Bénin : le caméléon s’en est allé

Le général Mathieu Kérékou a tiré sa révérence ; un peu comme un arbre fétiche, un baobab plusieurs fois centenaire auréolé de la palme de l’immortalité. J’entends déjà des chapelets de louanges, des panégyriques enflammés à l’endroit de cet homme qui, sur sa personne, aura attisé les sentiments les plus controversés qui soient.

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Tantôt adulé, tantôt haï, parfois même voué aux gémonies et jeté dans les orties de la vie politique béninoise, Mathieu Kérékou aura vécu mille et une vies kaléidoscopiques, à l’image du caméléon, symbole totémique d’un demi siècle de vie politique tourmentée, passionnée et passionnelle.

La culture africaine ne tolère ni ne pardonne qu’on dise du mal  des morts. Les Béninois ne se feront donc pas prier pour verser des torrents d’éloges sur cet illustre disparu. Une manière d’emboucher la trompette du politiquement correct qui sied à cette solennité lugubre. On se gardera bien sûr de dire tout haut les réminiscences et autres griefs accumulées des décennies durant, et qui ont fini par convaincre bon nombre de Béninois que l’homme de Kuarfa est certes un caméléon, mais aussi l’incarnation de Ponce Pilate, porteur de tous les péchés du Bénin.

Le Général du reste, ne s’est jamais mépris sur les vrais sentiments de ses compatriotes à son endroit.

« Ceux-là mêmes qui vous portent aujourd’hui en triomphe sont prêts à vous crucifier demain sur la place publique » disait-il dans des rares confidences dont il est plutôt avare.

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On pourrait décliner la vie du Général Kérékou en trois mots : d’abord énigmatique, ensuite énigmatique ; et enfin énigmatique. Durant son règne de près de quarante ans, il a forgé et entretenu le culte du secret au point d’en faire une méthode de gestion de la vie politique. Et s’il s’est spécialisé dans les discours fleuves à la Fidèle Castro, notamment pendant la Grande période mémorable de la Révolution démocratique et populaire, rien n’a vraiment jamais filtré de ses convictions profondes philosophiques voire spirituelles. A la fois athée dans l’âme avec un soupçon de ferveur catholique dans les faits, il a choisi de souffler le chaud et le froid, pour brouiller les pistes qui permettraient de cerner sa personnalité. Au point que, ni ses amis, ses proches et même sa famille, personne ne peut se targuer aujourd’hui de bien connaître cet homme à multiples facettes, qui aura marqué de son empreinte de génie, près de quatre générations de Béninois et dahoméens confondus.

Le Général s’en est allé ; emportant avec lui tous les secrets réels ou supposés que des historiens et autres sorciers de la politique de salon tenteront de dénicher pour justifier leur pseudo proximité, voire leur familiarité avec celui qui pour beaucoup de Béninois était un Dieu… ou presque. Et pas toujours le Satan que l’on croit. Mathieu Kérékou restera et pour toujours une énigme dont lui seul détenait la clé. On glosera encore longtemps sur le personnage sans pouvoir approcher la vérité d’une once. Car, il n’est pas aisé de parler d’un baobab dont l’accès à l’ombre vous est interdit.

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