Décès du président Kérékou : le témoignage poignant de l’ambassadeur Issa Kpara

(Issa Kpara philosophe de son état , administrateur civil  et diplomate est  ce qu’on appelle  communément un  grand commis de l’Etat . Ce haut fonctionnaire a servi la république à des postes stratégiques de l’Etat depuis le Renouveau démocratique.

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Auparavant, ce grand homme de culture a été directeur de la culture pendant une bonne dizaine d’années. Tour à tour préfet des départements du Mono Couffo, directeur de cabinet  du Président Soglo, secrétaire général du gouvernement  puis  ambassadeur  près la république fédérale d’Allemagne jusqu’à l’avènement du président Yayi. Il nous livre ici un témoignage de première main sur l’ancien président  qu’il décrit comme un personnage insaisissable)

Le choc eût pu être bien plus violent, le traumatisme autrement plus sévère si nous n’avions été, à doses homéopathiques, préparés à l’instant fatidique du sevrage. Depuis une dizaine d’années par l’alerte récurrente d’une rumeur guère innocente, mais bien mieux par la pédagogie de l’homme lui-même. Le ‘’Général’’ nous a si bien habitués à la certitude et à la normalité de la fin des choses. Chez lui la cessation consentie de l’exercice du pouvoir et la fin obéissante du séjour sur terre sont une continuité.Le Bénin connaît et affectionne ainsi son chef historique.

Ainsi se comprend la belle unanimité dans laquelle les Béninois (les autres Africains aussi)de toute condition, saluent depuis bientôt trois décennies et singulièrement comme en hommage posthume ces dernières années,  l’œuvre de Mathieu KEREKOU. Je ne parle pas de l’immense majorité des adeptes, mais aussi des adversaires d’antan et de naguère, convaincus  et convertis devant l’irrécusable grandeur de l’homme. Irréductible opposant,le député Janvier YAOUEDEHOU a, en 2011, sincèrement affirmé la magnitude du  ‘’Vieux’’, regrettant alors la violence de ses éditoriaux sur Radio Planète et de son livre incendiaire qu’il distribuait impunément aux collaborateurs de KEREKOU dans les bureaux de la Présidence. Un autre pourfendeur du Président,  l’impitoyable chroniqueur Roger GBEGNONVI a, dans un forum de juristes internationaux, souligné la hauteur légaliste et républicaine du président KEREKOU. Ministre rebelle puis putschiste récidiviste, le général François KOUYAMI confesse ce matin même avoir compris sur le tard la rigueur et la droiture de l’homme.  Que dire de la posture de ces auteurs et complices de l’agression du 16 janvier 1977 nommés au cabinet de KEREKOU à partir de 1996…

Une perte pour le Bénin ? On le répète à loisir. Ce que nous perdons, c’est un être cher à notre affection. Pour le reste, il s’agit de capitaliser car KEREKOU a tout donné au Bénin, à l’Afrique et au monde. Il a donné sa vie entière pour nous former au civisme, au respect de l’autre, au respect de la chose publique, au sens du travail, du bien commun…Que faisons-nous en tant que citoyens, cadres du public et du privé ?… La perte ne viendrait que de la mauvaise gestion de l’héritage. Les Nations unies ont officiellement consacré dans le lexique diplomatique le concept de la méthode KEREKOU pour la gestion de l’alternance au pouvoir. Que font les Africains ? Les présidents non rééligibles ?

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À ma connaissance seuls deux livres sur KEREKOU sont publiés à ce jour. Les deux auteurs, Jean ESTABLET et Félix IROKO, ont sûrement éprouvé la même difficulté que tout candidat à cet essai, face à un personnage aussi insaisissable. La prochaine publication devrait être un ouvrage collectif. Ne ratons pas l’occasion comme nous l’avons fait en 1990. Sur la vingtaine de participants à l’ouvrage sur Les Conférences nationales en Afrique on compte de rares signatures  originaires du pays de l’inventeur de ce génie démocratique, Mathieu KEREKOU,  cet autre  MADIBA MANDELA, malheureusement bien peu médiatique.

