L’abondance à la sauce béninoise

Le père Dossa est mort. Paix à son âme. Ces deux fistons qui, de son vivant, ne se sont pas occupés outre mesure de lui, décident de lui faire des funérailles mémorables. Ambition démesurée ? Prétention excessive ?  

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L’habitude est prise, sous nos latitudes sous-développées, de faire des funérailles une fête grandiose. On dépense alors sans compter. On   montre sa capacité à assumer et à assurer ce qui ressemble à s’y méprendre aux fameux travaux d’Hercule.

La bicoque dans laquelle le père Dossa a déroulé sa pauvre existence est « reloukée » et remise à neuf. L’électricité, en deux temps trois mouvements. Le badigeonnage, bien fait vite fait.  Les portes et fenêtres clament, à présent, leur nouvelle jeunesse. La bicoque du père Dossa sur laquelle, il n’y a guère longtemps, on n’aurait misé le moindre radis, fleure bon désormais aisance, abondance, magnificence. Parole des deux fils du père Dossa, le « vieux » doit être enterré avec faste. Le nom de la famille Dossa doit briller de mille feux sur la parcelle de firmament que Dieu a octroyée à notre pays.

Pour abriter les milliers de convives venus de tous les horizons, des bâches sont apprêtées et déployées à perte de vue. Avec la complicité des agents de la Mairie qui ont autorisé que toutes les rues principales et adjacentes soient interdites à toute circulation à l’occasion. Avez-vous remarqué cette immense tente climatisée qui trône tout au milieu de ce dispositif de fête ? Les frères Dossa y reçoivent leurs hôtes de marque : députés, notabilités, ministres de la République, hauts fonctionnaires de l’Etat et autres grosses fortunes.

Des centaines d’hôtesses, d’agents des services traiteurs et des unités de sécurité vont et viennent. Ils s’affairent entre des tables lourdement garnies et richement chargées pour le plaisir et le bonheur des hôtes des frères Dossa. Un orchestre, certainement le meilleur du pays, chauffe le coin comme on dit. Ainsi, en deux jours, on claque des millions de nos francs pour honorer, prétend-on, la dépouille d’un homme qui, de son vivant, n’a pas eu droit à tant d’égards. La folie des grandeurs trouve un beau prétexte pour se faire encore un peu plus folle.

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Quand on a compris la philosophie qui sourd derrière l’histoire des funérailles du père Dossa, on comprend aussi l’inflation qui touche trois grands secteurs de notre vie publique nationale.

– Inflation de journaux. Une centaine de quotidiens arrivent, tous les matins, dans notre rédaction. Certes, les Béninois ont besoin de s’informer et d’être informés.  Mais, tout de même. Il faut craindre que tous ces journaux ne se répètent. Il faut se préoccuper du lectorat visé dans un pays analphabète à 70%, un pays où la lecture n’est pas au nombre de ses sports nationaux favoris. Il faut, enfin, s’interroger sur la taille du marché de la publicité pour un nombre aussi important de titres. C’est clair, ce n’est pas la passion professionnelle seule qui explique ce foisonnement déraisonnable de journaux.

– Inflation de partis politiques. Nous enregistrons plus de 200 partis politiques. La plupart prouvent qu’ils n’en sont pas. Plus clubs électoraux que formations politiques, ils encombrent l’espace public national. Les uns sont à tenir pour des cadavres oubliés dans une morgue. Les autres hibernent en saison basse pour se réveiller soudainement dans les périodes électorales. Tous peinent à se donner une envergure, une dimension nationale, coincés dans des cadres géo-ethniques étroits.

– Inflation de candidats à la candidature. Les enchères ne cessent de monter et les candidats prospèrent comme des jacinthes d’eau sur les voies menant au Palais de la Marina. Comme si la fonction présidentielle était complètement banalisée, rendant systématiquement bon pour l’emploi le premier pelé, le premier galeux venu. Cette piètre conception de la fonction présidentielle est une insulte faite à la démocratie. C’est un drame qu’on fait vivre au peuple béninois qui se doit de manifester son ras-le bol face à ce cinéma de très mauvais goût Ceux qui entretiennent cette foire aux candidats piétinent la mission quasi sacrée du chef, du leader. Ils semblent tout ignorer de cette haute, noble et lourde charge qui consiste à diriger ses semblables, à se projeter au-devant d’eux, à porter leurs rêves jusqu’à leur pleine éclosion. Que dire de plus ? Pardonne leur, Seigneur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font

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