Tout comme le juriste Serge Prince Agbodjan, Urbain Amégbédji, homme politique, membre du parti Alternative citoyenne et de la Plate-forme des forces démocratiques, n’est pas resté sa réaction à la décision de Cour. Lire ci-dessous l’interview qu’il a bien voulue accordée à la Rédaction de La Nouvelle Tribune.
Lnt : Quelle lecture faites-vous de la dernière décision de la cour ?
Urbain Amégbédji : La décision intervenue le 9 janvier 2014 est une regrettable remise en cause des aspirations populaires à des élections de qualité et un positionnement de la Cour qui n’honore guère les engagements internationaux de l’Etat.
Une remise en cause des aspirations populaires en ce que la Cour laisse envisager le recours à la liste contestée de 2011 qui a consacré les élections tout aussi contestées, notamment celles du Président de la République. L’on se souvient que c’est avec l’engagement de l’Etat et du Gouvernement à faire procéder à la correction de cette liste sur la base de différents rapports que le relatif apaisement de la situation politique fut acquis. L’on se souvient également que ce processus de correction fut placé sous le contrôle de la Cour constitutionnelle qui a validé la loi instituant le COS-LEPI, et qui, au demeurant, ne s’est point émue lorsque les difficultés logistiques se fussent élevées à l’occasion du processus de correction. L’on se souvient, enfin, que le contribuable a exposé déjà près de 14 milliards de francs CFA pour s’entendre dire par la Cour constitutionnelle que l’important effort financier qu’il a fourni pourrait ne pas lui permettre d’atteindre les objectifs attendus.
Un positionnement qui n’honore pas les engagements internationaux du Bénin en ce que, procédant ainsi, et, surtout, en déclarant caduques les dispositions transitoires qui fondent l’intervention du COS-LEPI, la Cour constitutionnelle a, proprio motu, procédé à la modification jurisprudentielle d’une loi électorale. Or, le protocole additionnel au traité de la CEDEAO sur la bonne gouvernance et la démocratie interdit, en son article 2, toute modification d’une loi électorale à six (6) mois des élections si ce n’est par voie de consensus politique. La décision de la Cour constitutionnelle est la négation du consensus politique que recherche, certes avec peine, mais aussi avec beaucoup de courage, la classe politique. Son dispositif n’a même pas établi le constat de la consultation par elle des acteurs politiques. C’est finalement une regrettable et partiale prise de position qui satisfait entièrement les objectifs attendus par la mouvance encore fidèle au pouvoir exécutif : la liste électorale qui lui a permis de gagner l’élection de 2011 pourrait être utilisée avec le personnel politique dont il a conquis le soutien en cours de mandat qui l’aidera à se maintenir à l’Assemblée nationale et ne sera renouvelé qu’après l’élection des députés.
Pensez- vous qu’il est juridiquement possible en 2015 d’organiser les élections sur la base de la Lépi du chaos de 2011?
Le recours à la liste de 2011 n’est pas admissible, ni juridiquement, ni politiquement, ni humainement.
Juridiquement, dans l’une de ses décisions datant de 2010, pour déclarer contraire à la Constitution la loi alors adoptée par l’Assemblée nationale portant abrogation de celle relative à la LEPI, la Cour avait considéré que le législateur ne saurait violer les engagements internationaux, notamment le protocole cité de la CEDEAO et, au surplus, son œuvre devrait permettre d’avancer en qualité. La Cour vient de remettre en cause ce double critère sous des arguments bien spécieux. Elle laisse entrevoir que le Bénin pourrait revenir à une liste d’une qualité inférieure à la liste manuelle, objet de toutes les régressions démocratiques dans ce pays. Bien plus, partant du constat que le COS-LEPI n’a pas accompli sa mission dans le délai qui lui était imparti, elle a, fort curieusement, tiré une conséquence tout à fait illogique : la caducité de la mission, c’est-à-dire de la liste en cours d’établissement alors qu’elle devrait établir la caducité de l’organe ou inviter l’Assemblée nationale à lui accorder la prorogation nécessaire ou, encore, décider que la liste soit transmise, en l’état, à toute institution compétente, notamment, à la CENA pour exploitation. Laisse-t-elle supposer que le COS-LEPI, en dépit des moyens mis à sa disposition ne l’intéresse pas ?
Cette décision préoccupe davantage lorsqu’on sait que, politiquement, elle intervient, fort opportunément, dans le contexte des promesses finalement rassurantes que le COS-LEPI fait pour livrer la liste le 15 janvier. Doit-on craindre que l’on a si peur de la liste corrigée que la Cour ait cru devoir inviter dans le débat la possibilité de recourir à la liste traumatisante de 2011 ?
Enfin, humainement, un peuple qui n’avance pas, recule. Nul ne comprend que les efforts si importants soient effectués pour recourir à la liste de 2011.
Quelle suite l’homme de droit que vous êtes entrevoyez-vous à cette décision de la cour ?
Cette décision a néanmoins l’avantage d’encourager au combat politique. La classe politique doit davantage fournir les efforts en vue de son rassemblement, de sa cohésion et de l’affirmation du respect rigoureux des institutions de la République. Il faut :
Assurer la veille au COS-LEPI afin que la liste soit transmise au plus tard le 15 janvier 2015 en vue de rendre caduque la décision conditionnelle de la cour sur la liste. Le COS-LEPI a l’historique et patriotique obligation de transmettre la liste le 14 ou le 15 janvier. Les partis politiques devront constituer des délégations qui se mobiliseront au siège du COS-LEPI pour s’assurer que la transmission de la liste est effectuée.
Poursuivre le débat politique sur l’ordre de la tenue des élections d’autant, par ailleurs, que sur les élections municipales, communales et locales, l’on s’interroge sur la compétence de la Cour constitutionnelle à en fixer la date. Ce n’est sans doute pas sur le fondement des dispositions de la constitution qui l’habilitent seulement à connaître de la « validité » des élections présidentielles et législatives. C’est la cour suprême qui est compétente pour connaître du contentieux des élections locales. On objectera évidemment que c’est en vertu de son pouvoir de régulation. Mais à vouloir utiliser ce pouvoir de régulation dans toutes les circonstances, on finira par divorcer des époux sur son fondement !
Il est en outre possible d’organiser une marche républicaine, dès le retour du Président de la République de celle organisée en France. Il avait, en effet, appelé à l’organisation des élections locales avant les législatives et surtout insister à plusieurs reprises sur la nécessité d’un dialogue politique que, fatalement, la Cour vient de rompre. On marchera donc, côte à côte, contre cette violation du vouloir et du projet présidentiel mis en échec par la Cour constitutionnelle.
Enfin, le recours juridictionnel est possible, devant la cour de justice de la CEDEAO. Celle-ci nous permettra de savoir si l’Etat béninois, au travers de la Cour, satisfait les exigences de son protocole.
Il faut se résoudre en conclusion à considérer qu’il est dangereux de faire du droit un instrument de service au profit de quelques uns et non une lampe qui éclaire le peuple et qui élève la démocratie. Nous restons dans l’espérance entretenue que demeurera la solution et refusera de devenir le problème.
Laisser un commentaire