Bénin : Lionel Zinsou parle…

Vingt-quatre heures après son premier Conseil des ministres en tant que premier ministre, Lionel Zinsou accepte volontiers de se prêter à nos questions. Ses ambitions pour le Bénin, l’impression de l’opinion béninoise sur sa personne et sa nomination, sa vie de famille, ses relations avec Yayi… et bien sûr 2016.

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Pendant près de quarante minutes, il répondra sans ambages à toutes les questions, certes avec une bonne dose d’humour et de circonspection mais avec beaucoup de conviction.

Dimanche 21 juin, jour du solstice d’été, alors que la communauté internationale célèbre la Fête internationale de la musique, Lionel Zinsou reste bien loin de ce monde des décibels. Rien dans son entourage ne laisse penser à cela, sauf ce lecteur de disque compact installé sur un tabouret juste à côté du fauteuil où il s’est assis pour nous recevoir. Le calme est olympien dans l’une des nombreuses villas luxueuses construites pour le sommet de la Cen Sad et situées aux encablures du Novotel Orisha. Contrairement aux pratiques, l’entrée de la villa n’était pas gardée par des militaires – comme si le nouveau premier ministre ne bénéficiait pas encore de la sécurité due aux personnalités politiques de son rang et seul un vigile nous introduit dans la maison. Le premier ministre nous accueille à l’entrée de son séjour, en chemise bleue claire, une cravate bleue ciel, l’air un peu fatigué. Il nous installe dans des divans installés du côté droit et ceints par des bibliothèques aux rayons bien garnis. Assise un peu à l’écart sa fille Marie-Cécile Zinsou, qui dirige la Fondation éponyme, joue le rôle de son assistante et même de son chargé de communication. L’interview durera un peu moins d’une heure au cours de laquelle Lionel Zinsou se prête à nos questions même les plus difficiles comme celles liées à sa vie privée. Il nous dit sa joie d’être père de filles uniquement. Trois au total dont l’une mariée à un britannique lui a fait l’honneur- selon la législation du pays- de faire porter à ses enfants le nom Zinsou. Le Bénin, contrairement à ce que la presse locale dit de lui, il dit bien le connaître et affirme derechef avoir côtoyé beaucoup d’hommes béninois ici à la Marina où il a assumé un poste de conseiller spécial du Chef de l’Etat et en France. Faisant une lecture de l’opinion béninoise sur sa personne, il dit que la plupart des Béninois croient qu’il ne peut pas réussir grand-chose en dix mois et fait même allusion à la déclaration de son ancien « collègue » conseiller technique comme lui Victor Topanou. Pour lui, c’est une bonne nouvelle puisque, dit-il, quand il va faire mieux ce serait alors une surprise. Seulement, il se désole de certaines critiques et commentaires qui tendent à le faire passer pour un Français imposé par la France et trouve un peu de racisme dans tout cela. Sur les dernières élections législatives, il ne se dit pas inquiet pour le Chef de l’Etat même s’il a perdu sa majorité à l’Assemblée nationale puisque la sanction est parfois sévère dans les grandes démocraties. Il surprend bien agréablement en disant qu’il y a beaucoup de candidats de qualité, dans la course au fauteuil présidentiel. «En dix mois, on ne peut pas changer un pays mais on peut améliorer les conditions de vie des populations.» Sur sa candidature en 2016, mystère. Sa réponse est restée trop subtile comme celle qui concerne l’opposition de sa famille à sa nomination. Lisez une première partie de cette interview exclusive accordée à La Nouvelle Tribune.

«En 10 mois, on peut changer beaucoup de choses dans la vie des gens»

La Nouvelle Tribune: Notre journal a annoncé en exclusivité la nouvelle de votre nomination comme Premier Ministre. Pourriez-vous nous dire pour nos lecteurs et internautes ce qu’il y a de vrai ou d’erroné dans cette information. Pourriez vous nous confirmer aussi si cette nomination a été évoquée par le Président Yayi, lors de son dernier voyage à Paris, voyage que vous auriez effectué à bord de son avion .

