A propos des réformes politiques et institutionnelles du Président Talon

Le président Talon vient d’installer une commission de 30 membres chargée de lui faire des propositions dans le cadre des réformes des institutions pour le « nouveau départ » au centre de son unique mandat présidentiel.

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En attendant que les travaux de la commission soient éventuellement soumis à commentaires publics et que le peuple soit consulté directement ou à travers ses représentants, nous souhaitons, comme citoyen intéressé par notre avenir commun,  soumettre à la discussion quelques points que notre expérience des 25 dernières années, en particulier les 10 dernières, ont mis en relief. Il s’agit notamment

  • De l’encadrement et du contrôle du pouvoir exécutif
  • Des limites du rôle de la cour constitutionnelle
  • De la sanction de la mauvaise gouvernance et des crimes économiques

Nous aborderons chacune de ces questions dans des chroniques séparées de façon à stimuler le débat. L’autre question brûlante est celle de la réforme du système partisan et du rôle de l’argent dans notre vie politique, question que nous aborderons dans une autre chronique.

Avant d’aborder ces points, nous nous permettons de faire une remarque liminaire sur la composition  de la commission. Composée essentiellement de technocrates et de cadres des partis représentés à l’assemblée nationale, elle traduit l’accent mis par le président sur la compétence managériale au détriment de considérations comme l’équilibre régional ou de genres. L’absence criarde de représentation des travailleurs, et du milieu syndical et des paysans, composantes majoritaires de notre peuple ne manquera pas de frapper les observateurs.

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Si la compétence managériale ou technique est un impératif de l’administration publique comme privée, et peut suffire à l’entreprise privée dont le seul but est l’efficacité économique et la recherche du profit maximum, elle seule ne peut, à notre sens, donner légitimité quand il s’agit d’élaborer des réformes politiques organisant le cadre de la vie en commun des différents groupes sociaux qui constituent notre nation en construction. Il importe donc selon nous, que ces distorsions soient corrigées par un débat vigoureux impliquant tous les groupes sociaux, organisés ou non, de l’intérieur comme de la diaspora, fréquemment sollicitée par ailleurs, de façon à donner aux réformes projetées cette nécessaire légitimité, au-delà des procédures formelles d’adoption. Il faut espérer que la suite du processus de réforme permettra une implication plus décisive et plus équitable de tous les groupes sociaux de notre pays. Un moyen parmi tant d’autres de corriger ces insuffisances initiales, serait la publicité  des débats de la commission –avec si possible des résumés traduits en langues nationales-, et l’appel à témoignage ou contribution –y compris en langues nationales-, permettant de donner la parole a un large spectre de notre population.

De l’encadrement et du contrôle du pouvoir exécutif

L’expérience récente de la décennie  du président Yayi a illustré de façon criarde les excès d’un régime présidentiel fort ou les contre-pouvoirs sont bridés. Le président Yayi n’a-t-il pas résumé cette situation quasi-monarchique par sa proclamation du « YIN-WE «  (« C’est MOI ») répétée  à l’envi  lors des dernières législatives ? Au-delà des proclamations grotesques d’un président mal inspiré, la décennie du président Yayi  a mis en lumière les failles de la constitution de 1990 qui ont permis un verrouillage (un « mouillage » comme l’aurait dit le président lui-même) des institutions de contre-pouvoir et leur asservissement à l’exécutif.

Ce primat de l’exécutif se traduisant par le pouvoir de nominations est codifié dans la constitution de 1990 dont notamment l’article 56 dispose :

Art 56. -Le Président de la République nomme trois des sept membres de la Cour Constitutionnelle.

Après avis du Président de l’Assemblée Nationale, il nomme en Conseil des Ministres: le Président de la Cour Suprême, le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la communication, le Grand Chancelier de l’Ordre National.

Il nomme également en Conseil des Ministres: les membres de la Cour Suprême, les Ambassadeurs, les Envoyés extraordinaires, les Magistrats, les Officiers Généraux, et Supérieurs, les Hauts Fonctionnaires dont la liste est fixée par une loi organique.

L’article 54 donne au Président de la République le pouvoir de nomination des membres du gouvernement après simple avis consultatif du président de l’assemblée nationale :

Art 54. -Le Président de la République…

Il nomme, après avis consultatif du bureau de l’Assemblée  Nationale, les membres du Gouvernement; il fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions.

A l’expérience on a vu que ce pouvoir de nomination a contribué à réduire les capacités et la crédibilité des instances censées jouer un rôle de contre-pouvoir. Les exemples sont légions.

