Me Jacques Migan plaide pour un Bénin plus uni et plus fraternel

Dans le cadre des 25è anniversaires de la conférence nationale, le bâtonnier Jacques Migan a animé une conférence sur les implications de l’esprit de la conférence dans le contexte socio économique et politique actuel. Organisée la conférence épiscopale du Bénin, elle a permis au bâtonnier Migan de passer en revue les hauts et les bas des 25 ans de démocratie au Bénin et de proposer, pour le futur, un Bénin plus fraternel et plus uni pour lutter contre les problèmes.

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CONFERENCE SUR LE THEME : L’ESPRIT DE LA CONFERENCE NATIONALE : IMPLICATION POUR LE CONTEXTE SOCIO-ECONOMIQUE ET POLITIQUE ACTUEL.

Historique, inédite, unique, géniale, tels sont les qualificatifs élogieux dont on affuble volontiers, non pas sans raison, la Conférence des forces vives de la Nation. Il est vrai que, la réussite improbable de cette Conférence nationale reste encore aujourd’hui un sujet d’étonnement pour beaucoup de personnes. Neuf jours durant du 19 au 28 février 1990, toutes les forces vives de notre pays, sans considération de leurs sensibilités politiques, sont parvenues grâce à un esprit de dialogue, un esprit de concertation et de concorde à un consensus dynamique et constructif à la mesure des profondes et légitimes aspirations du peuple béninois tout entier. Contre toute attente, l’impasse fut évitée et les attentes du peuple béninois ne furent point déçues. La Conférence a marqué le passage d’un régime autocratique, monolithique, d’embrigadement de la pensée, de musèlement des libertés à un régime de démocratie  pluraliste marquée par la consécration et le respect des Droits de l’Homme et le libéralisme économique.

Vingt-deux ans plus tard, le 28 février 2012, la journée de clôture de la Conférence a  été baptisée journée du Consensus National.

Nous ne finirons jamais assez de louer les qualités de sagesse de deux hommes, grâce à qui la Conférence connût un dénouement heureux. Ces hommes, vous les connaissez, et peut être mieux que nous : le Général Mathieu Kérékou et Monseigneur Isidore De Souza, alors archevêque de Cotonou.

 Mais après un quart de siècle, avec lucidité et recul,  loin de l’apologie et des discours enflammés, nous pouvons nous interroger sur la valorisation de cet important acquis que représente le renouveau démocratique. Avons -nous su valoriser cet atout envié par d’autres pays, cet acquis historique ? Avons-nous su le consolider ? En termes clairs, de 1990 à 2015, les vies socio-économique et politique ont-elles permis d’améliorer les conditions de vie des béninois depuis 1990 ? La réponse à cette question est oui car il ne faut pas oublier la situation socio-économique et politique du Bénin des années 1980 caractérisée par un marasme économique généralisé, la faillite des entreprises publiques et du système bancaire, les difficultés de trésorerie de l’Etat, la rupture du contrat social entre les dirigeants du pays et les citoyens, les grèves cycliques, la négation des libertés et  l’agitation politique permanente.

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Après 25 ans d’expérience démocratique  et de libéralisme économique, la situation socio-économique et politique du Bénin a-t-elle véritablement changé ?

La situation sociopolitique actuelle permet-elle d’envisager cette époque comme un souvenir ? Sans être péremptoire et avec quelques réserves, nous pouvons répondre non. Notre propos sera illustré par une analyse socio-économique d’une part, politique d’autre part.

Au niveau socio-économique : Sur le plan socio-économique, la population du Bénin a doublé entre 1980 et 2010. Parallèlement, le chômage des jeunes a explosé. Des milliers de jeunes postulent aux concours de la fonction publique où le nombre de postes à pourvoir est souvent inférieur à dix. Il est clair que l’Etat ne peut offrir un emploi aux 6 millions de jeunes béninois. Le secteur privé a donc un rôle essentiel à jouer. Encore faut-il que les jeunes béninois soient bien formés et que leur formation soit diversifiée. L’économie béninoise a tout autant besoin d’enseignants, de médecins, de juristes, d’économistes, d’agronomes ….. que d’ingénieurs et de techniciens.

Le décrochage scolaire, un frein au développement : Un problème relativement récent qui compromet de manière certaine l’avenir du jeune : le décrochage scolaire. En effet, pour différentes raisons, beaucoup d’enfants et en particulier les filles ne terminent pas leur cursus scolaire au niveau du primaire alimentant le groupe toujours plus important d’illettrés. Or, sans formation, il n’est pas possible d’occuper un emploi qui permettra aux jeunes devenus adultes de travailler et de s’insérer dans la société.

