Carte d’électeur : une pièce en trois actes

Vous avez dit carte d'électeur ? Le Code électoral actuellement en vigueur dans notre pays (Référence à la loi N°2013-06 du 25 novembre 2013) dispose que, article 182 (Citation) : "Il est établi pour chaque électeur une carte d'identification appelée carte d'électeur (…) La carte d'électeur est unique, personnelle et incessible". (Fin de citation)

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Il y a loin des bonnes intentions du législateur au vécu réel du citoyen électeur. L'un projette une vision idéale de la réalité. L'autre est confronté à la rigueur et à la rugosité de cette même réalité. Les élections législatives s'annoncent. Tout citoyen béninois, régulièrement inscrit sur les listes électorales, a droit à une carte d'électeur. L'éthique citoyenne lui impose le devoir de s'en servir. C'est en cela que, même si le vote, chez nous, n'est pas obligatoire, l'expression du suffrage, pour chacun, relève d'une prescription d'ordre moral.

Mais quelle idée le détenteur d'une carte d'électeur se fait-il de ce document ? Quel pouvoir cette carte confère-t-elle à son détenteur ? Quel rôle lui fait-il jouer dans la communauté nationale ? Sait-il, au moins, dans le cadre de la souveraineté dévolue au peuple, qu'il est un individu responsable, par son vote, du destin collectif de ce peuple ? Par rapport à ces questions essentielles, et compte tenu de nos réalités sociopolitiques, la carte d'électeur peut être comparée à une pièce de théâtre. Jouons-la en trois actes, avec, chaque fois, un personnage typique.

Premier acte : le citoyen floué. Les élections sont mal organisées. Elles se déroulent dans un climat vicié, gangrené. Les principaux acteurs, sans exception, s'accordent, comme par entente tacite, à tricher. Celui qui gagne les élections n'est pas forcément celui qui a réuni sur son nom le plus de suffrages, celui pour qui les électeurs ont majoritairement voté. La "technologie électorale", comme on dit, en a autrement disposé. La victoire est allée au plus rusé.  La palme est revenue au plus entreprenant dans la fraude. Ce n'est pas le mérite qui est reconnu et récompensé. L'électeur n'a servi que de prétexte. Ce sont les chemins obliques vers le pouvoir qui sont consacrés et honorés.

Alors question : que vaut ou que peut valoir, dans ces conditions, la carte d'électeur, quand un vote n'exprime aucun suffrage, et que rien n'est comptabilisé comme tel ? Le dindon de la farce, c'est le citoyen électeur. Il est invité à remplir une   formalité vide de tout sens. Il lui est demandé de faire semblant pour sauver les apparences. Le mensonge est ainsi érigé sur la dépouille de la souveraineté du peuple. Le citoyen-électeur est proprement floué. La messe est dite. Au revoir et à bientôt.

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Deuxième acte : le citoyen volé. On peut fausser les résultats d'une élection en provoquant et en entretenant des dysfonctionnements techniques à différents stades ou étapes du processus. On peut également agir sur le citoyen électeur, en l'instrumentalisant, en l'anéantissant. L'argent qui se distribue en abondance pendant les campagnes électorales sert à cela. On procède, en effet, à un achat en règle des consciences. A l'effet de neutraliser la carte d'électeur et de disqualifier son détenteur. Le premier perd son pouvoir d'action. Le second n'a plus de volonté propre. Il est pris en charge. Il est agi. Voilà comment on vole une voix à celui qui se laisse ainsi vendre au plus offrant et dernier enchérisseur. 

Troisième acte : le citoyen libre et libéré. C'est le bel exemple souhaité. Il mérite d'être érigé en modèle. Ceci, dans le cadre d'une démocratie adulte qui promeut des pratiques électorales vertueuses. Cela suppose que le citoyen électeur est formé et informé. Qu'il a conscience, avec sa carte d'électeur, d'être investi d'un véritable pouvoir de réalisation. Qu'il a des idées à faire valoir et à faire partager. Qu'il s'engage à porter ces idées au pouvoir, en même temps que ceux des fils et filles du pays capables de mieux les défendre.

Ce qui valide, au premier chef, le statut de ce citoyen électeur, c'est la liberté. Il doit être, avant tout, un être libre. Libre dans sa tête, par conséquent, libre dans ses choix et dans ses déterminations. Il doit être, avant tout, l'homme d'un choix pleinement assumé ; l'homme d'une vision opiniâtrement défendue et illustrée, avec foi, conviction et constance.  Parce qu'il sait penser par lui-même et pour lui-même. Question, la toute dernière : quel type d'électeur ambitionnez-vous d'être ?

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