Régionalisme : Gaston Zossou, Madougou, Bio Bigou et Akindès dissèquent un mal qui ronge le Bénin

«Le régionalisme et l’urgence de la cohésion sociale et Bénin ». Tel est le thème de la cinquième soirée politique organisée par la Fondation Friedrich Ebert, bureau de Cotonou à son siège. 

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C’était dans la soirée de ce vendredi 28 novembre 2014. Le Panel : les professeurs Bio Bigou Léon et Francis Akindès, les ministres Gaston Zossou et Reckya Madougou-Yèdo. Le modérateur : le journaliste-écrivain, Wilfried Léandre Houngbédji. Ambiance et compte-rendu d’une soirée riche en idées sur une question « tabou » mais préoccupante dans l’animation de la vie publique béninoise.

Fes : un décor

Tout comme les précédentes, la cinquième soirée politique de la représentation béninoise de la Friedrich Ebert Stiftung (Fes), n’était à manquer sous aucun prétexte. Le bureau de Cotonou de la fondation allemande bondait de monde dans la soirée de ce vendredi 28 novembre 2014. Professeurs d’universités, personnalités politiques, acteurs de la société civile, citoyens lambda et journalistes ont fait massivement le déplacement pour vivre et participer à l’animation de cet espace de confrontation d’idées, de libre débat. Pour le thème et surtout la qualité du panel, l’occasion en valait la chandelle. Il fallait faire le déplacement pour venir écouter Gaston Zossou et Reckya Madoudgou, anciens ministres de Mathieu Kérékou et Boni Yayi, puis Léon Bio Bigou et Francis Akindès, professeurs à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et de Bouaké (Côte d’Ivoire) débattre du «régionalisme et l’urgence de la cohésion sociale au Bénin.» «Une problématique tabou pour certains, grave pour d’autres et peut-être sans importance pour une troisième catégorie ; mais une chose est sûre : la question du régionalisme ne laisse personne indifférent », a souligné dans son allocution Constantin Grund, représentant résident de la Fondation Friedrich Ebert. « Au Bénin, fait-il remarquer, les manifestations du régionalisme vont de la recherche de l’équilibre interrégional dans la promotion des cadres de l’administration, aux nominations aux postes politiques et de direction en passant par les postes électifs ». Et constat patent : «le régionalisme est malheureusement devenu-à tort ou à raison- la nouvelle grille de lecture de tous les phénomènes sociopolitiques ou économiques au Bénin (…) Paradoxalement, c’est un sujet tabou qui se discute dans des lieux ou milieux qui ne sont pas compatibles avec des espaces de promotion de la démocratie» C’est sans doute pourquoi, la Fondation a décidé de la mettre sur la table dans l’une de ses soirées politiques. Une initiative prise pour «apporter sa contribution à l’enrichissement du débat public en attirant l’attention sur les questions importantes d’actualités au Bénin.»

Gaston Zossou-Réckya Madougou : confrontation directe

Avec la configuration du panel, on s’attendait à un débat de deux ordres. Notamment une confrontation directe entre les politiques, tous deux aussi éloquents que verveux et une analyse moins accusatrice des deux scientifiques. Cela n’a pas raté. Malgré l’accolade de Réckya et Gaston, il y a vraiment de l’adversité (des idées) dans l’air.

«Parlant de régionalisme, quelque chose s’est aggravée à partir du 06 avril 2006 (arrivée au pouvoir de Boni Yayi, Ndlr) Le Bénin est tombé aux mains de régionalistes et de tribalistes grégaires», s’est indigné l’ancien ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Kérékou. « Aujourd’hui, a-t-il tenté d’illustrer, sauf retouche de dernière heure, toute la régie financière se trouve aux mains de personnes originaires de la ‘bonne région’ (le Nord et la région d’origine de Boni Yayi, ndlr).Le régionalisme est érigée en système de gouvernance.»

