Comment expliquer la présence des malades mentaux errants dans la nature au Bénin ? Cette question, il faut le constater, ne vient pas spontanément à l’esprit de beaucoup de béninois, y compris principalement les pouvoirs publics, tant ces malades mentaux, de tous les temps, sont abandonnés et cruellement jetés dans la poubelle sociale, dans des conditions horribles et indignes des êtres humains.
L’abandon quasi total des personnes souffrant de maladies mentales au Bénin est une situation datant de plusieurs décennies mais qui de nos jours est absolument inadmissible dans une communauté d’êtres vivants se réclamant des humains. Une illustration simple pour s’en convaincre. Dans la matinée du mercredi 22 octobre 2014, vers 9h 30 mn à Cotonou la plus grande ville et la capitale dite économique de notre pays le Bénin, je me rendais à une séance de travail au Ministère de la Santé. Et devant la Direction Générale des Forêts et Ressources Naturelles, non loin de l’Office National du Bois (ONAB), en face du bâtiment de la poste d’Akpakpa, je remarque assis sur le portail fermé, au bord de la route, un malade mental qui fit ses besoins sur le trottoir et manipulait avec ses mains les excréments qu’il passait à la bouche et au visage. L’image était horrible, insoutenable. Mais la circulation était dense et les voitures, motos et piétons étaient bien pressés de vaquer à leur affaires, sans se préoccuper de la situation déshumanisante d’un enfant du Bénin, réduit à un état de moins qu’un animal.
Le sujet des malades mentaux errants dans la nature et abandonnés presque de tous, que j’aborde donc ici aurait pu faire l’objet d’une lettre ouverte au Président de la République du Bénin, le Docteur Thomas Boni YAYI. Ce ne serait pas de l’irrévérence car, son attention mérite bien d’être attirée sur la tragique et horrible condition que les pouvoirs publics réservent aux personnes souffrant de maladie mentale et communément désignées comme des « fous » au Bénin. Cet écrit aurait pu aussi être une interpellation de Mme la professeure Dorothée Akoko Kindé Gazard, Ministre de la Santé, et candidate il y a encore peu, au poste de directrice régionale de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique.
Des constats accablants de l’horreur infligée aux malades mentaux au Bénin
Avant de faire ce jour-là le constat ci-dessus rapporté, j’avais emprunté pour me rendre à la réunion au Ministère de la Santé, la route menant du carrefour Saint Jean, juste après le Commissariat central de Cotonou, en passant par le carrefour du quartier Zongo, longeant la clôture de la société des chemins de fer (OCBN) et qui débouche sous le passage à niveau de l’Avenue Mgr Steinmetz et sur le pont Konrad Adenauer. Tout le long de la route, et particulièrement derrière la clôture de l’OCBN, j’avais dénombré, au hasard de mon attention, huit (8) malades mentaux, hommes, femmes, jeunes et vieillards. Tous extrêmement sales. Qui tout nu, qui affublé de guenilles et/ou de bagages d’immondices, qui déambulant et bavardant tout seul, qui couché sur le trottoir dans ses urines, le corps famélique et l’air hagard, accablé par une nuée de mouches posées sur le corps et la bouche dégoulinant de bave.
Ce spectacle-là de « fous » errants dans l’espace public, accablés et abandonnés de tous est une situation observable sur l’ensemble du territoire du Bénin, et dans DE NOMBREUX pays d’Afrique. C’est une situation dont tout le monde semble tirer avantage, car les malades mentaux ne posent des revendications à personne.
Pourtant, ils constituent une minorité de la population béninoise et les pouvoirs publics, en prenant leur responsabilité, peuvent bien opérer un changement radical dans leur prise en charge médico-sociale.
Le refus de l’Etat à se préoccuper de la santé mentale des Béninois
L’article 8 de la Constitution de la République du Bénin du 11 décembre 1990 dispose que « La personne humaine est sacrée et inviolable. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger. Il lui garanti un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses citoyens l’égale accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à la formation professionnelle et à l’emploi ». Pour les malades mentaux, apparemment, l’Etat béninois ne semble pas être tenu par cette disposition de la constitution. Ces citoyens-là, du fait de leur maladie, sont délibérément déclassés en dernière zone et jetés dans la nature comme des « détritus sociaux ».
