Littérature : Compte rendu de «Errance : chenille de mon cœur»

L’écrivain Béninois Daté Atavito Barnabé-Akayi vient de publier aux éditions Plumes Soleil à Cotonou son tout premier roman étiqueté  Errance : chenille de mon cœur. Roman de facture sociale et sentimentale. L’œuvre de Daté se présente comme un miroir reflétant les mutations d’une société en ébullition.

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Plusieurs thématiques captent l’attention de tout lecteur averti. Après ma lecture passionnée de l’œuvre de mon contemporain Daté Atavito Barnabé-Akayi, j’ai eu quelques frissons pour le genre littéraire romanesque qui ne m’a jamais accroché jusque-là. D’aucuns parleront d’influences. C’est positif d’avoir ses ancêtres à côté de soi. Senghor l’avait chez les gens de son canton proche. Moi aussi. Daté m’influence par ce roman de type nouveau où les personnages sont connus de tous même des Zémidjans de Cotonou. Et parlant de personnages-personnes, on peut citer, pêle-mêle, Florent Couao-Zotti, Habib Dakpogan, Romain Hounzandji, Roger Koudioadinou, Jean- Paul Tooh-Tooh, Dieudonné Oténia, Kangni Alem, Guy Ossito Midiohouan, Pierre Médéhouègnon, Abidjo Barthélémy, Apollinaire Agbazhou, Anicet Mègnigbéto, Kam Sophie Heidi, Amour Gbovi, François Mensah (Rip), et tout le beuverie club de Cotonou ( Jérôme Tossavi, Samirath Alidou, Tanguy Agoï pour ne citer que ceux-là).

«Errance : chenille de mon cœur »

Délimité sur 196 pages sans chapitres organisés, Errance : chenille de mon cœur  est d’abord un cahier intime ; une sorte de journal autoportrait d’un personnage érotique à la  quête de sensation et de sexualité la plus inouïe. Oui je dis bien sexualité. Car le poète-romancier Daté ne va pas se démarquer de cette thématique qui apparaît en toile de fond de son œuvre abondante. La femme, encore la femme, toujours la femme. C’est de cela qu’il s’agit avec les nombreuses aventures amoureuses que l’héroïne Saniath a entretenues tout le long de la prose narrative. Revenons à la diégèse qui touche tous les angles de notre société (cybercriminalité, système éducatif béninois pourri, dérèglement énergétique incarné par la Sbee, société béninoise d’électricité et de l’eau, le drame politique tel que vécu sous les tropiques où fleurissent les fausses promesses de nos dirigeants assoiffés de politique).  Il s’agit de Saniath, jeune élève campée dans la peau d’une fille pubère vite émancipée qui se laisse emporter par tous ses désirs. Deux urgences poussent notre héroïne en errance. La première, sa passion démesurée de publier coûte que coûte le roman de sa vie- sous l’influence de son pseudo-psychologue, elle est sonnée de remplir au jour le jour un cahier (journal) qui fera objet de publication à la suite de toutes les aventures et mésaventures connues. La deuxième, convaincre son professeur de français de son amour envers sa personne. Sur les traces de son éducation, elle rejette certaines contraintes familiales trop rugueuses pour elle et pour ses autres frères et sœurs. En ce sens, elle se plaint constamment de sa mère qui constitue pour elle une calamité et pas forcément un bel exemple à copier.

L’errance comme clichés d’émotions

 La trajectoire de Saniath se limite à ses amis- et Dieu même sait qu’elle en a à foison- et à son professeur de français qu’elle « adore » en passant par son psychologue. Au départ c’était un amour confidentiel pour cet enseignant que Saniath adore. Mais après elle finira par déclarer ouvertement ses sentiments à son professeur de français. On peut lire ceci à la page 66 du roman : « je crois sincèrement que je vous aime, pardon, j’aime votre cœur. Je veux vous appartenir, éternellement. C’est fou comme je suis comblé les dimanches soirs et surtout quand nous sommes lundi. Du simple fait que je vais vous voir, non, pardon je vais suivre votre cours ». On ne peut plus claire. Saniath aime son prof et trouve du plaisir à être en sa compagnie. Elle regrette même que son prof soit un homme marié. A maintes reprises, elle a pointé son doigt accusateur sur maman Erasmus qui est la femme du prof-amant. Dans le même viseur, Saniath partage son cœur avec une kyrielle de petits amis. La liste est un peu longue.

Derrière le rideau de l’errance

Les maux sont ainsi égrenés par le prosateur de Chenille : errance de mon cœur. Saniath Zamba n’est qu’un prêt-mot pour dénoncer les caprices d’une société en ruine. Quelques micro-récits méritent qu’on s’y attarde. Le récit sur  feu François Mensah n’est qu’une autodérision  sur une jeunesse capable mais traumatisée par  la drogue et  l’alcool. Le micro-récit sur les enseignants-vautours qui quémandent des heures de vacations dans tous les sens est aussi accrocheur. Ces enseignants capables de corriger les copies des élèves sous l’échangeur de Godomey meurent si on leur arrache une classe. Derrière cette satire se dégage toute la problématique de notre système éducatif enrhumé. Et Daté est bien placé pour le dire vu sa casquette d’enseignant.  Plus loin, il faut noter le discours pamphlétaire qui parsème le roman : la verve du prosateur contre les romanciers n’est pas gratuite. Pour Daté, le roman est un genre humiliant capable d’être exécuté par tous. Par contre la poésie est bien noble. Il s’en prend vertement à tous les écrivains qui pissent l’orgueil et la goinfrerie en se prenant pour Dieu. Et le centre de la terre. L’autre charge pamphlétaire notée dans le roman est le discours religieux axé sur un Dieu nul et inutile qu’il faut gommer de toutes les prières (c’est Saniath qui parle. Mais paradoxe pour paradoxe, Saniath est une évangéliste issue des arcanes de l’Eglise des Amoureux du Christ).

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Le mérite d’une plume

Le langage parfois débridé du prosateur n’est pas à oublier. Volontairement l’auteur transfère des sms-Kifs dans son récit. Des interjections tirées du langage argotique fleuve pointillent le roman pour laisser choir dans nos tympans l’émotion vive du personnage évoluant dans un cadre spatio-temporel illimité. On a du mal à la saisir en plein vol dans ce récit où le chronotope converge vers des récits enchâssés. Le rire sournois et sarcastique de Daté est aussi bien perceptible derrière tout ce récit qui côtoie le style du one man show à la façon de Elmaleh Gad. Pour un coup d’essai romanesque, ce fut un c$oup de maître pour ce roman qu’on peut qualifier de roman des réseaux sociaux entendu que bon nombre d’extraits y sont déjà postés bien avant la parution du chef d’œuvre attendu des paisibles lecteurs d’ici et d’ailleurs.

Jérôme-Michel TOSSAVI, poète-dramaturge, bibliothécaire à l’Institut Français de Cotonou

Une réponse

  1. Avatar de HANTAN Régis Mahougnon
    HANTAN Régis Mahougnon

    Une excellente analyse du succulente.

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