Rien d’aussi irréel qu’un leader allergique aux medias et à la publicité. L’on se souvient comment en 1991 Francis KPATINDE alors de Jeune Afrique, s’est vu  confisquer habilement par KEREKOU lui-même le manuscrit de la biographie que le journaliste lui soumettait à relecture, l’ayant rédigée sur son accord et avec sa participation. Le texte disparaîtra à jamais.

Sous KEREKOU les Béninois ont rarement vécu le spectacle de poses de première pierre pour la construction d’ouvrages collectifs. Le Président était si hostile à cette pratique qu’il l’interdisait tout simplement à ses ministres, estimant que « la seule personne habilitée à poser la première pierre d’une construction, c’est le maçon ». Et que les ministres ne pouvaient sous aucun prétexte s’arroger le mérite de travaux qu’ils ont tout au plus suivis de leurs bureaux ou de leurs véhicules climatisés.KEREKOU a même refusé que figure dans son bilan l’autoroute Cotonou-Sèmè au motif que le chantier avait démarré sous le quinquennat précédent. Oui, l’élégance et la probité sont de rigueur en tout, même en politique !!! Il ne venait à l’idée de personne d’adresser des remerciements individuels ou collectifs au Président pour une quelconque nomination car la démarche apparaîtrait immédiatement suspecte.

Pour l’avoir pratiqué de très près, je conçois aisément que le démocrate KEREKOU n’est en réalité pas le dictateur converti qui étonne tant les analystes politiques. Il faut connaître l’homme tel qu’en lui-même et admettre, comme on le voit dans Félix IROKO, que le Caméléon a toujours gardé l’âme du justicier Zorro (ainsi surnommé dans l’armée), attentif à la souffrance des humbles, au sort des opprimés. ‘’Candidat des marginalisés’’ comme il s’affichait  en 1996, il ne dira pas combien, chef suprême sous le PRPB, il a dû ramer en redresseur de torts dans toutes sortes d’iniquités et de brimades, mais pour l’éternité les témoignages se feront toujours entendre.

Mon neveu SANNI BIO BANGANA était encore en classe de seconde lorsqu’il m’a fait cette stupéfiante démonstration. Selon lui, KEREKOU est au-dessus  des étiquettes politiques. C’est tout simplement un humaniste qui cherche des solutions pour la majorité de ses concitoyens. La Révolution lui avait donné les moyens de plus de justice sociale, et même de progrès économique s’il n’y avait l’ingérence impérialiste. La démocratie dont il s’est naturellement accommodé par tempérament lui impose maintenant le carcan du libéralisme économique peu enclin au partage. Alors KEREKOU favorisera au sein du petit peuple, ses ‘’marginalisés’’, de jeunes entrepreneurs plus sensibles à la redistribution par leur origine sociale. Mon neveu en a conclu que KEREKOU est un excellent économiste. J’ajouterai à son touchant plaidoyer que le  Prix Nobel d’économie est généralement attribué non pas à des spécialistes de la pensée néo-libérale, mais à des penseurs de la redistribution équitable et de la lutte contre la pauvreté : Joseph STEGLITZ, Mohamed YUNNUS… et tout récemment les deux lauréats 2015.

KEREKOU appartient au cercle des visionnaires et apparaît quelquefois comme un prophète. Les élites politiques allemandes ne comprennent toujours pas comment un chef d’Etat africain en visite officielle dans leur pays en octobre 1987 a pu prédire la chute du Mur de Berlin (qui interviendra deux ans plus tard en 1989) et la réunification de l’Allemagne(proclamée en 1990). Le recevant à nouveau en 2003, le maire de Berlin me dira à l’oreille : ‘’Cet homme est tout simplement  fantastique’’.

Le Caméléon ne peut véritablement s’analyser, on ne peut que le suivre, l’écouter, si possible le raconter. Moins aisé qu’il n’y paraît !

On s’arrêtera à cette galéjade de KEREKOU à CLINTON : ‘’Vous êtes le chef de la nation la plus puissante de la planète, et moi le chef de l’une des plus faibles. Je peux diriger votre pays et vous pas le mien’’. Rire approbateur de Clinton…qui connaît sans doute l’autre boutade du même KEREKOU : ‘’Le Bénin, petit pays, lourd poids’’.

Ce fardeau, le Patriarche l’aura porté jusqu’à son dernier souffle.

Cotonou le 15 Octobre 1015

Issa KPARA.

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