Auteur de «Education et gouvernance politiques au Bénin : du Danxômè à l’ère Démocratique», livre, extrait de sa thèse, publié chez L’Harmattan en 2015, ce docteur en sociologie de développement, enseignant à l’université d’Abomey-Calavi, nous parle du style Yayi et ressort la différence entre le projet de réforme annoncée par Patrice Talon et les tentatives de révision sous le régime defunt.
Nous vous livrons cette interview, réalisée début avril 2016, mais qui cadre bien évidemment avec l’actualité sur les réformes politiques et institutionnelles lancées par le « Nouveau Départ ».
Dr Gilles Gohy, vous êtes socio-politologue. Sur le plan de la gouvernance politique, que peut-on retenir des dix ans du régime Yayi ?
On retient essentiellement, les choses suivantes :
- Un volontarisme populiste qui masquait en fait une volonté de saupoudrage et de camouflage prononcée ;
- Impréparation à l’exercice de la charge présidentielle emblématique des nombreuses divagations de 10 ans de gouvernance vermoulue ;
- Un régionalisme gluant dans une mer de crimes crapuleux (morts d’hommes et de femme impunies) et chapelet de crimes économico-financiers ;
- Une banalisation de la fonction (charge) présidentielle ;
- Une grosse déception chez une large frange de la population qui a beaucoup cru et voulu le changement ;
- Un sort à vite conjurer !
Comment qualifierez-vous le style de gestion du président Boni Yayi ?
Ce fut un mélange rugueux de patrimonialisme messianique sur fond de culte de la personnalité et de la ferme volonté de Boni Yayi de faire du Bénin une république bananière.
Son style de gestion était-il lié à l’étendue des pouvoirs que lui confère la Constitution, au contexte béninois ou à sa propre personnalité ?
En grande partie, oui ! Grâce à cette Constitution, le président de la République est pratiquement un empereur, un monarque républicain. Il n’exagéra donc point quand il déclarait : “… Après Dieu, c’est Moi !”, se croyant tout permis !
Comment expliquez-vous le fait qu’un homme, arrivé au pouvoir en 2006 par un plébiscite populaire, quitte les affaires vomi par la majorité des Béninois ?
Plébiscité en 2006 par une ferveur populaire nourrie d’une ardente volonté de changement, la mauvaise gouvernance dont Boni Yayi fit preuve pendant deux mandats présidentiels controversés en a fait un personnage détestable qui a beaucoup galvaudé la fonction présidentielle. En détruisant le tissu social béninois comme il le fit, par des violences diverses, il aura porté un sérieux coup de semonce à l’Etat-nation en état de construction prononcé au départ du Président Mathieu Kérékou en 2006. Boni Yayi aura détruit tout le bel édifice en chantier, à cause de son régionalisme gluant et son incapacité à promouvoir une bonne gouvernance du pays, c’est-à-dire respectueuse des textes et des institutions de la République, en rassemblant les Béninois des deux sexes autour d’un projet de société consensuel. C’est un échec cuisant !
L’une des initiatives les plus controversées du régime défunt reste le projet de révision de la Constitution. Sur la question, le président (désormais ancien) Boni Yayi a tenté de dissiper les appréhensions des Béninois en professant à maintes reprises son engagement à ne pas solliciter un troisième mandat. Malgré cela, les Béninois sont demeurés suspicieux et son projet à fait flop. Pourquoi ?
Le président Boni Yayi a rusé tout le temps au cours de ses deux mandats constitutionnels, s’amusant à souhait avec la vérité, enfarinant tout et tout le monde, dans le seul dessein de satisfaire sa petite personne. En jouant ainsi avec la vérité, il a donc très rapidement perdu toute crédibilité, les Béninois des deux sexes ayant perdu toute confiance en lui et en sa parole. Le discrédit ainsi jeté sur sa gouvernance, de façon générale, explique son désaveu et toutes les controverses suscitées par sa volonté effrénée de mourir au pouvoir, comme un dictateur ! Il n’est pas conseillé de décevoir le Béninois, une seule fois ! Il le lui a bien montré, d’ailleurs !
Mais le bras de fer entre Boni Yayi et son ennemi intime et successeur Patrice Talon n’a-t-il pas, dans certaines mesures, empoisonné le projet de réforme constitutionnelle du premier ?
“Empoisonné” ? Je dirais plutôt “sapé” ! Mais, c’est pourtant ça qui a sauvé le pays du funeste projet de la révision constitutionnelle opportuniste envisagé par Boni Yayi.
En avril 2015, les Béninois ont rejeté le projet de révision constitutionnelle en offrant la majorité des sièges de l’Assemblée alliances et partis politiques ayant fait campagne contre la réforme. En mars 2016, soit moins d’un an plus tard, ces mêmes Béninois font de Patrice Talon président de la république alors même que la révision constitutionnelle est l’une des idées phares de son projet de société. Comment expliquez-vous cela?
La révision constitutionnelle annoncée par Patrice Talon devenu président de la République est juste une des réformes qu’il a annoncées. Ce qui l’a rendu plus séduisant que les autres candidats à l’élection présidentielle de mars 2016, c’est plutôt sa promesse d’un seul mandat présidentiel, une sorte de mandat transitoire vers une nouvelle vie sociopolitique. Sa campagne sur le “Nouveau Départ” a donc totalement emballé l’électorat, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.
Finalement, le forcing, quoiqu’infructueux de Boni Yayi, a peut-être contribué à « détaboutiser» le sujet «révision de la Constitution» ; facilitant ainsi les choses au président Patrice Talon…
La révision constitutionnelle n’est pas et n’a jamais été un sujet tabou, sacré. Aucun Béninois sensé n’est contre la révision de la Constitution dans son état actuel, vu les nombreux couacs qu’elle montra en 25 années d’existence. C’est l’entêtement de Boni Yayi qui a paru suspect et qui a fait fuir la majorité des Béninois qui l’ont alors résolument combattu. Jaloux de leur Constitution, ils l’ont fermement démontré par le vote du 20 mars 2016. Le quasi plébiscite de Patrice Talon peut ainsi s’interpréter comme une prime des Béninois à Patrice Talon, sorte de remerciement à son refus résolu de favoriser le projet de révision constitutionnelle au profit de Boni Yayi, au-delà des nombreux harcèlements qu’il connut avec cette fumeuse affaire d’empoisonnement de Boni Yayi. Ce vent a d’ailleurs gonflé les voiles du navire “Patrice Talon” et l’ont mené à la Marina. Tout simplement !