Lionel Zinsou : ce qui était bien vu dans votre article, c’était qu’il y avait une proposition d’entrée au gouvernement. C’est ça le scoop, c’est un fait. Mais entrer au gouvernement pour «aller à l’abattoir», ça c’est un jugement. Rentrer au gouvernement pour être le dauphin à l’élection présidentielle, c’est un jugement, c’est une spéculation, c’est un raisonnement que vous faites. La valeur de votre scoop, c’est d’avoir su qu’il y avait une proposition d’entrée au gouvernement. De même que j’ai voyagé dans l’avion du président parce que je le lui ai demandé. Le lundi 08 juin, il m’avait demandé de venir le voir, ce que j’ai fait. C’était d’autant plus simple de venir le voir que j’étais venu assister au dixième anniversaire de la Fondation Zinsou, puisqu’il y avait une célébration. C’était le 06 juin que nous fêtions cet anniversaire. Le président m’avait accordé une audience le matin. Et pour ne rien vous cacher, j’avais un dîner à présider à Paris. Donc, je lui ai dit, « je vais bousculer mon programme mais si vous me laissez une place dans votre avion » C’est sans signification politique et symbolique particulière que je suis rentré avec lui plutôt que de prendre le vol régulier. Il me permettait d’arriver à Paris et de présider un diner professionnel que j’avais. Ça c’est vrai. J’ai pris cet avion.

Et votre nomination a été discutée et finalisée à l’Elysée lors de la dernière visite du président Yayi à Paris?

Autant que je sache, la nouvelle de ma nomination a été évoquée brièvement à l’Elysée. Parce que vous savez sans doute que je faisais avec le gouvernement un certain nombre de choses comme avec d’autres gouvernements africains. Je m’occupe notamment de la fondation d’entreprise. Mon travail consiste aussi à connecter les 53 délégations qui étaient présents au sommet de l’Elysée en décembre 2013. Notre ambition était de créer ensemble une grande Fondation pour faciliter et accélérer la croissance en Afrique. « Afrique France » rassemble non seulement ces Etats mais aussi des entreprises de tous les pays africains. …. On était en train de faire quelque chose qui était une tâche un peu lourde qui était de créer cette Fondation de gouvernance collégiale. Je vais continuer de faire partie de cette gouvernance. Je pense que le président de la République en a parlé sous cet angle au Président François Hollande, et je crois que quelques jours après, il en parlé sous le même angle à certains de ses collègues africains au sommet de l’Union africaine. Les autorités françaises étaient surprises parce qu’elles me connaissaient comme patron d’une société financière française un peu en vue (le fonds d’investissement PAI, Ndlr). C’est l’une des premières dans son domaine, le domaine de l’investissement. J’ai été surpris moi-même mais pas tellement. Mais ce qui paraît franchement romanesque dans l’information diffusée par l’ensemble de la presse béninoise a été de dire que ma nomination a été voulue et suscitée par la France pour servir ses intérêts.

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Est-ce que vous êtes conscient d’être venu au mauvais moment , c’est-à-dire à un moment où le régime du président Yayi accablé par des scandales à répétition, vient de perdre la majorité au parlement et cela à moins de dix mois de la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel ?

Sachez que moi je respecte la démocratie, les institutions. Supposez que je sois Américain et que le Président Barack Obama me demande de venir occuper une fonction publique dans son administration, à 18 mois de la fin de son mandat, alors qu’il vient de perdre les élections dans les deux chambres, je répondrais oui si j’étais américain. Parce qu’en Amérique les gens considèrent que le président des Etats-Unis est président des Etats-Unis jusqu’à la fin de son mandat. Regardez aussi la France où on a fait un remaniement il y a deux jours. Si le Président Hollande, qui vient de perdre les élections sénatoriales, et les européennes, demandait à un citoyen français quelconque de le rejoindre dans son gouvernement, pourrait-il refuser , sous prétexte qu’il est en fin de mandat ?Dans nos institutions républicaines et la constitution du Bénin, il n’y pas de rapport entre les résultats des législatives et la présidentielle. Les institutions sont dans la constitution, elles sont sacrées. Si le Président me demande de le rejoindre dans son gouvernement, je pose la question en mon âme et conscience. Est-ce que je peux le faire ? Est-ce que je n’ai pas trop d’attaches, d’autres obligations, d’autres devoirs par exemple dans mon entreprise. Est-ce que je peux le faire ? Si la réponse est oui, puisque je veux le faire parce que j’estime que je peux apporter quelque chose. Si ma réponse est oui, elle est oui. Mais jamais je ne me poserai la question, est-ce que la personne qui me propose est bien fondée à me proposer, alors qu’elle est à 10 mois de la fin de son mandat.

