. Nous n’avons pas besoin d’autorisation. Il dit que c’est vrai mais que nous devons faire une demande et c’est à eux de statuer. Ça veut dire que même si on leur donnait nos récépissé et statuts, c’est à eux de décider si nous allons nous réunir ou pas. Il me dit : nous vous connaissons : On ne peut pas encadrer vos propos. Je lui ai demandé alors : de quoi avez-vous peur ? Je l’ai interpellé en tant que monsieur Soulé Alagbé, citoyen béninois. Il me dit que même si nous faisons les formalités qu’il faut attendre 72 heures. (…). Le Bénin est militarisé, les libertés publiques sont confisquées. Là où nous sommes dans cet hôtel pour faire cette conférence de presse, vous avez vu les policiers. Nous, des femmes qui venons échanger avec nos sœurs, on a militarisé là où nous sommes hébergées. Mais nous avons vu des femmes qui sont plus engagées que nous-mêmes, qui sont décidées à faire changer les choses. Nous resterons à Parakou durant le temps que nous avons prévu. Parce que Dieu est avec nous ; rien ne nous arrivera. Quels que soient les pièges, les montages qu’ils vont faire, nous irons à Cotonou en bonne santé. Mais nous reviendrons. Chaque fois qu’on nous chassera, on parlera et le monde entier verra la démocratie Nescafé qui est en train de s’opérer au niveau du Bénin …».

Adidjatou Mathys : « C’est la confiscation totale des libertés »

« Ce que j’ai vécu à Parakou ce jour, relève d’une autre époque, et est totalement ridicule dans un Etat démocratique. C’est la confiscation totale des libertés mais nous allons les reconquérir et nous n’avons pas peur ».

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