Un président de cour constitutionnelle n’aurait pas été nommé pour un second terme parce que soupçonné d’accointances avec l’ennemi intime du président YAYI. Des personnalités ne remplissant pas les critères de nomination seront nominés à la cour constitutionnelle par le président Yayi avant d’être récusés par celle-ci. Le président YAYI enverra à la Cour Constitutionnelle au titre de personnalité de « grande réputation professionnelle » une nominée loin de faire l’unanimité dans sa profession.

S’agissant du gouvernement, le spectacle des remaniements constants, des ministres baladeurs, allant d’un portefeuille à l’autre tous les 30 ou 90 jours illustrentà merveille les caprices d’un prince à qui il fut donné le pouvoir de jouer avec les destinées d’une nation.

Comment concilier la nécessité pour le président de bâtir une équipe à même de conduire la politique pour laquelle il est élu, avec le contrôle de son pouvoir, la garantie d’indépendance des responsables d’institution de contre-pouvoir, la qualité et l’intégrité des gouvernants ?

Pour une procédure de confirmation parlementaire des nominations du président

Une des voies qu’il nous paraît intéressant d’explorer est celle de la procédure de confirmation des nominations du président. Il ne s’agit pas de copier les procédures qui sont ancrées dans les traditions constitutionnelles d’autres pays, mais d’inventer  nos propres moyens d’effectuer un contrôle a priori des choix présidentiels, de cultiver la culture du compromis à défaut de consensus.

Dans une nation en construction comme la nôtre, on ne peut pas permettre que le vainqueur des élections « rafle la mise », ou comme le disent les anglo-saxons « winner takes all ».

S’agissant des dirigeants d’institutions jouant un rôle de contre-pouvoir(de l’exécutif) comme la cour constitutionnelle, la cour suprême, le conseil supérieur de la magistrature, la Haute Autorité de l’audiovisuel,  il nous parait hautement souhaitable que les nominations du président soient soumises à confirmation par un vote à la majoritéqualifiée ( 2/3 ou 3 / 4) du parlement après des audiences publiques. Une telle procédure a plusieurs avantages parmi lesquels:

  1. Les compétences professionnelles et l’intégrité morale des nominés sont validées par l’exécutif qui ne veut pas courir le risque de voir ses candidats « recalés » pour des raisons évidentes. On éviterait donc les nominations de « remerciements », ceux qui traînent des casseroles visibles et/ou connues, ceux qui n’ont ni les compétences, ni l’expérience, ni le « poids » ou le « gravitas » d’assumer des telles responsabilités.
  2. Les nominés trop ouvertement partisans, incapables de s’affranchir de leur appartenance politique pour mettre au premier plan les intérêts de la nation n’arriveront pas à réunir sur leur nom une majoritéqualifiée, même si le président dispose de la majorité parlementaire simple. Des compromis avec la minorité seront nécessaires, facilitant la protection des droits de celle-ci.

Les détails de la procédure devront êtrefinalisés de façonà garantir que la procédure ne débouche sur des blocages parlementaires prolongés, mais il nous semble que les avantages dépassent largement les risques, qui de toute façon sont inhérents à tout système de partage de pouvoirs.

S’agissant des membres du gouvernement et autres personnes visées à l’article 56 de la constitution (membres de la Cour Suprême, les Ambassadeurs, les Envoyés extraordinaires, les Magistrats, les Officiers Généraux, et Supérieurs, les Hauts Fonctionnaires), il nous paraît judicieux de les soumettre égalementà une procédure de confirmation par le parlement allant au-delà de la simple consultation du bureau que prévoit la constitution actuelle. La majorité requise pourrait être une simple majorité permettant au président disposant d’une majorité au parlement de faire confirmer plus rapidement et plus aisément les membres de son gouvernement. Cet exercice devrait contraindre le président à des choix mûrement réfléchis de candidats  pouvant soutenir les feux des projecteurs des audiences publiques. Les parlementaires auront la possibilité de soulever des objections tant sur les qualités morales, que professionnelles des futurs gouvernants.

Au total la procédure de confirmation parlementaire des nominés permet au président de conserver le pouvoir de constitution de son équipe, mais ce pouvoir n’est plus sans contrôle et entièrementdiscrétionnaire. Il est contraint par l’Assemblée, qui généralement aura une plus grande diversité sociale, d’opinions, d’expériences. Cette procédure permet d’effectuer un contrôle à priori des nominations et de réduire les risques de nominations ultra-partisanes débouchant sur des responsables par trop reconnaissants à la « haute autorité », à qui ils devraient exclusivement leur pouvoir.

Une fois de telles procédures mises en place, il ne nous parait pas indispensable de limiter le mandat présidentiel à un terme unique. La sanction des électeurs est un élément du contrat que signe le président avec son électorat, et les programmes d’action dans des économies faibles et des nations en construction comme la nôtre peuvent bénéficier de la continuité d’efforts soutenus sur une décennie

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