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«Je ne suis pas là pour défendre une chapelle politique, mais le régionalisme ne date pas de 2006», a répondu Reckya Madougou, ancienne ministre de la Microfinance puis Garde des Sceaux et porte-parole du gouvernement Yayi. Gaston Zossou avance qu’il faut «aller droit au but et évoquer la question. Car, la seule manière d’éviter le mal est de le dénoncer.» Contrairement à son alter ego, l’experte en Finance inclusive et management des projets qui a fini par ce lâcher pense qu’il «faut arrêter un peu». Symbole de l’unité nationale, comme elle s’est décrite (son père est du Nord, sa mère du Sud et elle a épousé un sudiste), Réckya Madougou-Yèdo estime qu’ « à force de vouloir trop crever l’abcès, on exacerbe les gens. On les braque les uns contre les autres ». Elle ne nie pas le caractère régionaliste du régime Yayi.  Mais avance qu’il faut admettre que « le régionalisme relève de l’instrumentalisation  des liens sociopolitiques et socioculturels. Au Bénin, il est le refuge face à la pauvreté idéologique de la classe politique. Mais Il n’est pas inhérent qu’au Bénin. Evitons de stigmatiser notre pays.»

Akindès et Bio Bigou : analyse scientifique croisée

«L’aspect pernicieux du régionalisme se trouve dans son instrumentalisation à des fins politico-politiciennes», postule le professeur Léon Bio Bigou. Selon lui, pour bien cerner la problématique du régionalisme au Bénin, il faut se focaliser sur ces causes et non ses effets. Il estime que tout ce qui cristallise la question aujourd’hui s’explique par un certain nombre d’évènements ayant marqué le Bénin depuis 1946. «Ce sont les conséquences des dérapages du début que nous gérons actuellement», a indiqué le secrétaire général de l’Uac. Qui est de la même tendance que Gaston Zossou sur certains pans de la question : « Il faut oser en parler. Faire le bilan de ce que chaque régime a fait et vécu en ce qui concerne le régionalisme.»

« J’ai vu monter au Bénin un sentiment de régionalisme anti-régionaliste», a témoigné le professeur Akindès. Lui, apportait un regard, disons, externe, plus neutre, celui d’un non-acteur directe, sur le sujet.  Au Nord, a-t-il argumenté, les gens semblent s’organiser pour résister à certain élan régionaliste du sud. « La promotion du régionalisme est un frein dans la construction de la Nation, a-t-il poursuivi. Il produit deux sentiments : inclusion et exclusion. Du coup, on a une nation divisée en deux. (A savoir) les inclus (ceux qui bénéficient des faveurs du système) et les exclus.» Et au Bénin, cela s’explique dans une certaine mesure du fait qu’on a «un marché politique imparfait ; les règles de gouvernance ne sont pas claires.»

Solutions : éduquer et éradiquer la pauvreté

Les quatre panelistes ; Léon Bio Bigou, Francis Akindès, Gaston Zossou et Reckya Madougou-Yèdo sont unanimes sur un fait : pour combattre le régionalisme, il faut instruire, éduquer les populations et éradiquer la pauvreté. « Si nous voulons avancer, sortons de l’hypocrisie politique », a insisté le professeur Léon Bio Bigou. « Il faut accepter les différences irréductibles de chaque peuple, a-t-il ajouté. Offrir aux populations les mêmes facilités d’éducation dans toutes les régions. Revoir la charte des parties politiques ; trois partis politiques au plus est suffisant pour le Bénin. Il faut mettre fin à l’impunité.» 

Pour la ministre Madougou Yèdo, quand on parle de régionalisme, tout le monde pense au « régionalisme politique ». «Pour combattre le régionalisme politique, a-t-elle proposé, il y a des choses concrètes contre lesquelles il faut se lever : les meetings de remerciements (au chef de l’Etat après nomination, Ndlr). Il faut une répartition équitable des ressources dans le pays.» Sur ce dernier volet, c’est sans doute ce qu’Eric Houndété, député Un (Union fait la Nation, opposition) et présidentiable de 2016, présent à cette soirée politique désigne par «mener une réflexion sur l’aménagement du territoire.» 

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