Nez à nez avec la présidence de la République du Bénin, le Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoukou Maga (Cnhu-HKM), le plus grand hôpital de référence du pays est dans la détresse.
Des tours dans l’enceinte des Urgences, service névralgique de l’hôpital, constats de terrains, échanges avec les malades, agents de santé, La Nouvelle Tribune, livre des témoignages poignants sur le mauvais état de santé du Cnhu que certains appellent un « mouroir » en plein cœur de Cotonou.
A ras le sol, des malades entassés, parmi lesquels un homme brûlé le corps rouge rescapé visiblement d’un incendie. Des cartons ou pagnes de propreté douteuse comme lits d’hospitalisation, des accompagnateurs assis à même le sol, des agents de santé faufilant dans les sinueuses allées séparant les malades mal en point et des agents de nettoyage s’efforçant d’essuyer ce qu’il reste du contigu espace. Nous sommes, le 29 septembre 2016 aux environs de 16 H, heure locale, dans les couloirs du Service des urgences du Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoukou Maga (Cnhu-HKM), le plus grand hôpital de référence du Bénin situé face à face du palais de la présidence.
Dossier le CNHU en détresse- photo 1
Posted by lanouvelletribune.info on jeudi 8 octobre 2015
« L’incurie au Cnhu »
Rencontrée bien avant notre déplacement sur les lieux, Mme A. Médecin au Cnhu à la retraite affirme avec chagrin « Tout le monde est conscient de l’incurie du Cnhu ». Les constats et témoignages recueillis ne sont pas de nature à la contredire. « Il n’y a pas assez de lits. Quand de nouvelles personnes viennent on ne peut pas déplacer les autres. Les gens se couchent sur des pagnes par terre et c’est là qu’on leur fait les soins » explique un infirmier de la traumatologie qui reconnaît que « lorsqu’un patient est par terre, cela empiète sur la qualité du soin ». Dans cette condition inqualifiable d’hospitalisation, des spécialistes manquent à l’appel des malades. « Après 19 jours d’hospitalisation, nous rentrons sans avoir jamais vu le spécialiste » se plaint une dame dont le père, un octogénaire, avait besoin des services d’un neurochirurgien. « Il arrive parfois que le neurochirurgien ne soit pas là » confirme l’infirmier qui a requis l’anonymat. Pourtant en neurochirurgie, informe Herman Raphaël Azanmasso-Pierre des services des ressources humaines au Cnhu, « il y a 03 spécialistes » en service. A en croire ce responsable, ces spécialistes sont « réguliers » à leur poste. Témoignage que ne goberait pas l’ancienne employée de l’hôpital qui dénonce à son tour l’absence des médecins au poste. « J’ai passé trois semaines là-bas, je n’ai pas vu le chef service. Il a fallu que je l’appelle pour l’engueuler avant qu’il ne vienne me présenter des excuses » rappelle-t-elle au moment où elle a conduit son feu-père en urgence sur les lieux où elle avait travaillé.
« Le Cnhu est en train de mourir »
Sur place, guidé par Théophile Dossou, Secrétaire général du Syndicat du collectif des travailleurs du Cnhu, des journalistes de La Nouvelle Tribune, ont pu voir des chariots vétustes rembourrés de cartons et des fauteuils roulant sans pose-pieds servant au déplacement de malades invalides. « Le Cnhu est en train de mourir », houspille le syndicaliste qui nous conduit au service de radiologie qui « tourne au ralenti » faute de « clichés » comme l’a pu laisser comprendre un agent de ce service. Au Cnhu, « il y a beaucoup de problèmes » poursuit-il. M. Azanmasso-Pierre des services des ressources humaines, administrateur des hôpitaux, Ingénieur économiste planificateur, renchérit : « les besoins du Cnhu sont multiples et multiformes, d’ordres matériels, infrastructurels, organisationnels et de ressources humaines ». En matière de besoins, selon Dr A., il y a insuffisance de salles de consultation, problème de prise en charge, et paradoxalement « absence de fiche de température ».
