Juriste très connu pour ses commentaires juridiques notamment sur les décisions de la Cour, Serge Prince Agbodjan réagit ici à la dernière décision de la Cour Constitutionnelle.
1/-Quelle lecture faites vous de la dernière décision de la cour ?
J’ai lu avec grand intérêt la décision DCC 15-001 du 9 janvier 2015 qui, à en croire sa référence, est la toute première que la Haute Juridiction a rendu en cette année 2015. D’entrée, je pourrais dire que c’est un ouf…. Un ouf car depuis un an plus précisément le 27 décembre 2013, j’avais déjà attiré l’attention de la Cour Constitutionnelle sur cette impasse et l’invitait à nous sortir de cette situation grave pour notre démocratie. Je n’avais pas été suivi car la Cour Constitutionnelle dans sa décision DCC 14-103 du 27 Mai 2014 avait trouvé qu’aucune Institution à savoir le COS-LEPI, le Gouvernement, le Parlement n’avait violé la Constitution et que la convocation du corps électoral pour les élections municipales et communales est subordonnée à l’achèvement du processus de correction et de l’actualisation de la LEPI, qu’en absence de ce préalable, la Cour ne saurait ordonner au Président de la République la convocation du corps électoral pour les prochaines élections municipales et communales. Je constate aujourd’hui que le processus de correction n’est toujours pas achevé et la même Cour cette fois-ci change de position et donne des instructions impératives devant nous amener aux élections législatives et municipales. Comme je vous le disais c’est un ouf pour moi car avant cette décision du 9 janvier 2015, aucun Béninois ne savait avec assurance et certitude les dates des prochaines élections, ni la date certaine où le COS-LEPI devrait nous déposer la liste électorale. La décision du 9 janvier 2015 a le mérite de nous fixer sur ces questions à travers ses articles 2, 6, et 8. La question relative à la convocation du corps électoral a été également réglée. Comme vous le savez, le Président de la République subordonnait la convocation du corps électoral à l’achèvement du processus de la LEPI, la décision de la Cour dans ses articles 7 et 9 lui demande de convoquer le corps électoral le 14 Février 2015 pour les élections législatives et le 3 mars 2015 pour les élections municipale, communale et locale. Cependant la décision comporte une disposition difficile à admettre et à accepter. C’est l’article 5 qui stipule qu’à défaut de la disponibilité de la liste actualisée pour le 15 janvier, la CENA est autorisée à organiser les élections législatives, municipale, communale et locale de 2015 sur la base de la LEPI ayant servi pour les élections de 2011.
2/-Pensez-vous qu’il est juridiquement possible en 2015 d’organiser les élections sur la base de la Lepi DU CHAOS DE 2011?
Organiser les élections sur la base de LEPI de 2011, c’est choisir délibérément d’exclure des Béninois des élections 2015 notamment les Béninois qui ont 18 ans en 2012, 2013, 2014 et 2015, c’est permettre à des personnes décédées de se retrouver sur la liste électorale devant servir aux élections de 2015, c’est cautionner le gaspillage des fonds publics par les membres du COS-LEPI enfin c’est choisir de susciter une crise sociale au Bénin étant entendu que le Président de la République lui-même voyant la crise qu’a créée la LEPI 2011 a demandé publiquement pardon au peuple béninois le jour du scrutin en 2011. Sur le plan juridique à partir du moment c’est une décision de la Cour Constitutionnelle, son application « juridique » est possible. Heureusement que c’est une hypothèse et personnellement je pense que cela est à exclure car les membres du COS LEPI ont dit que la liste sera disponible le 15 janvier 2015.
3-Quelles suites juridique, politique et autres entrevoyez vous, à ce nouveau développement de l’impasse électorale ?
Pour moi, la décision du 9 janvier 2015 de la Cour Constitutionnelle est une avancée car nous avons au moins des problèmes de régler en ce qui concerne la tenue des élections. La réaction que suscite cette décision est cette affaire de LEPI de 2011. Il faut donc une mobilisation pour éviter qu’on fasse recours à cette liste de 2011. Je crois aussi que les hommes politiques béninois, les dirigeants, les membres de nos Institutions doivent prendre la mesure de leur échec à jouer pleinement leurs missions constitutionnelles et savoir que la souveraineté appartient au peuple et comme l’a dit l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 «…Aucune fraction du Peuple, aucune communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique, aucune organisation syndicale ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice… »
4/-Vous aviez fait état récemment sur une station de radio privée d’un recours que vous avez introduit à la cour visant à amener la cour à réagir sur l’impasse électorale. Pourquoi, selon vous, la cour n’a pas associé les deux recours qui apparemment visaient le même objet ?
C’est vrai que j’ai effectivement fait un recours sur le même objet à la Cour Constitutionnelle. Mon recours date du 11 décembre 2014 et la Cour Constitutionnelle l’a réceptionné à son secrétariat le 12 décembre 2014. La décharge est avec moi. Le requérant Polycarpe TOGNON a fait sa requête le 22 décembre 2014 et déposé ce même jour du 22 décembre 2014 soit 10 jours après ma requête, curieusement, sa requête est traitée avant la mienne alors que nous parlons de la même chose. Ce qui m’a étonné est que la Cour Constitutionnelle n’a même pas évoqué ma requête dans sa décision du 9 janvier 2015. Cela pose un problème et j’attends la réponse à ma requête pour opiner. De toutes les façons ma requête demandait la prise d’une décision pour que nous respections les dates proposées par le gouvernement en son Conseil des Ministres en date du 13 décembre 2014 soit le 24 mars 2015 pour les élections municipale, communale et locale et 26 avril 2015 pour les élections législatives. La Cour Constitutionnelle ne m’a pas notifié sa décision mais choisit de faire les élections législatives avant les élections municipale, communale et locale. J’attends la réponse à ma requête pour opiner sur la question. Mais cela pose un problème quand même…
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