Le régime Yayi a quand même perdu en crédibilité avec ses nombreux scandales ?

Ma réponse à moi, ce sont les institutions, elles sont démocratiques, elles sont légitimes, républicaines. Il y a des pays qui ont beaucoup de ressources de toute nature, nous on en a quelques unes mais très spécifiques au Bénin. Ça peut être notre culture, nos valeurs, notre éducation. Le fait est qu’on est dans un Etat de droit. La démocratie c’est un combat. Et ce combat, il faut continuer de le mener. Cet Etat n’est pas un Etat policier. Il y a un certain nombre de libertés fondamentales qu’on a au Bénin. Les scandales, c’est autre chose. Dans la définition de mes fonctions, il y a la bonne gouvernance et la coordination de toutes les actions pour que la gouvernance soit meilleure. Par conséquent, je m’acquitterais aussi de ce devoir parce que entre développement et gouvernance, il y a une relation très forte. Je ne pense pas quand on compare le Bénin à beaucoup d’autres pays que nous soyons un pays si mal gouverné que le pense une partie de l’opinion béninoise. Je les invite à regarder le monde entier, pas seulement l’Afrique. J’ai passé beaucoup de temps comme beaucoup de citoyens à expliquer en Europe, en Afrique un peu partout que la gouvernance est à améliorer partout et que nous sommes de petits enfants à l’école de grandes puissances. Mais en revanche, il y a un devoir absolu d’améliorer la gouvernance Quand on dilapide les fonds publics, ceux qu’on pénalise, ce sont des simples citoyens. L’argent est gaspillé dans le jeu politique de façon illégale, l’argent sert à l’enrichissement personnel de gens qui ont réussi à garder des sources d’argent illégal. Et c’est toujours quelqu’un qui paie à la fin. C’est le simple citoyen. Ce n’est pas de l’argent venu d’ailleurs. C’est pris à chaque citoyen.

Est-ce que vous êtes un joker pour le président Boni Yayi, c’est-à-dire une dernière carte qu’il sort de son chapeau de magicien ou un dauphin appelé à lui succéder?

J’ai lu les internautes qui suivent les articles écrits sur moi et qui réagissent avec beaucoup d’intérêt. Je m’intéresse énormément à ce que pensent les internautes béninois. Je vois ce qu’ils se partagent en eux. Il y a des gens qui pensent que je suis le dauphin et que je vais donc mordre la poussière, parce que je n’y connais rien, parce que je ne suis pas Béninois, je suis un Blanc. Pour être sincère, Je pense qu’il y a un tout petit point de racisme dans certaines réactions.

. Ça ne m’inquiète pas du tout. Mais je pense que c’est très intéressant parce que c’est la question fondamentale de la diaspora béninoise. Est-ce qu’on veut qu’elle apporte quelque chose au Bénin ? Ou est-ce qu’elle dérange, perturbe un ordre bien établi où au fond tout le monde est très content. En 10 mois, on change beaucoup de choses dans la vie des gens, on peut changer peu de chose dans la vie d’un pays. Mais la vie des gens, ça compte. Si on est capable de faire en sorte qu’en dix mois, des gens voient leur vie un peu changer, en se disant ça va être plus facile pour l’école, plus facile pour l’électricité, pour être mis dans un travail quand on a une formation ou être mis dans une formation quand on n’en a pas du tout, si on est capable d’accélérer ça en dix mois, ça fait beaucoup de changements pour la vie des gens. Mais dans la vie d’un pays, c’est autre chose. La vie d’un pays, c’est des décennies. Mais la vie des gens, il faut qu’on s’en occupe. Et je me félicite de pouvoir m’en occuper de façon pratique.

(la suite dans notre parution de demain mardi)

Interview réalisée par Vincent Foly, Marcel Zoumènou et Léonce Gamaï

Transcription : Blaise Ahouansè 

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