Mathieu Kérékou, l’homme-caméléon

Mon collègue et ami, le professeur Félix Iroko, a eu la malchance de voir sortir son livre en avril 2001, quelque jours après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2001 que le Général Mathieu Kérékou venait de remporter haut la main ; face à l’opposition conduite alors par le tandem Nicéphore Soglo-Adrien Houngbédji.

Publicité

Non mais, des fois ! Oser nous balancer à la face que celui qui venait de remporter cette élection, forcément par fraudes pour nous, était…un homme hors du commun ! Haro sur le baudet stipendié  qui aurat fait honte à sa discipline ! Mais les premières passions contestataires passées, je me suis rapproché de mon ami, surtout après les « coming out » critiques de ces deux barons du régime Soglo : Guy Amédée Adjanohoun et Yves Edgar Monnou et certainement bien d’autres qui imputaient la responsabilité de l’échec de Nicéphore Soglo aux présidentielles de 1996 et de 2001, aux erreurs  stratégiques et aux lacunes organisationnelles des Soglo eux-mêmes.

J’achetai illico le livre incriminé et le lut d’un seul trait. Bien écrit, clair et pédagogique comme tous les écrits de Félix Iroko.  Dès lors, la rengaine de fraudes électorales pour expliquer la montée stupéfiante de Mathieu Kérékou, mécanisme de justification et de déni facile, me quitta définititivement. On sait comment j’ai réagi par la suite.

Faute de quitter la barque RB sur la pointe des pieds (la lâcheté n’a jamais été ma caractéristique personnelle), je deviens le plus virulent producteur de critiques -constructives- au Leader charismatique qui me tolérait bien jusqu’à ce que certains culs-terreux le convainquirent de se séparer de moi ! Entre temps, j’avais écrit deux chroniques de vérité, l’une pendant le premier mandat de Kérékou « monté en haut » et l’autre à la fin de sa présidence : la baraka de Kérékou (I et II) que Nicéphore Soglo accueillit très mal. Je disais dans ces deux chroniques presque la même chose que Félix Iroko. Mathieu Kérékou n’était certes pas pour moi un homme hors du commun (j’abhorre les cultes de personnalité qui sont des actes de tricherie dans l’Histoire), mais sans conteste un homme exceptionnel : pour avoir dans sa vie su exploiter des circonstances favorables que faute de mieux j’ai appelées la baraka.

Je réfléchis d’ailleurs toujours au destin exceptionnel de cet homme qui a réussi l’exploit de diriger ce pays remuant et poujadiste pendant près de trois décennies, record que nous ne battrons jamais ici au Bénin. Faute de mieux, je mes suis rabattu sur une galéjade : le paradigme de l’homme-caméléon. En effet, comme tous les personnages de génie, Mathieu Kérékou était d’abord un homme idoine de son milieu, un rude montagnard wao, rebelle dans l’âme car ressortant d’un peuple qui n’a jamais connu et supporté l’imperium et la dictature d’une formation étatique.

Publicité

Mais Maurice Kouandété l’était aussi et avait si bien manifesté ce trait caractériel de base en fomentant et en réussissant tous les grands coups d’Etat au Bénin. Cependant, il échoua lamentablement en février 1972 et fut mis au rebut de l’Histoire. Mathieu Kérékou avait quelque chose en plus que la témérité du centurion wao. Il a avait cette profonde intelligence des situations, cette grande intuition qui fait généralement les grands meneurs d’hommes, ce quelque chose que ses congénères avaient déjà découvert chez lui pour le surnommer le caméléon (tchaa). Il était bien sûr un vrai centurion wao, brave, téméraire et justicier, mais cette ardeur était opportunément freinée par une prudence de caméléon et une ruse de Sioux ! Voilà pour moi là où réside tout le secret de l’homme du jeudi 26 octobre 1972, du mercredi 28 juin 1990, de 1996 et du 13 juillet 2005. L’audace bien sûr, mais une rare lucidité et une réelle appréciation des  enjeux en présence.  Salut l’artiste !

Le bouillant officier qui n’était que l’adjoint au chef d’Etat-major, le Colonel Alphonse Alley, était celui qui avait su tirer son épingle du jeu dans ce  coup d’Etat dont il n’était pas l’auteur ; mais qui était venu au pouvoir en criant Vive la révolution, alors que personne ne lui avait rien demandé a priori. Très intelligent, très futé, cet homme qui dès les premiers jours avait affirmé qu’on s’était trompé sur son grade et qui ministre de la défense se proclama chef de bataillon ; pour ne pas se ravir la vedette par le Commandant Michel Alladayé , le seul vrai chef de bataillon de l’équipe révolutionnaire formée aux lendemains du 26 octobre 1972! C’était vraiment un génie, celui qui avait compris que les technocrates, séides d’Emile Derlin Zinsou, ne portaient plus le progrès, mais la jeunesse militante fraichement débarquée dans l’administration publique ; qui devant les bourrasques contestataires habituelles au Bénin, a su fermer la bouche à tout le monde en faisant descendre sur le Dahomey-Bénin la chape de plomb du despotisme stalinien.

C’était véritablement un homme exceptionnel, celui qui s’était résolu à accepter cette humiliation inacceptable que Martin Dohou Azonhiho a dit qu’il n’aurait jamais avalée, en validant les décisions de cette Conférence Nationale qui s’était proclamée souveraine et avait décrété la force exécutoire de ses décisions ! Inédit et unique dans l’Histoire. Très malin cet homme qui négocia habilement une immunité personnelle inconditionnelle, bien sûr inconstitutionnelle, qui lui permit d’attendre sagement que le fruit mûr du pouvoir lui retombe à nouveau dans les mains.  Kérékou, Kérékou, baba wê noué, kpo kan kpo djan !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité