Fernand Amoussou : «Au Bénin, nous pouvons vaincre l’insécurité et le sous-développement»

Résolument engagé dans la course à la succession de Boni Yayi en 2016, l’ex chef d’Etat major de l’armée béninoise, expert en sécurité et ancien patron de la force de l’Onu en Côte d’Ivoire, le Général Fernand Amoussou était récemment à l’université d’Abomey-Calavi où il a expliqué aux jeunes béninois désabusés par le régime en place, les concepts de sécurité et de développement tout en mettant l’accent sur les solutions qu’il préconise aux problèmes qui accablent les Béninois.

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Sécurité et développement, que comprendre ?

La sécurité et le développement sont deux objectifs importants, mais complexes et multidimensionnels. La sécurité a-t-on coutume de dire, est une condition essentielle du développement économique et social. La sécurité et le développement sont les deux faces d’une même médaille. Ces deux concepts ont connu des évolutions importantes à partir des années 1990. La notion de sécurité, qui naguère était focalisée sur les menaces militaires, s’est élargie pour englober un large spectre de menaces non militaires. De la même manière, la portée du concept développement s’est considérablement élargie. A la croissance économique se sont ajoutées d’autres dimensions tels que la durabilité environnementale, les droits humains, la participation politique et la bonne gouvernance.

La sécurité peut se définir comme l’ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics pour parer aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République.

Le développement se réfère à la capacité de la société ou d’un pays d’assurer le bien-être moral et matériel de ses membres ou de ses citoyens.

La gouvernance quant à elle, désigne l’ensemble des mesures, règles des organes de décision, d’information et de surveillance qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle d’un Etat, d’une institution, organisation qu’elle soit publique ou privée, régionale ou internationale.

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Parlez-nous des facteurs d’insécurité menaçant pour le développement

Le facteur le plus important, à la fois générateur et aggravateur de l’insécurité et des conflits violents, est à n’en pas douter, le sous-développement, avec ses corollaires de pauvreté et de misère. Ce sont les pays pauvres qui sont le plus fréquemment le théâtre de conflits violents. Depuis 1990, plus de la moitié des pays pris dans un conflit sont des pays à faible revenu. D’ailleurs, un tiers de tous les conflits entre 1990 et 2003 ont frappé l’Afrique, région la plus pauvre du monde. Ces constats illustrent le lien de causalité entre d’une part le sous-développement et la pauvreté et d’autre part l’insécurité et les conflits. Aussi convient-il de faire remarquer que les peuples africains acceptent de moins en moins l’état de pauvreté dans lequel ils végètent ou plus exactement ils sont maintenus. Ils sont de plus en plus conscients qu’ils vivent sur des territoires riches et contestent avec plus de vigueur la redistribution des richesses qui leur est imposée, ou l’absence de redistribution des fruits du travail commun. Il s’en suit des contestations et des revendications qui non satisfaites, sont à l’origine d’explosions de violence parfois armée.

Le chômage des jeunes, découlant en partie des insuffisances du système éducatif, constitue un facteur important d’insécurité. Les jeunes sont dans le désespoir et la désespérance. Ils ne demandent point de l’assistance. Ils veulent de l’emploi. En Afrique et au Bénin, l’emploi a une importance au-delà des revenus qu’il procure.

Dès lors, l’on peut comprendre les frustrations, la désespérance puis la révolte des jeunes sans emploi et en chômage de longue durée. L’instrumentalisation et la récupération de ces jeunes à des fins criminels ou politiques deviennent dès lors un enjeu de sécurité.

La situation de chômage et de désespoir des jeunes occasionne d’importantes migrations de populations. Ces mouvements de populations, surtout jeunes, transforment les villes en des centres de concentration de révoltes hautement explosifs. L’augmentation des mégapoles où s’entassent cette jeunesse désœuvrée et sans perspective d’avenir, vivier potentiel pour les extrémismes, constitue un risque majeur pour la sécurité et la stabilité des Etats africains.

Que dire de l’extrémisme religieux ?

S’agissant de l’extrémisme religieux, il importe de souligner que la radicalisation religieuse et le développement de sectes fondamentalistes profitent des vulnérabilités de certains pays et de la liberté de religion à laquelle la majorité des africains sont attachés, pour s’exprimer et procéder à des recrutements. A une époque où le fossé s’aggrave entre riches et pauvres, le facteur religieux rencontre un plus grand succès auprès des populations en difficulté à la recherche de solidarité, de réconfort et d’espoir. Une frange de ces populations peut être tentée de revanche face aux frustrations qu’elle connait depuis plusieurs décennies. Dès lors, la religion pourrait servir à instrumentaliser ces populations, souvent les jeunes sans emploi, pour atteindre des objectifs en réalité politiques.

