Réussir : Emouvant témoignage de Régis Ezin, rappeur mais également promoteur de Kluiklui

Bien connu dans le milieu du rap béninois avec son album sorti en 2011 et plusieurs autres singles qui ont suivi, Régis Ezin alias E-Ray est depuis peu un chef d’entreprise qui fait parler de lui à travers le succès que connaît son activité, la production et la distribution de Kluiklui –galette- d’Agonlin sa ville d’origine.

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Exemple de jeune entrepreneur ingénieux, le rappeur devenu grand distributeur de Kluiklui à travers le monde, confie à la Nouvelle Tribune un émouvant témoignage de son parcours dont voici l’intégralité. Lisez plutôt.

Regis, merci de nous recevoir dans ton bureau, d’où tu manages ton entreprise. On t’a connu comme rappeur, aujourd’hui tu es dans la distribution des kluiklui, des galettes d’Agonlin au Bénin. Qu’est-ce-qui se passe ?

Rire !

Du rap à la vente de Kluiklui, dis-nous !

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Du rap à la vente de kluiklui, il n’y a même pas un demi-pas.

Déjà merci à vous de m’offrir cet espace pour parler de mes activités. Pour répondre à la question, je dirai tout simplement qu’il y a un fil conducteur : c’est entreprendre. C’est le verbe entreprendre, c’est le mot entreprenariat. C’est une fibre que j’ai depuis longtemps. Même en étant artiste, il est vrai que je faisais de la musique par passion, mais j’en faisais également un business parce que pour moi, il n’est pas question de dissocier les deux. Lorsque vous menez une activité, qu’elle soit d’essence passionnelle ou d’essence purement pécuniaire, peu importe, le but est de rentabiliser. Ça vous permet de jauger le potentiel de ce que vous faites et de voir si vos idées sont rentables.

Donc c’est dans l’optique de rentabiliser tes potentialités que tu as d’abord mis entre parenthèse la musique ?

Bien évidemment, la musique, comme vous le savez, est un peu entre parenthèse chez moi depuis quelques années. Ce qui ne veut pas dire que j’en ferai plus. Je rassure les gens. C’est une question de parenthèse, 2016 sera d’ailleurs une année charnière musicalement parlant à mon niveau. J’ai pris le temps entre 2013 et aujourd’hui de mettre en œuvre d’autres projets que j’avais notamment celui de « Kluiklui d’Agonlin » qui est un projet agro-alimentaire. Je n’avais pas le projet clairement détaillé dans ma tête, mais j’avais envie de faire de l’agro-alimentaire. J’ai également mis en place ma boîte de communication. J’ai différents projets que j’ai pu mettre sur orbite. Le temps qu’ils puissent émerger et je pourrai me tourner vers d’autres activités.

Concernant le kluiklui, pour celui qui n’en a aucune idée, présente nous ce que c’est.

Mes kluiklui, j’aime bien les appeler des snacks. Ça fait très moderne, mais c’est la vérité. Ce sont des snacks, ce sont des amuse-bouches. De façon traditionnelle, on dit que ce sont des galettes à base d’arachide. C’est un produit qui est consommé par tous les Béninois ou par au moins une personne dans un foyer au Bénin ; mais qui a eu une image un peu archaïque pendant longtemps. Je ne sais pas pourquoi puisque beaucoup en consomment. Il y a quelques mois encore, lorsque vous arriviez dans une maison, quand on vous servait l’apéro, il pouvait y avoir du kpékuin, des chips de banane, des noix de cajou, mais il n’y avait quasiment jamais du kluiklui sur la table. Pourtant ce produit était dans les maisons qui recevaient.

Et vous avez décidé de le mettre en valeur ?

Nous avons travaillé sur un principe. On s’est dit que c’est un produit qui a non seulement une forte valeur nutritionnelle parce qu’il est faible en matières grasses, et qui, dans le même temps, a tous les apports nutritifs de l’arachide. C’est un produit qu’on peut décliner. Il y a la saveur épicée, celle sans piment, et la variante sucrée que nous produisons aujourd’hui. Il s’agit dans notre entendement d’un produit qu’il faut repositionner dans l’esprit des consommateurs pour qu’il retrouve ses lettres de noblesse. C’est un produit qui porte l’ADN du Bénin. Donc, pour nous c’est un produit-ambassadeur, un produit intéressant à travailler. Il faut dire aussi que le challenge était « costaud ». Amener les consommateurs béninois et étrangers à acheter du kluiklui décliné sous une autre forme, vendu autrement, à 1000 F Cfa, c’était un challenge intéressant et difficile. On a eu beaucoup de mal au départ. Aujourd’hui, il y a des barrières qu’on a pu franchir, mais il y a encore beaucoup de choses à faire.

