Kérékou, l’énigmatique « Kaméléon » …

Donc, il a franchi la porte du Grand néant, le Général. Dire qu’il s’est éteint, alors qu’on le disait bien malade, est une terrible nouvelle dont on a du mal à se rendre compte. Ce personnage a tellement été imbriqué dans les interstices de la vie politique béninoise qu’on a toujours l’impression qu’il avait sept vies et qu’il serait éternel.

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Depuis plus de trente ans, il a pesé sur les événements, porté par la soif d’un pouvoir qu’il a souvent conquis et maîtrisé, au prix d’idéologies improbables,de retournements politiques spectaculaires, de come-backs inattendus, parfois contre les intérêts d’une partie de son peuple.

C’est le 26 octobre 1972 que commence l’aventure. Arrivé au pouvoir comme militaire, il a vite troqué ses treillis contre la veste Mao, persuadé qu’avec l’idéologie marxisme léniniste, il avait trouvé une « voie de salut » pour le peuple. Dix-huit ans plus tard, il révoquait le système, se convertissait en démocrate bon teint, heureux comme un enfant communiant, de s’être débarrassé de ce que lui-même qualifia dans Jeune Afrique de « foutaise » au micro de Francis Kpatindé. Battu lors de la première présidentielle en 1991 par NicéphoreSoglo, il reconquérait le pouvoir cinq ans après, désormais convaincu d’avoir rencontré Jésus lors de son purgatoire. Un nouveau mandat accordé par le peuple et nous voilà avec un autre Kérékou,Président pasteur, prêchantpartout la parole du Christ, même dans les arènes laïques. D’ailleurs,en avril 1996, il a dû, sur injonction de la Cour Constitutionnelle, reprendre une partie du texte de son serment volontairementomis parce que faisant référence aux « mânes de nos ancêtres ». Pourtant, on se rappelle qu’il avait nommé à ses côtés, dans les années quatre-vingt, AboudoulayeCissé, un marabout-gourou qui lui offrait des prestations occultes au point qu’il en avait été vampirisé.

Mathieu Kérékou était ainsi, entier dans ce qu’il entreprenait, borné dans les voies qu’on lui indiquait. Mais cette versatilité caractérielle n’était guère surprenante d’autant que, ayant remarqué ce trait de caractère, ses congénères militaires l’avaient surnommé le « tcha »(caméléon). En fin connaisseur de ce reptile, il en a tiré sa qualité première, celle d’être tenace et endurant. Au matin du coup d’Etat qui l’avait porté au pouvoir le 26 octobre 1972, il avait dit : « la branche ne se cassera pas dans les bras du caméléon ».Certes, il faisait allusion aux différents régimes antérieurs qui s’effondraient dès la première bourrasque, mais lui s’inscrivait dans la durée, dans une sorte de projection quasi messianique avec une société, promettait-il, « où il fera bon vivre pour chacun et pour tous »

La mort de cet homme n’apportera pas les réponses sur les questions légitimes qu’on est en droit de se poser sur lui. Elle n’éclairera pas les meurtres qu’on lui a attribués lors de la parenthèse révolutionnaire – qu’ils soient des règlements de compte sanglants entre frères d’armes ou les disparitions physiques d’opposants politiques. Mais elle permet de tourner la page d’une période longue et douloureuse où le Bénin a raté un des tournants de son envol. Cependant, sur ce personnage énigmatique, dédaigneux des intellectuels, patriote indéniable, vivant de manière extrêmement frugale, il y aura beaucoup de choses à dire. Sa disparition en ouvre le chemin.

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