Le facteur politique est évidemment essentiel dans la génération de la violence en Afrique. L’inégalité d’accès aux postes de responsabilité ou aux services de base et la compétition pour le pouvoir et ses ressources créent des tensions entre groupes sur des bases identitaires, notamment ethniques ou ethnolinguistiques. Une gestion du pouvoir de cette nature crée des frustrations et des sentiments de rejet et de marginalisation susceptible de constituer une atteinte à la cohésion nationale et par conséquent d’instabilité et d’insécurité.

La faiblesse voire la défaillance des Etats à assurer leurs missions de protection des populations constitue également un facteur d’insécurité. La faiblesse des institutions de sécurité, due notamment à l’insuffisance de formation et des moyens, mais aussi à leur politisation et la corruption, laisse le champ libre aux criminels et aux mouvements extrémistes le plus souvent associés pour déstructurer les Etats et créer des zones de non droit. Les citoyens sont ainsi abandonnés et livrés à toutes les formes de violence physique.

Toutefois, il convient de ne pas confondre les conséquences et les causes. L’insécurité physique et les conflits violents accompagnent plus qu’ils ne provoquent la pauvreté.

On peut donc déduire qu’insécurité et conflits violents ont des effets socioéconomiques ?

Il est relativement aisé d’établir les conséquences de l’insécurité et de la violence armée sur le développement et la vie des citoyens. L’insécurité et les conflits désorganisent et détruisent les infrastructures physiques, le capital social, l’activité et les prestations sociales. Ils affaiblissent et déstructurent le capital humain. L’insécurité sapent l’économie, réduit la croissance économique, les flux de capitaux, les exportations, les investissements et l’épargne. La pauvreté s’aggrave avec l’affaiblissement des offres d’emplois et le déplacement de l’économie vers le secteur informel.

Tout comme la sécurité est la première des libertés, la sécurité alimentaire est la première des sécurités. Les crises alimentaires récurrentes constituent de graves atteintes à la sécurité et à la vie des populations. Les dérèglements climatiques, l’augmentation de la demande, mais surtout la priorisation des cultures de rente sur les cultures vivrières sont autant de facteurs qui pourraient engendrer et aggraver la rareté alimentaire dans bien des Etats. Le continent africain a considérablement aggravé sa dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur et se retrouve à la merci des marchés mondiaux. Cette insécurité alimentaire est d’autant plus inacceptable que le continent dispose d’un potentiel largement à la hauteur du défi. L’Afrique importe jusqu’à 85% de ses denrées alors qu’elle dispose de plus de 700 millions d’hectares de terres arables non exploitées, soit trois fois la superficie de la république démocratique du Congo. L’Afrique est traversée par de gigantesques fleuves, mais seulement 3% des terres sont irriguées. L’Afrique abrite dans son sous-sol de fabuleux gisements de phosphates, mais la consommation d’engrais n’est que de 13 kg à l’hectare contre 190 en Asie de l’est. Cette question alimentaire ne peut trouver de solutions durables que si les Etats la considèrent comme le fondement de leur existence et un élément clé de leur sécurité, la période des séminaires et des colloques doit céder à l’action.

L’exposition aux risques épidémiques constitue aussi un facteur d’insécurité contre laquelle les populations sont particulièrement démunies. Evidemment, l’insuffisance de structures sanitaires adéquates et de ressources allouées à la recherche exacerbe les vulnérabilités. Et de façon récurrente, les populations sont aussi victimes d’une forme d’insécurité fortement déstabilisatrice que sont les catastrophes naturelles. Nous y sommes avec les inondations, et les sécheresses qui causent de manière récurrente des souffrances et des pertes en vies humaines, et provoquent des dommages sur les infrastructures.

Que préconisez-vous ?

Au Bénin, nous pouvons vaincre l’insécurité et le sous-développement. Pour ce faire, nous devons nous atteler à relever les défis suivants. Le défi de l’unité et de la cohésion nationales, le défi de la démocratie et des valeurs, le défi de la jeunesse, le défi de la croissance économique.

