2013 : Les Béninois en ont un souvenir noir dans le monde des arts et de la culture au Bénin. C’est huit artistes qui ont perdu la vie en cette même année. Et ce, tous dans la discipline de la musique.
Des interrogations persistent encore dans les esprits à propos de ces morts en cascade et aussi au sujet des circonstances de certains décès dans le lot. Donatien Gbaguidi, journaliste investigateur, juriste de formation, chef d’édition et chef/desk culture au sein du quotidien béninois L’Evénement Précis, a promené sa plume dans les couloirs de la mort qui a frappé chacun de ces artistes et la sort avec tout un livre, «Culture en deuil : La vérité sur les artistes béninois décédés en 2013». L’œuvre, parue aux éditions Prodige Presse, a été lancée en janvier 2016 à Cotonou. Dans cette interview qu’il nous a accordée, l’auteur nous parle d’un projet de rédaction de livre pour vivant, pourtant très avancé, que la mort a ‘’arraché’’ et dont le porteur s’en est finalement servi pour rendre hommage et pour établir des vérités sur cette année de scène musicale sombre au Bénin.
La Nouvelle Tribune: «Culture en deuil : La vérité sur les artistes béninois décédés en 2013», c’est ton premier livre qui te permet d’entrer dans le milieu des auteurs. Mais pour certains critiques, c’est une entrée par « La porte des morts». D’autres parlent de « porte noire». Ta réaction.
Donatien Gbaguidi: Ils ont peut-être raison. On peut me reprocher d’avoir commencé à écrire un livre à partir des gens qui sont déjà décédés. C’est vrai. Mais comme vous le savez, en tant que journaliste culturel, nous côtoyons beaucoup les artistes. En réalité ce livre n’était pas destiné à écrire sur les artistes décédés. C’était un projet d’écriture sur les artistes vivants qui était déjà en cours. Il s’est fait qu’en 2013, la plupart de ces artistes sur qui j’avais déjà travaillé ont commencé un à un par quitter ce monde. Raison pour laquelle je me suis dis au lieu de mélanger les vivants à ceux qui sont morts, il vaut mieux consacrer ce livre exclusivement à ceux-là qui sont décédés parce qu’eux, ils n’ont plus de page à écrire, ils n’ont plus d’histoire à écrire sur leur vie d’artiste. Je me suis dis qu’il vaut mieux que je concentre mon énergie sur ceux-là, une façon pour moi de les immortaliser, de permettre aux générations actuelles et futures de pouvoir avoir un document de référence pour mieux apprendre sur chacun de ces artistes là.
Au-delà de ce projet que tu as réorienté, n’y a-t-il pas vraiment d’autres liens ou faits qui ont marqué ta collaboration en tant que journaliste culturel avec ces artistes et qui justifient toute l’importance que tu accordes à eux, parlant d’hommage ?
En réalité, l’élément déclencheur de ce livre c’est aussi Riss cool. Riss cool était un ami personnel à moi. Il venait à la maison et je l’aidais beaucoup par rapport à sa carrière en tant que journaliste culturel. On se côtoyait beaucoup. Cet ami est mort devant moi puisque j’étais avec lui, à son chevet au Cnhu (Centre national hospitalier et universitaire Hubert Maga). C’est là je me suis dit qu’est-ce que je peux faire, à ma manière, pour lui rendre hommage. D’où l’idée de me concentrer pour les travaux que j’avais déjà menés. Et puisque ce n’était pas lui seul qui était décédé en 2013, j’ai élargi et approfondi ce travail pour pouvoir les immortaliser.
A la suite de tes investigations, dans le titrage du livre, tu parles de « la vérité » sur ces artistes décédés. Alors, est-ce aussi toute la vérité sur pourquoi c’est précisément en 2013 que ces artistes sur lesquels tu travaillais ont commencé par décédé un à un ?
