La démocratie à la sauce africaine

C’est incontestable : la démocratie, telle qu’elle s’entend aujourd’hui, n’est pas une invention africaine. Mais l’Afrique, depuis un peu plus de deux décennies, s’acharne à faire à la démocratie libérale des enfants illégitimes. Comme si elle voulait réinventer la démocratie. Comme si elle cherchait à inventer sa propre démocratie. Nous avons recensé quelques objets atypiques sortis de la forge démocratique d’une Afrique en pleine fièvre créatrice.

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Connaissez-vous le premier tour KO ? C’est la victoire immédiate, expéditive remportée à une élection à deux tours. Le vainqueur, tel un ouragan tropical, balaie tout sur son passage. Ses concurrents, sonnés et groggy, n’ont plus qu’à se soumettre ou à se démettre. Pour des pays aux ressources limitées, c’est l’économie d’un second tour, à évaluer à plusieurs milliards de nos francs. Pour la petite histoire, c’est le Bénin qui a ouvert le ban. Ce fut à l’occasion de la présidentielle de 2011. Le modèle béninois vient de s’offrir, ces jours derniers, deux répliques : la Guinée et la Côte d’Ivoire. Nous pouvons le dire, l’école du premier tour KO fait son petit bonhomme de chemin.

Connaissez-vous le mode de vote par procuration ? Ce n’est pas, en soi, une invention africaine. C’est l’usage que les Africains en font qui relève de l’inédit. Dans le principe, une procuration est l’acte par lequel une personne donne pouvoir à une autre d’agir en son nom dans une circonstance déterminée. Mais l’Afrique va se saisir de ce procédé pour cadrer et encadrer le vote de certains électeurs. Celui qui donne procuration n’a pas des raisons valables, en tout cas au regard de la loi, pour le faire (Indisponibilité, empêchement, handicap…) Mais il se donne, pour ce faire, des motivations intéressantes et intéressées (compensation financière, promesse de récompense…). Celui qui recueille la procuration s’accapare un suffrage. Il le retient indûment. Il en dispose à sa guise. On n’est pas loin de l’achat de conscience. L’électeur vend sa voix, se dépouille ou se fait dépouiller d’un droit essentiel. Un vrai pied de nez à la souveraineté du peuple, base de toute vraie démocratie.

Avez-vous déjà entendu parler de télécommande ? Télécommander, aux dire des spécialistes, c’est transmettre à distance un signal qui déclenche l’exécution d’un ordre par un dispositif. L’équipement qui assure cette transmission a nom télécommande. Mais, depuis, les démocraties en Afrique ont récupéré ce mot. Il est devenu l’atout maître de ceux qui ont pouvoir de financer nos élections. Où qu’ils se trouvent dans le monde, ces maîtres du fric et du magot peuvent actionner leur télécommande et atteindre les objectifs visés, produire les effets voulus. La mondialisation aidant, l’argent voyage de pays en pays, de compte en compte, de poche en poche. On n’a plus besoin, pour ce faire, de transporter des valises d’argent. Et les « télécommandeurs », si tel était leur désir, pourraient s’assurer un anonymat en béton. Ni vu ni connu. Les systèmes démocratiques africains sont ainsi graissés, huilés, entretenus à distance et aux sources des technologies les plus modernes.

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Le référendum ? Parlons-en. Pour faire simple et court, c’est le vote de l’ensemble des citoyens d’un pays pour approuver ou pour rejeter une mesure proposée par le pouvoir exécutif. Ainsi vu, le référendum participe d’un mode de consultation hautement démocratique. Il met en lumière la souveraineté du peuple. Mais l’Afrique va domestiquer le référendum à des fins non démocratiques. Plutôt le contenant que le contenu. Plutôt les apparences que la réalité de la chose. Le référendum, de ce fait, devient un procédé plutôt magique. On se sert du peuple contre le peuple. On habille une parodie de démocratie des atours de la démocratie. Et le tour est joué. Parodions Mme Roland :  » Ô démocratie, que de crimes on commet en ton nom ! « 

Pourquoi Dieu, pour clore le folklore ? L’habitude s’établit, dans cette Afrique que l’on dit, à tort ou à raison, croyante, de tout mettre sous le couvert de Dieu. Après nos errances démocratiques, suivent des séances de prières, s’enchaînent des actions de grâce. Quand on a eu fini de tromper tout le monde, on vient confier à Dieu la somme de ses bêtises démocratiques. Mais Dieu n’est pas notre poubelle. Les hommes peuvent tromper les hommes. Mais nul ne peut tromper Dieu. Ne prenons pas à la légère les sages conseils des wolofs du Sénégal :  » A qui saute dans le feu, il reste à faire un autre saut ».

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