L’unité et la cohésion nationales se construisent et se nourrissent du sort qui est fait à tous les enfants du Bénin. Elles s’enracinent par l’éducation de la population, la promotion des valeurs de solidarité et de tolérance, ainsi que par l’organisation sociale qui prend en compte les spécificités culturelles. Tout citoyen doit se sentir membre d’une communauté qui le protège lorsqu’il est en danger, le soutient lorsqu’il est en difficulté, l’assiste lorsqu’il est dans la détresse, lui montre le bon chemin lorsqu’il est perdu. De la même manière, nous devons veiller, et les dirigeants en particulier, à régler les conflits politiques et sociaux dans la paix et par le dialogue. Notre pays a besoin d’apaisement et de sérénité. Le combat contre l’insécurité est aussi celui de la démocratie. Nous devons continuer résolument de construire des institutions politiques solides, de respecter les règles du droit, d’améliorer la gouvernance et de lutter contre les inégalités. La démocratie, c’est aussi la meilleure façon d’assurer la stabilité et le développement économique. Le défi de la jeunesse associée à la désespérance des jeunes en grande partie due aux difficultés de notre système éducatif. Ces insuffisances se retrouvent à trois niveaux : les formations dans nos universités et nos écoles supérieures ne correspondent pas toujours aux besoins du marché du travail qui est très étriqué. La très grande majorité des diplômés se retrouvent sans emploi au Bénin. Or, les pays voisins dont en particulier le Nigéria, constituent des opportunités d’offres d’emploi. Nos cadres doivent être en mesure de communiquer avec les Nigérians afin de proposer leurs compétences et talents. L’Afrique centrale pourrait également offrir des opportunités d’emploi. Les modes et méthodes pédagogiques doivent évoluer afin de mettre l’accent sur la formation d’entrepreneurs talentueux et ambitieux capable de créer, d’imaginer, d’innover, et non plus sur la formation de fonctionnaires. Puis, nous avons la situation de nos frères et sœurs qui sortent du système éducatif sans qualification, et par conséquent condamnés au chômage. Notre système éducatif doit être réformé afin d’une part de garantir l’éducation obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, mais en plus de détecter au plus tôt les échecs et autres difficultés pour une réorientation vers des filières professionnelles. Dans ce sens, il importe de mettre l’accent sur l’éducation scientifique et technologique accessible et résolument tournée vers les besoins du marché du travail au Bénin et dans la région.

L’on considère à tort l’apprentissage comme la voie de ceux et celles qui n’ont pas réussi. L’apprentissage doit faire partie de notre système éducatif et être fortement soutenu par l’Etat.

Il reste le financement et le soutien des jeunes qui désirent entreprendre. Les dispositions actuelles bien qu’encourageantes me paraissent insuffisantes. Je propose la création d’une banque de la jeunesse ayant pour mission de financer l’entrepreneuriat des jeunes et de leur apporter l’encadrement nécessaire. Elle fonctionnera comme toute banque, mais acceptera des risques plus élevés en termes de garantie de crédit et de possible défaut de paiement. Le défi de la croissance économique. Ce sont essentiellement les entreprises qui peuvent porter la croissance et créer des emplois. C’est pourquoi, l’Etat doit fortement soutenir l’entreprenariat privé national et créer les conditions pour attirer les investisseurs étrangers. Le partenariat public-privé doit sortir des dogmes pour devenir un puissant levier de croissance économique. A cet effet, il importe d’opérer des réformes au niveau de l’administration publique et de la fiscalité dans le sens d’une plus grande simplification des procédures et pour plus de transparence dans l’attribution des marchés publics. L’administration doit résolument être au service des citoyens et constituer un puissant soutien aux opérateurs économiques. La fiscalité ne doit être ni une punition ni un moyen de pression, mais compris comme un acte de solidarité nationale et de redistribution des richesses dans l’intérêt général. Sur un autre plan, l’apurement de la dette intérieure doit être une priorité afin de redonner du souffle à nos PME qui sont à la peine.

Par ailleurs, la culture et l’artisanat doivent être transformés en des leviers de croissance et de création d’emplois. Enfin, il importe d’améliorer sensiblement le climat des affaires et conférer à la justice les moyens de son efficacité, de sa transparence et de son impartialité.

Au demeurant, la croissance et le développement économique ne peuvent être assurés que sur le fondement de trois substratums: l’énergie électrique, les NTIC, les infrastructures. Mais la condition première et incontournable de notre succès commun réside dans la bonne gouvernance.

Je voudrais conclure en insistant sur l’exemplarité. Tout leader se doit d’être exemplaire. L’on est chef par l’exemple. Les dirigeants doivent monter l’exemple et accepter d’être les premiers sanctionnés le cas échéant

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