Ce serait trop prétentieux de dire que j’ai toute la vérité avec moi. Mais ce que je peux dire, c’est que je suis allé au-delà des articles de presse qui ont été écrits et des rumeurs qui ont été ventilées à l’époque sur la vie de ces artistes et leur condition de décès. Je l’ai fait à travers des investigations, à travers des reportages pour en quelque sorte amener les Béninois, ceux qui sont amoureux de la culture béninoise ou de la musique béninoise en particulier, à mieux comprendre les conditions de décès de ces artistes, à mieux comprendre la vie qu’ils ont mené chacun. Dans ce livre également, il y a des interviews exclusives. Par exemple, avec Zouley Sangaré de son vivant, j’avais déjà réalisé une interview. Curieusement, c’est environ un an après qu’elle est décédée. Quand nous prenons Riss Cool, j’ai également réalisé avec lui une interview vraiment exclusive. Cette interview a été réalisée à 18 jours de sa mort. Ni lui, ni moi, ne le savaient. Comme Zouley, elle a elle-même parlé de sa vie privée et de sa vie d’artiste ; elle a parlé de comment la maladie lui est arrivée ; elle a parlé de ses souffrances. Il y a également Alokpon que j’ai rencontré puisqu’il avait pas mal de polémiques qui pesaient sur sa personne. Des gens racontaient qu’il a tué Gbèzé, il a tué telle personne… Je l’ai rencontré dans son village à Ouèssè. Je l’ai aussi interviewé. Il m’a parlé de sa vie de gloire. Il y a des choses inimaginables qu’il m’avait confiées. Je pense qu’avec ce livre, on va quand-même revivre ce qu’ils ont été sur cette terre.
Aussi les mystères autour de la mort de certains parmi eux ?
Evidemment, il y a eu beaucoup de commentaires et de rumeurs qui ont circulé et que certains ont même pris pour des vérités absolues. Il y a eu pas mal de mystères autour de certains morts dans ce document. J’ai choisi de pénétrer ces mystères, parce que si c’est un mystère, il faut quand- même le rapporter pour que les gens en aient une idée plus claire. Il y a par exemple Zouley qui est décédée seule dans sa chambre. Et il n’y avait même pas eu d’autopsie. Donc il fallait pénétrer tout ça pour comprendre ce qui s’est réellement passé, pour informer autrement les Béninois pour que les commentaires qui ont été faits à tort ou à raison ne restent pas éternellement des vérités absolues. C’est vrai, ça été difficile, mais un journaliste ne s’avoue jamais vaincu. J’ai forcé les choses et j’ai sorti ce document.
Comment est-ce que les familles respectives de ces différents artistes ont accueilli le livre ?
Je n’ai pas encore de réaction particulière des familles de ces artistes. Mais ce que je sais, c’est qu’au lendemain du lancement, au lieu que ce soit moi qui appelle les invités pour les remercier, c’est eux qui ont commencé par m’appeler chacun pour dire « vraiment ce que tu as fait c’est extraordinaire, tu as vraiment immortalisé nos artistes, continue dans cette lancée. On te soutient, merci beaucoup ». Donc je peux dire que d’une manière ou d’une autre, le livre a été accueilli favorablement et que les gens soutiennent ce que j’ai fait. Un projet de réédition du livre est en cours et j’essayerai bien de voir comment est ce qu’il faut le faire.
A ceux-là, tu promets un autre livre sur les morts ou sur les vivants ?
Ma détermination à écrire est inébranlable. Mais mon souhait désormais c’est d’écrire sur les vivants. Ce que j’aurai à écrire désormais va être concentré sur des artistes vivants qui font le Bénin, culturellement parlant.
On ne le souhaite pas mais il est évident, puisque c’est ainsi la vie, il y aura toujours de décès de créateurs d’œuvre de l’esprit comme tout autre être humain. D’ailleurs, après 2013, il y en a eu déjà. Ces derniers ne méritent-ils un hommage au bout de ta plume?
Ce n’est pas que je ne vais plus écrire sur les morts, mais je dis que mon souhait c’est d’écrire sur les vivants. Lorsque le besoin d’immortaliser se fera sentir, je peux encore écrire sur des artistes décédés. J’étais sur Radio Lokossa récemment où les gens m’ont reproché de n’avoir pas écrit sur Gnonas Pedro. Je leur ai répondu que l’envie ne me quitte pas. Seulement que mon souhait est de ne plus trop consacrer ma plume aux morts. Mais si le besoin se fait sentir, on le fera.
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