Tu l’as déjà évoqué, le kluiklui dans l’esprit de beaucoup est considéré comme un aliment des pauvres. Il accompagne le gari aliment dit des étudiants. Mais tu es parvenu à le valoriser. Comment t’y es-tu pris pour le présenter comme un aliment de prestige qui doit se retrouver à la table des riches ?

Ah oui, c’est un aliment qui doit se retrouver à la table des riches, et des moins nantis également. Il faut déjà remettre les choses dans leur contexte. C’est une fausse idée de dire que le kuiklui est un aliment de pauvre ; c’est une idée reçue. C’est vrai que c’est un aliment de base qui permettait parfois de palier certaines situations parce que c’est un produit riche. Lorsque vous n’avez pas de poisson ou de viande, c’est un aliment qui remplace valablement, peut se manger en sauce dans certaines régions. Certains ajoutent ces galettes pour orner un petit peu la sauce qui accompagne le plat principal. On le mange aussi –c’est très connu- avec le gari. Il y a mille et une recettes. C’est surtout pour cette richesse nutritionnelle que le produit est très utilisé en substitution. La vérité c’est que même dans les services publics comme privés, on a toujours consommé du kluiklui, mais quand vous arrivez, le « mangeur » s’empresse de cacher son kluiklui. Cette image devait changer, et aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le bâtonnet, le bracelet, ce sont des formes qui sont les mêmes depuis que moi je suis né. Alors je me suis dit, qu’est-ce-qui fait qu’on achète plus les chips ou les biscuits de telle ou telle marque, qui sont importés ? C’est à mon avis en raison du marketing pratiqué sur les produits. L’emballage, l’image d’abord ! Mais pas que ça. Il y a le produit derrière. Si vous vendez quelque chose et qu’à l’intérieur le contenu ne satisfait pas, vous allez perdre de la clientèle. Nous avons fait le pari d’améliorer le produit et de le rendre beaucoup plus appétissant, de faire en sorte qu’il soit beaucoup plus attractif. Je pense que c’est ce qu’il faut pour tous nos produits locaux aujourd’hui : un emballage qui « parle » et qui réponde aux standards internationaux. Un produit qui écoute les consommateurs. Le nôtre par exemple a subi beaucoup de modifications depuis le début et nous travaillons encore et encore, parce qu’il y a certains paramètres que nous devons améliorer pour l’optimiser. Tout passe par la recherche et le développement. Ne jamais arrêter de chercher à parfaire ce que l’on fait. Nous, nous avons pris le pari de créer une marque qui s’appelle kluiklui d’Agonlin et nous savons que c’est un travail sur la durée.

Justement, kluiklui d’Agonlin. On sait qu’au Bénin, ce n’est pas qu’à Agonlin seul qu’on produit du kluiklui. Pourquoi avoir choisi de faire la promotion du Kluiklui d’Agonlin ?

Il y a deux raisons principales à cela. La première, c’est une raison totalement personnelle. Je suis d’Agonlin, de père et de mère, et donc je suis moi-même un gros mangeur de kluiklui (rires). Personnellement, c’est un peu ça qui m’a poussé vers la chose. Mais au-delà, il y avait une volonté de mettre en avant une région dont le savoir-faire en matière de fabrication de kluiklui n’est pas à discuter. Il y a évidemment d’autres régions du pays où du bon kluiklui se fait. Mais, on le sait, la terre-mère du kluiklui, c’est Agonlin.

Donc, dis-tu qu’Agonlin est le siège du kluiklui ?

Bien sûr que oui ! C’est le siège national et mondial du kluiklui –rire). Si on devait créer un musée du kluiklui (et ça viendra), c’est à Agonlin que cela se ferait.

Rires !

Ça, on n’est d’accord ! Le musée du kluiklui doit se retrouver à Agonlin. De la même manière, lorsqu’on parle de Sodabi, de tchoukoutou et autres, ce sont d’autres régions qui nous viennent spontanément à l’esprit. Nous faisons du sodabi à Agonlin, mais je sais qu’en la matière, il y a des régions qui pourraient se prévaloir de plus de légitimité.

Adja par exemple ?

