Professeur Pierre Mètinhoué : « Il faut garder le patriotisme du Général Mathieu Kérékou »

Depuis le décès mercredi 14 octobre de l’ancien président de la République, le Général Mathieu Kérékou, une multitude de témoignages aussi élogieux qu’acerbes, paraissent sur l’homme qui a totalisé près de 30 ans à la tête du Bénin.

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Chacun y va selon sa vérité. Au-dessus de la mêlée, l’historien et témoin de l’histoire politique du Bénin, le professeur Pierre Mètinhoué parle succinctement et exclusivement à La Nouvelle Tribune de qui est l’énigmatique Caméléon, ses qualités, ses défauts et ce qu’il faut retenir de lui dans l’intérêt du pays. Lisez plutôt.

Professeur Pierre Mètinhoué, le président Kérékou n’est plus !

J’ai appris comme tout le monde dans l’après-midi de ce mercredi que le Général Mathieu Kérékou avait rendu l’âme. C’est une mauvaise nouvelle parce que le Bénin ne compte plus que deux anciens présidents. Il y avait lui, il y a le Docteur Emile Derlin Zinsou et il y a le président Nicéphore Soglo. L’originalité du Général, c’est sa longue expérience du pouvoir. Il connaissait le Dahomey, la République populaire du Bénin et le Bénin. Il connaissait les hommes. Et certains disent que c’est par la connaissance qu’il avait des hommes qu’il a pu garder le pouvoir pendant de si nombreuses années. Puisque, arrivé au pouvoir le 26 octobre 1972, il a été remplacé en avril 1991 au terme de l’élection présidentielle de mars 1991. Je présente mes condoléances, les plus attristées aux membres de sa famille, à ses amis, à ses proches.

Que peut-on retenir du Général Mathieu Kérékou et de son passage à la tête de l’Etat ?

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A mon avis, il y a beaucoup de choses positives mais  aussi des choses négatives. Je citerais parmi les choses positives, le patriotisme du Général. Je pense que quand on dit cela, car j’ai déjà lu dans beaucoup de réactions cette qualité du Général, on ne raconte pas des histoires. Le Général aimait véritablement son pays et il aimait ses compatriotes. Je pense que, sans revenir sur les détails du coup d’Etat du 26 octobre 1972, c’est par patriotisme que ses amis et lui ont décidé de prendre le pouvoir avec le soutien de quelques personnalités civiles. Parce qu’il faut rappeler qu’après les élections présidentielles et législatives de 1970 qui ont tourné court parce que l’Armée qui les avait organisées avait décidé que ce serait des élections départementalisées, le pays était dans un véritable chaos. Et c’est pour essayer de sauver les meubles que le Conseil présidentiel a été inventé en mai 1970 avec les trois anciens présidents de la République, Hubert Maga, Sourou Migan Apithy et Justin Tometin Ahomadégbé. De toute évidence, ces trois personnalités ne pouvaient pas s’entendre. Donc, on a eu à la tête du Dahomey, trois présidents et trois équipes autour des présidents. Chaque président avait ses partisans et ce n’était pas évident que ces trois équipes fonctionnent dans la même direction. La situation n’était alors pas bonne. Il me semble que c’est pour réagir contre cela que le Général et ses amis ont décidé de chasser ses trois personnalités et de leur prendre le pouvoir.

Je voudrais insister aussi sur l’humilité du Général. Je crois aussi que ce ne sont pas des mots. Le Général, s’il n’avait pas été humble, avec le nombre d’années qu’il a passées à la tête de l’Etat, on aurait vu un peu partout des monuments, des rues, des places, des bâtiments portant son nom. Et on voit bien l’exemple dans d’autres pays africains. On a dit, et je n’ai pas vérifié, que lorsque le Stade de l’Amitié a été construit à Kouhounou, grâce à l’appui des Chinois, certains auraient proposé de faire porter son nom par le stade et c’est qui a dit non. On pourrait citer d’autres exemples. Le Général était réellement quelqu’un de très humble et quelqu’un qui ne voulait pas que toute la gloire lui revienne. Ensuite, lorsqu’ayant fait l’expérience du marxisme pendant de nombreuses années, il s’est rendu compte en 1989 que cette idéologie ne conduisait pas au développement, il n’a pas eu honte de dire que cette route était mauvaise et qu’il fallait faire demi-tour. C’est donc, à partir de ce constat qu’il a convoqué la Conférence nationale. Pour moi, c’est un grand signe d’humilité de reconnaître qu’on s’est trompé et qu’il faut changer d’itinéraire.

Troisième qualité du Général, c’est son militantisme pour l’unité nationale. Quand on compare ce qu’il a fait, le nombre d’années qu’il a passées avec ce qu’est passé avant lui ou après lui, on est obligé de reconnaitre qu’il était préoccupé par l’unité nationale. J’ai lu récemment un témoignage d’un ancien collaborateur du Général. Il dit que lorsqu’ils sont allés au cours officier, ils étaient trente et chaque département était représenté par cinq élèves officiers. Et le Général a veillé de façon particulière à ce que l’Armée de notre pays ne soit pas l’Armée d’une région, d’une ethnie ou d’une race. Il faut, a-t-il dit, que ce soit véritablement une Armée véritablement nationale et je crois qu’il a fait cela. C’est fondamental dans un jeune Etat comme le nôtre parce que si, l’Armée se trouve dans les mains d’une portion de la population ou d’une région, tous les risques sont permis. Le fait d’avoir fait en sorte que tous les fils du Bénin, d’où qu’ils viennent, se retrouvent dans l’Armée, équilibre les forces. Donc, enlever à tous ceux qui auraient des velléités d’utiliser l’Armée pour assouvir leur soif, cette envie. Je crois qu’il faut rendre ce témoignage au Général Kérékou.