Dossier le CNHU en détresse- photo 2
Posted by lanouvelletribune.info on jeudi 8 octobre 2015
« Le Cnhu, un mouroir »
Quand on dit Cnhu, pour le commun des Béninois, la mort n’est jamais loin. Mme A. ne dit pas le contraire. « L’hôpital est devenu un mouroir » a-t-elle dit, ajoutant que « le Cnhu doit être fermé ». Dans cet hôpital de référence, elle assure qu’« il y a beaucoup de personnes qui meurent alors qu’elles ne doivent pas mourir ». Après plusieurs jours passés à dormir dans les couloirs du service des urgences aux chevets de son père, Dénis apprend qu’« au moins trois personnes décèdent dans une nuit » et c’est « des pleurs, des grincements de dents chaque jour ». Dr A. dénonce un défaut de compétence chez des agents de santé « formés au rabais ». En exemple, image à l’appui, elle rappelle le cas de son papa qui a eu les bras enflés à cause d’un mauvais traitement à lui administré au Cnhu par une infirmière. « Quel médecin forme-t-on aujourd’hui à l’Université du Bénin ? (sic !) » interroge-t-elle, dénonçant le fait que la théorie aurait pris le pas sur la pratique. L’ancienne employée du Cnhu dénonce également « un manque de respect à la personne humaine. On se désintéresse des malades ». Cet état de chose, selon des témoignages internes, est favorisé par l’impunité qui règnerait dans le centre. La méfiance est de mise dans cet hôpital de renom. Les uns surveillent les autres. Sur le point de faire des révélations, un agent bien placé du service des urgences a été dissuadé par un de ses supérieurs assurant qu’il doit le préserver de commettre une erreur fatale.
Dossier le CNHU en détresse- photo 3
Posted by lanouvelletribune.info on jeudi 8 octobre 2015
Rançonnement des malades
Quand on ne meurt pas au Cnhu, on est victime d’un autre mal qui a nom « le rançonnement ». Ce mal, petit à petit, prend place sur les lits aux côtés des malades. Selon divers témoignages, les personnes à la quête de rétablissement de leur santé dégradée sont souvent l’objet d’actes de rançonnement au Chnu. Théophile Dossou, Secrétaire général du Syncotra-Cnhu le confirme. Preuves à l’appui, le syndicaliste a informé de plusieurs de cas de vol d’alcool, de médicaments mais surtout de rançonnement de malades. Selon M. Azanmasso-Pierre, ces actes de rançonnement sont l’œuvre d’agents occasionnels que le Cnhu recrute pour des missions temporaires. « Ce sont les agents occasionnels qu’on recrute qui grugent les malades », assure l’administrateur des hôpitaux. A l’en croire, plusieurs agents occasionnels ont été pris dans le sac. Il explique que ces agents occasionnels, bien que leur contrat soit expiré, continuent de venir au Cnhu, « la blouse dans la poche ». Et une fois, dans l’enceinte du Cnhu, ils se font souvent passer pour des médecins et soutirent de l’argent aux malades. Quelquefois, ils se proposent d’aider les malades en allant payer pour eux, tel ou tel autres frais à la caisse et disparaissent avec les sous. Mais, il n’y a pas que les agents occasionnels du Cnhu qui se rendent coupables de ces actes répréhensibles de rançonnement de malades. Des agents à des postes de responsabilités sont également épinglés. En août dernier, Pascal S., alors chef section admission et séjour des malades, a été interpellé pour fait de rançonnement. Il a grugé un malade, le sieur Théophile T., victime d’un accident et qui a séjourné aux urgences du 26 avril 2015 au 12 mai 2015. Le chef section admission et séjour des malades qu’il était, Pascal S. a encaissé la somme de 100.000 FCFA chez le patient qui n’est ni fonctionnaire ni assuré par une structure et n’a versé que 43.000 FCFA. Cela, après avoir frauduleusement fait enregistrer le patient dans le registre d’autorisation de sortie comme tiers payant sous le couvert du Ministère de l’enseignement maternel et primaire. La différence, Pascal S. l’a simplement empoché. Mais le plus grave, c’est que le patient devrait payer un peu plus de 250.000 FCFA pour son séjour au Cnhu. Selon nos sources, l’agent Pascal S. qui n’a pas été sanctionné, du moins pas à la hauteur de sa faute, puisque toujours à un poste de responsabilité, n’est pas à son premier acte. Avant lui, d’autres agents de l’hôpital s’étaient malheureusement illustrés par des actes similaires. Un cas de vol d’alcool, des cas de faux et usages de faux et même de détournement auraient déjà été enregistrés.