Voilà, exactement ; entre autres ! Donc le concept du Kluiklui d’Agonlin, c’est de parvenir à vendre au monde un produit mais aussi une région, parce que nous avons une vision long-terme. Il faut absolument valoriser nos régions à travers leurs savoir-faire, et de ce point de vue, nous avons énormément de richesses à faire valoir.

Parlant de valorisation, j’ai même constaté que tu as développé tout un langage autour du kluiklui avec des néologismes propres à toi. Tu veux aussi avoir un dictionnaire de kluiklui ou quoi ?

Haaa, ça viendra peut-être, à l’allure où va notre terminologie (rire). Plus sérieusement, le plus important est que notre génération est totalement différente. Les premiers écrans de notre génération, ce sont les écrans de nos smartphones, de nos tablettes, de nos ordinateurs… beaucoup plus que les écrans de nos télévisions. Internet est aujourd’hui le média qui rapproche les gens. A nos débuts, en tant que petite entreprise, on a pu développer notre fanbase sans aller vers les télés et autre médias classiques, grâce à internet (Facebook notamment). Il faut donc développer des codes qui parlent aux utilisateurs de ces média- là. Qui parle de Facebook, Twitter… parle de hashtag, de fan page, de proximité, etc. Il y a des codes à respecter, ou qu’il est préférable d’utiliser. Nous avons pris le parti de développer un univers sémantique autour du kluiklui. Nous avons le hashtag #kluikluiPower qui fait sourire beaucoup de gens, et c’est le but. Ensuite, on a #Teamkluiklui et #kluikluiphile (c’est-à-dire les amateurs de kluiklui). On en développera d’autres progressivement pour qu’il y ait un univers sémantique, graphique, visuel et philosophique propre à nos produits, parce que nous sommes en train de créer une marque dans sa globalité la plus absolue.

Ton Kluikui voyage déjà?

Mon Kluiklui voyage déjà et il a vu beaucoup plus de pays que je n’en ai jamais vus. On a la chance aujourd’hui d’avoir un produit qui bouge ! En Afrique, il est allé un peu partout. Il a été acheté par des consommateurs dans presque tous les pays d’Afrique. On peut citer le Rwanda, le Togo, le Ghana, le Nigeria, le Maroc, la Côte-d’Ivoire, etc. Au Congo Brazza, nous avons un distributeur. Il voyage beaucoup ce produit. Il est acheté soit par des Béninois qui résident dans ces pays et qui en achètent, soit par des gens qui sont de passage, des expatriés par exemple. Il arrive même que nous ayons des commandes de particuliers passées depuis un pays où nous n’avons aucune attache. Dans ces cas-là, nous livrons par par voies postale, terrestre ou aérienne. En Europe, les commandes commencent à venir progressivement (France, Belgique, Luxembourg…). Aux Etats-Unis aussi nous avons actuellement un distributeurqui est en phase expérimentale. On essaie d’avoir des représentants à l’étranger au fur et à mesure qu’on avance. Cela permet de travailler avec des personnes qui sont du pays-cible ou qui résident dans ce dernier, et qui maitrisent donc le contexte, les habitudes des consommateurs, etc. Ils sont donc des partenaires qui ont à charge de développer sur leur territoire le produit parallèlement à ce que nous faisons, ici.

Sans tabou, dis-nous combien tu as investi comme capital au départ et où est-ce que tu en es aujourd’hui

Je vais vous donner les chiffres qu’on peut donner (rire). Je peux vous assurer que j’ai commencé cette affaire avec 15. 000 Fcfa. Ça, je ne me lasse pas de le dire parce que c’est important de souligner qu’on peut partir de peu de choses pour progressivement gravir des marches. 15. 000 Fcfa, tout simplement parce que quand j’ai eu cette idée, je voulais d’abord tester le concept. On se retrouve parfois dans des cas où on a des idées et on se dit « ah ça ! c’est une idée bankable ». Mais le marché n’a pas toujours la même appréciation que vous. Il ne faut donc pas se laisser emporter tout de suite par ses intuitions. Ainsi, j’ai demandé qu’on m’achète quelques bouteilles (de sérum ) recyclables. C’est comme ça qu’on a commencé. On a fait le logo et des étiquettes qu’on a imprimés sur des papiers banals avec une imprimante de bureau. On a collé les étiquettes sur les bouteilles préalablement lavées, lesquelles ont ensuite été remplie avec notre kluiklui en forme de boulettes. Et c’est avec une commerciale recrutée il y a deux ans, pendant les vacances, que nous avons fait nos premières ventes. C’est à travers elle qu’on a testé le concept. Je lui avais dit : « vas dans les administrations, propose le produit au gens, et on verra bien ». Les 15. 000 Fcfa ont permis de produire une trentaine de bouteilles. Le premier jour, quand elle est revenue, elle les avait toutes vendues. Là, je me suis dit qu’il y avait un coup à jouer. C’est à partir de cet instant que, progressivement, on a fait des investissements supplémentaires. Et comme je le dis souvent, nous sommes encore loin du compte. Même le packaging que nous utilisons aujourd’hui et qui est assez sophistiqué n’équivaut globalement qu’à 70% du packaging idéal/final que nous vison. Si tout va bien, vous tiendrez ce fameux emballage entre vos mains dès fin 2016.