De source bien informée, l’Etat béninois a l’habitude, à l’occasion des visites de personnalités jugées importantes, de faire rafler les malades mentaux errants en ville et de les « déverser » au seul Centre National Hospitalier Psychiatrique –Jacquot- de Cotonou. Et tant pis pour la suite, comme s’il faut cacher, ponctuellement, « cette honte » aux yeux des étrangers. Après le départ de nos chers hôtes donc, « ces encombrements humains » reprennent leur vie ordinaire. Pourtant, avec un peu de soins, certains guérissent. Quelle République ! Quelle inhumanité! Quel mépris de la dignité humaine !!
Le document de politique nationale de développement sanitaire (PNDS) indique « la démission des autorités et des acteurs de la médecine moderne… ». Le document de Stratégie de coopération de l’OMS avec le Bénin (2009-2013) précise L’engagement de l’OMS à aider le Ministère de la Santé grâce au plaidoyer pour le soutien technique et financier des programmes de santé mentale, ce qui n’est pas respecté. .
La construction des précarités et des exclusions sociales par les pouvoirs publics du Bénin
Dans d’autres secteurs, des initiatives foisonnent, montrant tous le paradoxe des choix et légitimations politiques en matière de solidarité nationale et de répartition des ressources publiques au profit des plus pauvres. Le gouvernement du Bénin s’est investi depuis 2006 dans les microcrédits aux « plus pauvres » avec un programme de plusieurs milliards de francs CFA; seulement, les malades mentaux sont encore plus pauvres et plus marginalisés que les bénéficiaires de ces microcrédits.
Le gouvernement du Bénin a décidé et mis en œuvre la gratuité de la césarienne dans les centres de santé agréés, mais les malades mentaux ne semblent pas avoir besoin de programme qui assurent la prise en charge gratuite de leurs soins.
Le gouvernement du Bénin a réalisé l’innovation du Régime Assurance Maladie Universelle (RAMU) pour les citoyens ordinaires à faibles revenus en prévision des situations difficiles en cas de maladie. Mais les malades mentaux déjà plongés dans une maladie qui affecte leur esprit et leur corps ne bénéficient point d’attention pour leurs soins et leur réinsertion sociale et professionnelle.
Le gouvernement du Bénin, dans le cadre de sa « politique d’aide progressive de l’Etat aux différentes organisations de la société civile », octroie depuis quelques années déjà, des millions de francs CFA, aux chefferies traditionnelles et confessions religieuses, mais les malades mentaux ne bénéficient guère d’une telle générosité pour leur prise en charge.
Le gouvernement du Bénin, à travers le communiqué du conseil des ministres du 3 septembre 2008, a annoncé avoir « inscrit au budget général de l’Etat, gestion 2008, un crédit de 500 000 000 de francs CFA pour venir en aide aux chefferies traditionnelles et organisations religieuses, dépositaires et défenseurs des valeurs morales et culturelles de notre pays». Mais, apparemment, dans les budgets généraux de l’Etat, aucune ressource significative n’est destinée à la prise en charge des maladies mentales et des personnes qui en souffrent.
Le gouvernement du Bénin fait des dons de vivres chaque année, pour des millions de francs CFA, aux musulmans en temps de carême afin que les fidèles dits démunis et indigents puissent rompre leur jeûne les soirs. Mais l’Etat béninois semble avoir oublié son sens et son devoir de solidarité vis-à-vis des malades mentaux. Ces derniers sont déjà plus que démunis et indigents. Ils restent affamés et assoiffés, de tout temps, à longueur de journée, matin midi et soir, errant dans la nature et contraints de manger des excréments, des restes pourris de nourritures, de volatiles ou de rats morts en putréfaction sur des tas d’ordures; à boire par terre des eaux souillées.
Le gouvernement du Bénin prévoie des millions de francs CFA dans les budgets des centres de santé pour la prise en charge des malades indigents. En raison des procédures difficiles de consommation de ces fonds et d’autres considérations, les prévisions sont réduites chaque année, mais restent toujours non consommées dans bien de structures sanitaires. Et pourtant, les plus indigents parmi nous que sont les malades mentaux sont sans soins, dans les conditions qui crèvent les yeux, même si nos consciences se refusent de les voir.
Ma conviction est, au regard de toutes les possibilités, initiatives et distributions ci-dessus rapportées, qu’un changement radical peut bien être apporté par les pouvoirs publics dans le traitement réservé à nos concitoyens malades mentaux.
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