« Mahu kêdê »

« Mahu kêdê ». C’est une expression en fongbé. Elle pourrait, littéralement, se traduire par « Dieu seulement ». Pour dire, plus précisément, que Dieu, comme détenteur de tous pouvoirs, dispensateur de toutes grâces, a qualité pour décider de tout, a capacité pour tout entreprendre. Cette expression traverse les conversations les plus banales et les plus courantes. Tout comme elle rend compte, dans l’épreuve, du désarroi de celui qui ne veut s’en remettre qu’à la seule volonté de Dieu.

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Nous sommes, au Bénin, un peuple de croyants. Et cela ne saurait être apprécié comme un facteur de retard sur les chemins de notre développement. De jeunes béninois, qui avaient à peine assimilé et digéré leur catéchisme marxiste-léniniste, dans les années 70, affichaient la prétention d’être des athées militants. Ils voulaient faire de l’athéisme, c’est-à-dire de l’idée d’un monde sans Dieu, une option d’Etat imposable à tous. Ils heurtèrent et choquèrent alors l’immense majorité des Béninois. C’était contraire à leurs traditions. C’était incompatible avec les valeurs de leur éducation de base. La greffe n’a jamais pu prendre. Parce que Dieu, pour le Béninois, n’est pas une option. C’est la boussole de référence. C’est le repère par excellence. 

Pour dire que, dans le « Mahu kêdê », ce n’est pas Dieu qui est en cause. Mais davantage le rôle que les hommes lui font jouer, la responsabilité qu’ils lui font endosser dans tout ce qui leur arrive, la manière dont ils se cachent derrière lui pour refuser de s’assumer en réalité et en vérité. Au regard de quoi, le « Mahu kêdê » agit comme un cache misère. Nous nous en servons comme d’un paravent pour nous masquer trois de nos travers majeurs : l’ignorance, l’irresponsabilité, la démission.

D’abordl’ignorance. Nous sommes nombreux à nous faire une idée simpliste de Dieu, réduit tantôt à ce Père Noël généreux, tantôt à ce Père Fouettard nerveux. Comme si Dieu abusait de son éminente position pour n’en faire qu’à sa tête. Il peut vous combler, sans raison, de toutes les richesses de la terre. Il peut vous accabler, sans raison, des plus grandes souffrances et misères.

Cette ignorance de Dieu, enfermé dans des clichés aussi étroits que réducteurs, n’aide pas à s’élever vers les cimes de la spiritualité. Et qui ne sait pas décoller de son sol, préférant ramper à ras de terre, sans volonté de viser les hauteurs, a une image totalement altérée de Dieu. L’ignorance réduit Dieu à une donnée aussi irrationnelle qu’injuste. Il serait ainsi responsable de tout et de rien, responsable du bien et du mal. Il peut, selon son bon vouloir, ouvrir les portes du paradis au méchant et envoyer le juste en enfer.

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Ensuite l’irresponsabilité. Est irresponsable celui qui agit pour lui-même sans envisager les conséquences de ses actes. Celui-ci est fonctionnaire. Il le restera pour un temps déterminé avant de prétendre à une pension de retraite. On le presse de faire des économies pour ses vieux jours. On l’invite à abandonner, pendant qu’il en est encore temps, son statut de locataire. Mais il répond invariablement « Dieu fera », selon une expression populaire consacrée. Et d’invoquer, à l’appui de sa passivité, sinon de son irresponsabilité, la sagesse ancestrale :   « A la vache sans queue, Dieu épargne les mouches ». Cet autre enchaîne enfants sur en enfants. Et celui qui se hasarde à attirer son attention sur le coût et les contraintes de l’éducation des enfants est rembarré sans autre forme de procès.  » Je suis garçon, répond-il. Laissez-moi continuer l’œuvre de création de Dieu. Il m’a doté d’instruments toujours valides pour procréer ».

Enfin, la démission.C’est la résultante de la combinaison des deux premiers travers : l’ignorance et l’irresponsabilité. La démission est l’acte par lequel on se démet d’une charge, d’une fonction. Au motif, dans le cas qui nous intéresse, qu’on ne peut rien contre la volonté souveraine et impérative de Dieu. Aussi refuse-t-on de s’assumer comme homme devant un sens et une direction à sa vie. Que la volonté de Dieu soit faite en tout et pour tout. Plions-nous à ses décisions. Subissons-les comme une fatalité. Tout étant écrit à l’avance, nous venons au monde accomplir une simple formalité, un destin préétabli. Quoi que nous pensions, quoi que nous disions, quoi que nous fassions, il ne peut en être autrement. Ainsi, la boucle est bouclée et le « Mahu kêdê » fait de nous des otages de Dieu. Sacrilège ! Comment pouvons-nous ainsi insulter Dieu ? Tenons-le nous pour dit : Dieu n’est pas un preneur d’otages.(NP) 

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