Donc tu es parti de l’informel à l’entreprise que tu as aujourd’hui ?

Oui ! On était dans l’informel, puis on a tout formalisé en 2015. On a créé une Sarl pour « normaliser » les choses parce qu’on travaille désormais avec des supermarchés, ainsi que des partenaires à l’étranger. Aujourd’hui, au niveau local nous écoulons plusieurs centaines de notre produit par mois, et parfois même plus du millier. Quant aux chiffres réalisés à l’étranger, je n’en parle pas trop pour l’instant parce que c’est encore très fluctuant. Une chose est certaine, l’agroalimentaire est un domaine absolument rentable, mais uniquement sur la durée. Pour notre part, nous sommes encore loin de notre retour sur investissement. En outre, nous montons actuellement une unité de production, qui est à l’étape de finalisation, pour pouvoir entièrement contrôler le travail et la qualité de nos produits. En gros, on réinvestit sans cesse ce qui rentre…jusqu’au jour où nous pourrons doter Agonlin d’une grande usine (sourire).

Avant de devenir producteur et distributeur du Kluiklui d’Agonlin, E-Ray était un rappeur. Aujourd’hui, qu’est devenue ta musique ?

Ma musique est là, et se porte bien. La musique ne meurt pas. Ma musique vit. C’est vrai que mon dernier album date de 2011. J’ai sorti un single en 2013, j’en ai sorti un autre mi-2015 (intitulé « Ma Prière ») dont j’assure la promo et que j’ai d’ailleurs relancé il y a quelques jours. Mais cette année, ma priorité est de ramener un souffle nouveau à mes auditeurs. Il y a beaucoup de gens qui me demandent constamment de nouveaux morceaux, pensant que j’ai arrêté de chanter. Je n’ai pas arrêté la musique. J’ai pris une pause. Je suis un artiste et un entrepreneur multi-casquettes. Donc tantôt vous me verrez avec un album sur la scène musicale, tantôt je ferai autre chose. Je veux sortir d’autres livres, je m’occupe également de mon association, j’ai gère agence de communication, je fais la promotion du produit Kluiklui… Je ne m’épanouis véritablement que lorsque je travaille sur plusieurs projets. C’est ça mon bonheur. Mais je vous assure, cette année vous reverrez le E-Ray, l’artiste que vous connaissiez (sourire).

Toi, tu es un jeune qui a entrepris. Mais, il y a des jeunes qui pensent qu’il faut aller forcement à la politique pour devenir riche. Qu’est que tu en penses ?

Ceux qui vont vers la politique, je ne leur jette pas la pierre. Peut-être que je moi-même j’en fais en « sourdine » (rires). Ce qui est certain, c’est que ça peut être un accélérateur. Personnellement, qu’on fasse de la politique ou non, la priorité c’est de se consacrer à ses projets personnels. Si quelqu’un fait de la politique, ça peut être par passion ou par intérêt. Nous avons chacun nos intérêts. Nous ne devons pas prioriser la politique au détriment de notre profession ou de nos activités, pensant que c’est le tremplin unique pour exploser. Le problème aujourd’hui, c’est ce que la jeunesse n’a pas de repères. C’est pour cette même raison que les jeunes veulent tous aller à la politique. Car tout petit, ils ont remarqué dans leurs quartiers que ceux qui avaient les moyens de construire les maisons-à-étage(s), travaillaient dans l’administration (impôts, douane…) ou militaient chaudement dans les partis politiques. Nous avons la chance de nos jours, de découvrir des hommes d’affaires, opérateurs économiques ou entrepreneurs qui, dans notre pays, ont pu faire fortune d’une manière ou d’une autre, à travers des sociétés ou des projets. Cela devrait inspirer la jeunesse et la motiver à se lancer.

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