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Les médecins acculés
Au Cnhu tout n’est pas mauvais. Dans le rang du personnel, il y a des agents qui honorent encore leur serment d’Hippocrate. Dr A. reconnaît un agent qui fait bien son travail mais dont elle se garde de donner le nom par crainte de le livrer à des coups-bas. « Tous, on se connaît. Il y a des gens qui ne sont pas compétents». M. Azanmasso-Pierre des services des ressources humaines assure que la compétence est disponible au Cnhu. Le problème a-t-il expliqué, c’est que les malades subissent des préjudices sanitaires graves ailleurs avant leurs arrivées au Cnhu. Il en veut pour preuve le cas du père de son coiffeur qui a été ramené d’un coma dans lequel il a été plongé par un mauvais diagnostic dans une clinique privée de la place avant d’être conduit en urgence au Cnhu. Notre infirmier du Cnhu témoigne que « débordés, les médecins sont au four et au moulin ». Le responsable du service des ressources humaines regrette la mauvaise réputation qu’on colle aux agents du Cnhu. « En public on a peur de se présenter comme agent du Cnhu car on dit, les voilà ceux qui tuent ». Au Cnhu a-t-il dit, les agents de santé cotisent parfois pour venir en aide à des malades qui ne sont pas en mesure de payer les ordonnances. Il craint qu’acculés, les médecins se démotivent. Des patients, à en croire l’infirmier du service des urgences, sont parfois conduits à eux sans moyens pour les premiers soins. En de pareils cas, il apprend qu’ils vont « prêter des produits chez des malades pour faire les premiers soins aux nouveaux admis aux urgences ».
« Repenser le Cnhu »
Le Cnhu, tous s’accordent à le reconnaître, est mal en point. L’administrateur des hôpitaux et Ingénieur économiste planificateur Azanmasso-Pierre préconise qu’il faut la construction d’un à défaut de deux, centre hospitalier de référence en appui au Cnhu. Il rappelle qu’à sa création, le Cnhu était d’environ 350 lits et avait trois vocations majeures à savoir : « la recherche, l’enseignement et les soins ». Sur les soins, les deux autres vocations semblent prendre le dessus à en croire Mme A. selon qui « les professeurs s’accrochent au cours » au détriment des soins. L’administrateur assure que si le gouvernement met « 200 milliards de francs Cfa de côté, le Bénin aura un hôpital de référence international ». Pour cela poursuit-il, un domaine de six hectares bien clôturé suffit pour ériger des bâtiments modernes avec des équipements de dernière génération. Et ce n’est pas cet espace qui manque au Bénin. Dans cet hôpital de référence M. Azanmasso-Pierre recommande de mettre « tous les agents sous contrat renouvelable en fonction des résultats ». Puisque, explique-t-il, avec les Agents permanents de l’Etat (Ape), il y a des grèves fantaisistes, des grèves de règlement de compte. Aussi, souligne-t-il, des anciens s’estimant « doyens » ne travaillent plus. « Il faut repenser le Cnhu » conclut l’administrateur des hôpitaux. Pour Mme A. il faut surtout que les agents aient la volonté de travailler, l’amour du travail bien fait car on n’a jamais assez de matériels. Aussi, selon elle, il faut mettre fin à l’impunité.
Oliver Ribouis & Hervé Kingbêwé