Mais le Général avait des défauts. Il est resté longtemps au pouvoir et comme le disent les anciens, le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Le Général n’était pas un brillant respectueux des libertés individuelles et collectives. C’est vrai que le système  dans lequel il évoluait ne connaissait plus les libertés individuelles. Ou vous étiez membre du parti unique que lui et ses amis ont créés, le Parti de la révolution populaire du Bénin, ou vous étiez dans l’opposition. Cela a obligé beaucoup de Béninois de l’époque à s’expatrier. Les complots se suivaient à un rythme assez accéléré et la conséquence d’un complot découvert, c’est qu’il y a des arrestations, des emprisonnements. Et donc, beaucoup de Béninois se souviennent qu’en ce moment-là, pendant la révolution, la vie quotidienne n’était pas facile. Donc sur la question des libertés individuelles et collectives, il y a beaucoup de reproches à faire au Général et à ses amis.

Je vais insister sur un deuxième défaut, une deuxième « lacune » du Général, c’est la banalisation du sacré. Nous sommes dans un pays où on invoque Dieu à tort et à travers. On invoque Dieu pour tout même si on ne le respecte pas toujours. Mais de façon assez bien connue, nous sommes un peuple de croyant. Et d’avoir opté pour le marxisme-léninisme, a poussé le Général et ses amis a décrété la lutte contre la féodalité et donc la lutte contre la religion. Cette lutte a visé essentiellement les religions traditionnelles qu’on a traitées de féodalité et elle a visé également les religions importées notamment le christianisme et le catholicisme. Dans ce système, beaucoup de membres de la hiérarchie catholique ont terriblement souffert. Je citerais pour illustrer mon propos, celui qui a payé le plus lourd tribut dans cette affaire, c’est le père Alphonse Quenum. Il a été supposé d’avoir appartenu à une équipe qui voulait renverser le Général en 1975 et qui a passé près de dix ans en prison. Il était condamné à mort mais, Dieu merci, n’a pas été exécuté. Certains de ses amis ont été soit condamnés à mort aussi ou soit condamnés à des travaux forcés à perpétuité. D’autres prêtres catholiques ont été également incarcérés. Le père Vincent Adjanohoun, paix à son âme, curé de Saint- Michel a été arrêté. Le Cardinal Gantin, paix à son âme, venait d’être promu Cardinal alors et qui est venu dans son pays pour rendre grâce avec les siens, a été interdit de circuler dans son pays. On lui a arraché son passeport et il était pratiquement en résidence surveillée à l’archevêché jusqu’à la veille de son départ. C’est une chose qui a fait extrêmement mal au Cardinal.  D’autres évêques comme Monseigneur Sastre, alors évêque de Lokossa, a été arrêté parce que simplement, les ouvriers qu’il avait engagés dans sa maison voulaient, à la demande des pouvoirs publics, créer ce qu’on appelle un Comité de défense de la révolution (Cdr).

Cela, c’est aussi le régime du Général Mathieu Kérékou. Donc quand on met en lumière les valeurs qui sont réelles et qui sont incontestables, on doit à la vérité, dit aussi le petit côté obscur. Et en lisant les journaux, j’ai bien constaté que les responsables du parti communiste du Bénin n’ont pas raté l’occasion pour signaler que le Général c’était aussi la prison de Ségbana, les lieux de détention comme l’hôtel Plm Alédjo, les différents commissariats de nos villes, toutes les prisons. Partout où il y avait des gens en prison qui ne savaient pas toujours ce qu’ils avaient fait et qui étaient en prison pour trois, soit pour six, voire plusieurs années. Malheureusement certains ont succombé. Nous tous, nous implorons la miséricorde de Dieu pour qu’il pardonne au Général tout ce qu’il a fait qui n’était pas bon pour que, là- haut, il retrouve la vraie lumière. Et que de là-bas, qu’il pense aussi à nous qui sommes encore là et au pays qu’il aimait véritablement.

Dans la perspective de 2016, quelle qualité cardinale du Général il faut garder pour les acquis démocratiques ?

Je pense qu’il faut garder le patriotisme car c’est important. Si un chef d’Etat n’aime pas son pays, tout est compromis. Et aimer son pays, signifie beaucoup de choses. Je ne crois pas, je ne sais pas que le Général ait accumulé de l’argent et se soit acheté des appartements, des châteaux en France, aux Etats-Unis. C’est également cela, aimer son pays. Je ne dis pas qu’avoir ces possessions-là, c’est le signe patent d’un détournement de denier public, mais le Général, je crois, se contentait de ce que son pays pouvait lui offrir ici. C’est également cela, le patriotisme. C’est pourquoi, il faut espérer que le prochain chef de l’Etat soit un patriote. Qu’il soit aussi, un démocrate, c’est-à-dire qu’il respecte la volonté du peuple et qu’il respecte l’esprit et la lettre des textes adoptés par le Bénin. Le premier de ces textes, c’est la Constitution de notre pays, celle du 11 décembre 1990. Je crois que c’est le minimum qu’on peut exiger d’un chef d’Etat. Il faut que le prochain chef de l’Etat nous dise la vérité quel que soit ce que cela peut nous coûter et ce que cela peut lui coûter. Ce serait profondément regrettable que nous ayons à la tête de notre pays, un chef de l’Etat qui nous mente, qui nous raconte des histoires. Nous avons besoin d’un président de la République qui aime le pays et parce qu’il aime le pays, il nous dit la vérité. Ce sont là quelques  valeurs cardinales que nous pouvons puiser dans la vie du Général et qui sont nécessaires pour la gestion des années qui viennent.

Réalisation : Hervé Kingbêwé & Olivier Ribouis

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