L’explosion démographique que connaît le Bénin pose d’autres problématiques tout aussi importantes : le logement, les soins, le développement des infrastructures terrestres. En ce qui concerne le logement, celui-ci progresse à l’horizontal à travers la construction de maisons individuelles, grignotant chaque année des milliers d’hectares de terres cultivables. Il faut donc repenser le logement afin de préserver les terres arables – par exemple, en construisant à la verticale c’est-à-dire des immeubles d’habitation.

Au niveau de la santé : 80% de la population béninoise ne bénéficie d’aucune protection sociale.

La sécurité sociale béninoise n’assure, en effet, aucune prise en charge au niveau des soins. C’est dans ce contexte que les mutuelles de santé se sont multipliées. Or, les populations défavorisées se trouvent exclues du système de mutualisation du risque maladie.

A cela s’ajoute, le manque de structures médicales spécialisées capables de répondre efficacement à la prise en charge de patients atteints de cancer, de troubles endocriniens par exemple faute de spécialistes et de laboratoires capables d’assurer des analyses spécifiques.

Au niveau des infrastructures terrestres : Le Bénin est doté d’un réseau routier conséquent et raccordé aux pays limitrophes par les routes inter-Etats baptisées "Corridor". Ces dernières ont été bitumées dans la décennie 1990 – 2000. Mais aujourd’hui des tronçons importants sont impraticables en particulier entre Cotonou et Abomey faute d’entretien obligeant les pouvoirs publics à la refaire complètement. Autrement dit, le contribuable béninois paie et paiera plusieurs fois la construction d’une même route car les autorités publiques n’ont pas encore pris conscience que l’entretien des routes est fondamentale et coûte beaucoup moins cher. De plus, elles sont permissives avec les sociétés de transport par camions car ces derniers sont toujours surchargés contribuant très fortement à la dégradation des voies.  

Enfin, si aujourd’hui la production des cultures vivrières couvre à peu près les besoins élémentaires de la population, qu’en sera-t-il demain si l’agriculture ne se modernise pas ?

Mais tout cela a un coût pour l’Etat qui doit toujours former plus d’enseignants, plus de médecins, construire de nouvelles écoles, de nouveaux hôpitaux etc… Or, la progression du budget de l’Etat ne peut pas faire face à ces besoins supplémentaires.

Quid sur le plan politique ?

Il convient de noter  que ce qui a permis un dénouement heureux de la Conférence Nationale, c’est l’esprit de tolérance, de l’acceptation de l’autre et du respect de la différence, de la transcendance des considérations régionales, ethniques et tribales.

Mais aujourd’hui, les apports de la Conférence Nationale au niveau politique semblent être remis en cause par la montée du régionalisme sur fond de clientélisme politique, par des atteintes diversifiées aux libertés d’expression et de manifestation.

Liberté d’expression. Aujourd’hui, face à la grande fragmentation du paysage politique, nous assistons à un appauvrissement aigu de la liberté d’expression. De 1996 à 2006, lorsque le Président Mathieu Kérékou était au pouvoir, la liberté d’expression était totale-ce qui a permis le développement dans la sérénité et la sécurité d’une presse d’opposition ainsi que des partis politiques d’opposition. D’ailleurs en 2002, le Bénin occupait le 1er rang en Afrique et se situait au 21ème rang mondial au niveau de la liberté d’expression. Aucun journaliste n’était menacé par la censure.

Depuis 2008, la situation a changé : le Bénin a reculé à  la 70ème place mondiale (2008-2010), à la 91ème place mondiale en 2012, à la 75ème place mondiale en 2014 et enfin a malheureusement de nouveau reculé à la 84ème place en 2015. Ces chiffres montrent très clairement le recul de la liberté d’expression au Bénin actuellement.  Les menaces sur les journalistes d’opposition, l’interdiction d’antenne de tel ou tel opposant montre un grave recul de cette même liberté.  Nous savons tous que les médias des services publics sont aux ordres. Souvenons-nous de la récente déclaration du journaliste Ozias SOUNOUVOU de l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB) exprimant un malaise profond. Pis, le pouvoir réussit par des manœuvres indirectes à contrôler les émissions des chaînes privées. Cette atteinte à la liberté d’expression est une voie ouverte à la dictature.

Qualité du débat public. Dans l’arène politique, la qualité du débat politique a fortement baissé. Nous nous accorderons sur le fait que les débats parlementaires qui ont marqué les trois premières mandatures de notre parlement sont plus riches et intéressants que ceux à quoi nous assistons aujourd’hui. Les leaders d’opinion sont vassalisés –les uns troquant leur leadership contre des postes ministériels, des postes de directeurs de société, d’ambassadeur et autres. Le débat se résume alors à se persuader d’être pour ou contre le Président de la République relégant au second rang ce qui doit réunir, savoir l’intérêt du pays. Il existe cependant des citoyens réfractaires aux  offres plus ou moins alléchantes du pouvoir conservant ainsi leur dignité et leur liberté de pensée.

Liberté de manifestation : Une autre liberté qui symbolise la vitalité d’une démocratie est la liberté de manifestation. Cette liberté doit rester hors d’atteinte. Pourtant les pouvoirs publics et les forces policières trouvent des subterfuges souvent tirés du respect à l’ordre public pour limiter la liberté constitutionnelle du manifestant. Dans le même temps, le clientélisme politique (marche de soutien et de remerciement) connaît une nette ascension.

Respect du calendrier

électoral. Le renouvellement de la classe politique est un indicateur important de la vie d’une démocratie. Ceci passe par l’organisation régulière et à bonne date des élections. Les élections municipales qui auraient dû se tenir en mars 2013, n’ont toujours pas été organisées. N’eut été la récente décision de la Cour Constitutionnelle que nous saluons à juste titre, nous n’en serions pas plus avancé sur l’organisation des élections. Or, le non-respect des délais constitutionnels prévus pour l’organisation d’une élection est un frein au développement  de la pensée politique et ouvre la voie à la dictature. Egalement sur ce terrain, l’esprit de la Conférence est en nette régression.

Libéralisme économique étiolé. L’absence de stabilité sur le plan politique a un impact direct sur les performances du Bénin en termes de croissance économique et d’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement. Après la Conférence Nationale, le libéralisme économique fut l’option choisie par le Bénin pour atteindre le pari du développement. Le milieu des affaires est miné par une insécurité politique. Les relations incestueuses du pouvoir avec des chefs d’entreprise sur fond de corruption finissent par pourrir le jeu de la concurrence économique et entamer la vitalité du secteur privé.

Au demeurant, nous assistons à la multiplication et au regain de la corruption dans la gestion des finances publiques de l’Etat. Les scandales s’enchaînent et se succèdent à un rythme effréné.

Sur cette question, nous pourrions multiplier les exemples : Icc services, Cen-Sad, les intrants agricoles, les contrats de service dans le secteur douanier et portuaire etc…. Ces scandales participent à spolier une population fortement en mal de vivre et aux revenus précaires. La démocratie politique s’en trouve fragilisée et menacée.

Face à toutes ces dérives qui menacent à terme les acquis de notre jeune démocratie, il faut une réelle volonté politique tendant à mettre en œuvre le cadre institutionnel et législatif moderne dont nous disposons. Ceci permettra à nos  formations politiques d’assurer leurs fonctions d’encadrement des citoyens afin d’agréger et d’exprimer leurs intérêts. L’application de l’ensemble de ces lois  renforcera la cohérence et l’efficacité de notre système politique. Mais, il est aussi vrai que tout ceci ne peut aboutir que si l’environnement économique est assaini.

Sans un plus grand attachement aux valeurs morales, éthiques, citoyennes et républicaines, sans la consolidation de l’acquis  de la Conférence qu’est le  «Consensus» socio-politique  (une expression qui apparaît aujourd’hui comme une coquille vide)  autour des valeurs démocratiques et citoyennes, le risque d’un enlisement politique et socio-économique reste patent.

Mais bien que les indicateurs semblent peu favorables à la Paix et au développement de notre nation, nous avons plusieurs raisons d’espérer. Nous avons su transcender nos divisions pour éviter qu’un "bain de sang ne nous éclabousse" en 1990. Avec le même état d’esprit, nous pourrions surmonter nos divisions, nous élever au-delà des critiques destructrices, pour ensemble bâtir le Bénin.

Certains pays comme le Rwanda ont connu une guerre fratricide. Mais aujourd’hui, ce pays est cité parmi les modèles de reconstruction et d’émergence en Afrique (4eme économie la plus compétitive du continent après la Tunisie, l’Afrique du Sud et l’Ile Maurice) malgré son passé tragique.

La Conférence a montré que le Bénin est uni : ensemble choisissons l’option de la fraternité et de la solidarité pour l’avenir de notre pays. L’heure est arrivée de renoncer au clientélisme et au régionalisme qui constituent un véritable cancer rongeant notre pays. C’est l’heure de prendre un nouveau départ. Le changement, le vrai changement dépend de tous, vous et nous. Ce désir de changement doit transparaître à travers nos comportements, dans notre vie professionnelle, dans nos relations avec la chose publique.

Les groupes constitués doivent nous y aider sans distinction aucune, organisations politiques, organisations syndicales, communautés religieuses en travaillant à la réconciliation et à la rééducation aux valeurs morales, éthiques et patriotiques.

Réfléchissons et avançons résolument ensemble, afin que chacun contribue à renforcer la construction du Bénin.

                Je vous remercie.

Bâtonnier Jacques

A. MIGAN

Avocat

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