Election présidentielle : L’écrivain doit-il prendre parti ?

Aucune règle n’a été établie. D’ailleurs, elle le serait que, bien vite, elle serait violée, sur toutes les coutures violée, l’écrivain ne trouvant jouissance que dans son art du contre-pied et dans la liberté totale. Il en est ainsi de tout créateur et detout penseur, esprits libres qui, pourtant, en tenant discours, entendent éclairer le public à prendre parti sans que lui-même prenne parti.

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J’ai aimé les chroniques de Roger Gbêgnonvi sur les candidats déclarés, son curseur toujours tourné sur ceux de nos « malfrats politiques », honnis de leurs peuples qui continuent de bénéficier de l’ignorance de la majorité. J’ai aimé l’ironie qu’il use en parlant du roi sortant et de son dauphin désigné, les ambigüités auxquelles cette candidature donne lieu ; j’ai aimé ses ellipses soupçonneuses, ses élans pourfendeurs, ses retenues feintes. Pour La présidentielle annoncée du 28 février, l’inspiration de l’auteur de Paroles Interdites s’est risquée dans toutes les directions, mais jamais ellene s’est autorisée à désigner un héros, un qui emporterait ses suffrages et qui offrirait au paysune nouvelle chance de réussite, fut-elle réelle. Si Lionel Zinsou trouve grâce à ses yeux, c’est pour lui demander de s’extraire du piège que le locataire actuel de la Marina lui aurait tendu. Piège qui vise talents et intelligences que le président appelle à tour de bras à son chevet pour ensuite les humilier, parce que souffrant d’un inguérissable complexe d’infériorité. Gbêgnonvi fait allusion à son expérience avec Yayi lui-même, expérience tout aussi traumatisante que vexatoire, mais de laquelle des enseignements sont tirés pour exclure à jamais l’avènement d’un profil Yayi ou tout autre diable de la même cornée.

Jérôme Carlos n’est pas loin d’établir les mêmes constats. Sous sa plume toute aussi colorée, le directeur de CAPP FM se refuse à tout pessimisme. Contrairement à Gbêgnonvi, l’auteur des Enfants de Mandela est persuadé que le meilleur reste à venir et que le peuple, quoiqu’aspiré par les promesses farfelues d’une classe politique inconstante et sclérosée, de militants sans conviction, de partis amorphes et sans assises nationales, demeurera, s’il le veut, le seul rempart contre ce qu’il appelle les « sept péchés capitaux » ; sept péchés non référencés à la bible, mais parfaitement ancrés dans une quotidienneté rêche : l‘argent-roi, la démagogie, l’absence de débats, la violence, la dérive raciste, la rumeur et la médiatisation des querelles politiciennes. Carlos, en en appelant à la conscience des Béninois, ne néglige guère Dieu dans ses invocations. A l’image des Anglais qui remettentle sort de leur reine dans les mains de Dieu, il demande au Patriarche de là-haut, de dérouler ses encens protecteurs autour du pays.

Cependant, c’est chez Olympe Bhêly Quénum que la rhétorique est toute différente. Au nom des œuvres culturelles qu’il a bâties à Ouidah, des engagements socio-culturels qu’il s’efforce de réaliser dans les grandes villes du sud à travers sa Fondation, Lionel Zinsou représente pour lui la « seule bouée de sauvetage ». Certes, la sinistrose ambiante née des errements de Boni Yayi a appris à l’écrivain à ne trouver en aucun candidat, un homme de la situation, maisles faits d’arme culturels du neveu d’Emile Derlin lui ont inspiré un nouveau discours. Et cela,malgré quelques réserves liées à la nébuleuse France Afrique que l’entre-deux-chaises du candidat, sa proximité avec la gauche au pouvoir en France qu’il a servie,pourraient laisser entrevoir.

Moi, je n’ai pas de candidat à faire valoir. Le « ninisme » auquel peut induire une telle posture ne s’impose pas non plus à vue. La personnalité de certains candidats, leurs parcours, le charisme qu’ils dégagent, s’ils sont des éléments pouvant influencer l’électeur, demeurent pour moi rien que de simples indices pour leurs appréciations. Puis, ajoutésà ces critères, les programmes :leurs consistances, leur faisabilité, leur coût, leur financement. Là-dessus, la variété des propositions m’emballe autant que leurs originalités.

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Si Patrice Talon m’offre la chance d’expérimenter le régime-présidentiel avec un transfert équilibré d’une partie du pouvoir dans les mains d’un Premier Ministre par une réforme de la Constitution, j’adhère à la proposition de Pascal Iréné Koukpaki pour sa Nouvelle Ethique, ces valeurs citoyennes longtemps dévoyées que les habitudes publiques, professionnelles, institutionnelles, doivent désormais porter. Si je reste impressionné par la dimension culturelle de Lionel Zinsou qui, depuis dix ans, propose, à travers la Fondation du même nom, des pratiques culturellesaux Béninois, je suis aussi séduit par la prise en charge sociale des minorités dans les zones rurales faite par Abdoulaye Bio Tchané, A ce propos, mes regrets vont à Ferdinand Lawson, un des candidats ayant renoncé à l’élection. Dans son programme, il offre une alternative fiable aux jeunes chômeurs à travers des pôles d’activités de développement intégrateurs. Il aurait, si les contingences l’y avaient favorisé, fait entendre ses propositions au public.

Car, nous attendons, tous ensemble, le jour où les débats se feront. Nous attendons l’heure où, projet contre projet, chacun dévoilera ses plans, parlera à notre raison, inspirera nos élans intérieurs. Le rêve permis, c’est des nouvelles raisons d’espérer. Mais il y a des hommes politiques qui remuent en nous mépris et répugnance. Des hommes qui ont perdu le sens du rêve. Et un peuple qui ne rêve plus est un peuple condamné. Et un peuple condamné est un peuple désespéré. Mais alors, si c’en est ainsi, la force qui restera à ce peuple, celle qui résultera de son ultime souffle, ne lui servira qu’àune chose, une seule : brûler la cité. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous n’en sommes pas loin non plus.

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